IV - LES DEBOIRES DES ACTIONNAIRES :

On ne peut omettre de parler des actionnaires quand on fait référence à l'aspect financier du tunnel sous la Manche, car ils ont été, depuis l'origine du projet, des acteurs d'une importance primordiale.

IV.1 Profil des actionnaires :

Les actionnaires peuvent être de plusieurs catégories ; on les qualifie de petits, de gros, d'individuels ou d'institutionnels selon leur nature. Dans le cas d'Eurotunnel, on a surtout entendu parler des petits porteurs, notamment par les deux associations créées en vue de défendre leurs intérêts 214 .Le nombre de ces actionnaires individuels varie, selon les sources d'information, de 720 000 à 750 000. Ils ne sont pas négligeables puisqu'ils ont investi par trois fois dans l'action Eurotunnel (c'est-à-dire à l'occasion des trois augmentations de capital : en novembre 1987, en novembre 1990 et en mai 1994) la somme globale de 23,6 milliards de francs.

Il semble important de souligner que sur le nombre global d'actionnaires, on compte environ 600 000 actionnaires français pour 150 000 britanniques. Comme nous l'avons vu 215 , deux sociétés distinctes ont été chargées de lever les fonds en Bourse : Eurotunnel SA, du côté français, a récolté 8,6 milliards de francs, alors qu'Eurotunnel Plc, du côté britannique, n'a ramassé que 2,8 millards. Ces chiffres confirment que tous les actionnaires n'ont pas nécessairement le même intérêt dans l'action Eurotunnel ; la majorité des petits porteurs ont souscrit car ils étaient attirés par la grandeur du chantier, alors que les autres ont plutôt investi leurs fonds de pension.

Quoi qu'il en soit, après sept années d'espoirs suivis de déceptions, les actionnaires semblaient toujours confiants. A l'occasion de l'inauguration du tunnel sous la Manche, deux sondages d'opinion 216 ont été réalisés conjointement avec la Sofres : l'un d'après un échantillon représentatif des actionnaires français et l'autre d'après un panel représentatif des institutions financières.

Le premier de ces sondages a été effectué par téléphone les 30 et 31 mars 1994 auprès de 500 actionnaires recensés par la Sofres. Il a permis de dégager les constatations suivantes :

  • 25 % environ des actionnaires français avaient choisi d'investir dans l'action Eurotunnel, par "envie de spéculer" car ils avaient le sentiment que c'était une bonne affaire en Bourse, "le projet d'avenir" 217 ; 63 % des actionnaires individuels avaient investi dès l'entrée en Bourse de l'action en novembre 1987 et étaient toujours en possession de leurs titres en 1994, ce qui dénotait une certaine fidélité malgré les aléas de la société ; sans doute préféraient-ils attendre compte tenu des fluctuations du titre.
  • 61 % des actionnaires français possédaient un "petit portefeuille de valeurs mobilières" 218 , c'est-à-dire qu'ils avaient investi dans l'action Eurotunnel pour moins de 300 000 francs ; ils se répartissaient de la façon suivante : 21 % d'entre eux, agissant avec prudence, avaient acquis des actions à 43 francs (cours moyen au moment du sondage) pour moins de 50 000 francs, 15 % avaient investi entre 50 et 100 000 francs, 16 % entre 100 et 200 000 francs et 9 % entre 200 et 300 000 francs. Les 35 % d'actionnaires restants, ayant investi plus de 300 000 francs, détenaient un "gros portefeuille" d'actions.
  • Parmi les actionnaires qui avaient choisi de revendre leurs actions, 25 % détenaient un petit portefeuille et 11 % un gros portefeuille.
  • 43 % des actionnaires qui avaient décidé de revendre leurs actions avaient réalisé une plus-value et sur la base de 43 francs, 53 % ont admis qu'ils avaient fait un petit bénéfice.
  • 58 % des actionnaires avaient perdu confiance à moyen terme (un ou deux ans) alors que 64 % avaient gardé confiance sur le long terme.

Le second sondage a aussi été effectué par téléphone du 13 au 15 avril 1994 auprès de 180 professionnels du monde financier. Il a révélé les faits suivants :

  • 72 % d'entre eux montraient un intérêt certain pour l'action Eurotunnel qu'ils suivaient régulièrement (74 % de gestionnaires contre 64 % d'analystes financiers) ; en mai 1994, 43 % d'entre eux conseillaient aux actionnaires de garder leurs actions et 35 % d'en acheter.
  • ceux qui conseillaient de conserver la valeur se justifiaient par le fait qu'ils étaient persuadés qu'elle allait monter dès l'ouverture du tunnel ; il s'agissait donc d'un placement intéressant mais non dénué de risques.
Notes
214.

voir infra p. 100.

215.

voir supra p. 87.

216.

NEGREANU, G., "Eurotunnel : Les actionnaires font toujours confiance", La Vie Française, 30 avril-6 mai 1994, pp. 10-15.

217.

ibid., p. 11.

218.

ibid., p. 12.