IV.2 Secteur du BTP 246 :

Eurotunnel avait estimé que les besoins en main-d'oeuvre pendant la durée de la construction du tunnel allaient atteindre un chiffre de 14 600 années-hommes, avec une pointe de 3 400 emplois en 1990.

L'objectif premier était de recruter un maximum de personnes au niveau local, ce qui paraissait facilement réalisable vu la main-d'oeuvre disponible dans le Kent, surtout à l'Est de la région qui souffrait énormément du chômage. Cependant, Eurotunnel devait également prendre en considération les besoins des autres grands projets du Sud-Est du Kent, à savoir l'aménagement de la zone des entrepôts de Londres et du centre d'affaires de Canary Warf, ainsi que la construction de centrales électriques, d'aéroports et des infrastructures d'accompagnement du tunnel. Aussi, Eurotunnel devait déclarer que les personnes nécessaires seraient recrutées à l'échelle nationale si elles n'étaient pas disponibles au niveau local.

D'autre part, la Commission d'enquête a souligné la nécessité d'avoir une main-d'oeuvre qualifiée, vu l'importance du projet, afin d'éviter toute perte de temps et d'argent. Ceci explique la mise en place d'un organisme spécifique 247 en novembre 1986, sous la direction conjointe des services d'éducation du Comté du Kent 248 , ainsi que la création d'un centre de formation 249 , qui avaient pour but d'organiser des stages de formation adéquats, d'une durée de trois à six mois, afin que les demandeurs d'emplois puissent répondre aux offres du constructeur.

La Commission d'enquête en 1987 avait vu juste et avait même sous-estimé la demande puisqu'en octobre 1990, TML comptait 8 300 personnes dans son personnel, dont 1 900 à la direction ou dans les bureaux et 6 400 ouvriers sur le site du chantier 250 . Plus de la moitié des personnes employées pour la construction de l'ouvrage était des résidents du Kent. En plus de la main-d'oeuvre employée dans le secteur du BTP, il y avait 1 570 personnes travaillant en sous-traitance pour l'installation des équipements du tunnel et des terminaux. Cependant, la plupart de ces personnes n'habitaient pas dans le Kent. Globalement, le BTP a apporté 4 400 emplois aux résidents du Kent sur une période s'étendant jusqu'à six années, même si la proportion de nouvelles recrues pour le Kent chuta de 49 % en 1988 à 35 % en 1990. Une partie des revenus des personnes extérieures à la région employées pour le BTP a également profité au Kent, dans la mesure où elles avaient des frais inhérents à la vie quotidienne, tels que le logement et la nourriture. Ainsi, dans l'ensemble, la phase de construction a apporté des revenus substantiels et des emplois à la région.

Cependant, les consultants prévoyaient que ces bénéfices allaient diminuer à partir du milieu de l'année 1991 pour disparaître en 1993. Le fait est que, par définition, les bénéfices liés à la construction de tels projets ne sont pas permanents ; ils durent le temps de la période de construction et sont condamnés à disparaître.

Tableau 3 : Estimations du nombre d'emplois pour mai 1991
Personnel 1650 dont : de bureau 820
      de direction 830
Ouvriers 5190 dont : non-qualifiés 840
      qualifiés/semi-qualifiés 4350
Sous-traitants 1850      
Source : Kent Impact Study 1991 Review, Study 3, p. 5.

Entre les mois d'octobre 1990 et de mai 1991, les consultants prévoyaient une baisse nette de 1 180 emplois, dont 250 membres du personnel de bureau ou de la direction et 1 210 ouvriers, et une hausse de 280 sous-traitants. Ce changement de situation s'expliquait principalement par le glissement d'un travail non-qualifié ou semi-qualifié vers un travail qualifié, voire de spécialiste pour la construction des terminaux et l'équipement des tunnels devant s'achever en 1993. En mars 1991, il restait 6 334 employés dans le secteur du BTP, dont 4 957 provenaient de Douvres, 1 199 de Shepway et 178 de l'île de Grain. Sur ces 6 334 employés, 4 444 (soit 70 %) étaient des ouvriers et 1 890 (soit 30 %) du personnel de bureau ou travaillant à la direction.

Au cours de l'été 1991, de nombreux licenciements de travailleurs manuels non-qualifiés ou semi-qualifiés étaient donc prévus en raison de l'achèvement de la construction du tunnel. Les estimations des consultants annonçaient 8 370 licenciements entre mai 1991 et l'ouverture du tunnel, avec une pointe au cours du second semestre de l'année 1991 et du premier semestre de l'année 1992. Sur ces 8 370 licenciements, on dénombrait 5 000 ouvriers, dont 840 non-qualifiés. Ils estimaient qu'environ la moitié (4 400) des personnes qui allaient être licenciées seraient des résidents du Kent, la plupart d'entre eux habitant à Douvres, mais aussi à Folkestone, Ashford ou encore Thanet...etc.

Tableau 4 : Calendrier prévu des suppressions d'emplois
  mai-déc91 janv91-déc92 déc92-1993 TOTAL
Personnel :      
de direction & 160 500 70 730
de la profession      
de bureau 140 415 165 720
       
Ouvriers :      
qualifiés & 1550 2000 680 4230
semi-qualifiés      
non-qualifiés 450 350 40 840
       
Sous-traitants 500 1000 350 1850
Source : Kent Impact Study 1991 Review, Study 3, p. 6.

La situation, à l'heure du deuxième rapport de la Commission d'enquête, avait évolué de façon plutôt positive puisque la majorité des employés quittant le chantier étaient déjà embauchés par ailleurs. Par contre, ceux qui devaient perdre leur emploi au-delà du mois de mai 1991 allaient avoir plus de difficultés à en retrouver un.

Entre les deux rapports de la Commission d'enquête, les données avaient sensiblement changé : en 1987, il était question de créer les emplois liés à la construction de l'ouvrage alors qu'en 1991, il s'agissait de supprimer ces emplois 251 ; le problème ne se posait plus sur le plan du recrutement de la main-d'oeuvre, mais sur celui de la réinsertion au cours des deux années suivantes. Ceci explique qu'il est difficile, voire impossible, de comparer les chiffres de 1987 à ceux de 1991.

TML a tenu à jour une base de données d'employés potentiels de 1988 à mai 1991, date à partir de laquelle aucun nom n'a été ajouté et les embauches ont été effectuées à partir des candidats déjà enregistrés. Jusqu'en 1988, la tendance avait plutôt été d'embaucher des personnes au chômage, puis elle s'était inversée en 1989 en recrutant des personnes qui avaient déjà été embauchées. Jusqu'à la fin de l'année 1989, 49 % des personnes embauchées par TML étaient originaires du Kent. Le taux de recrutement variait selon la provenance des postulants ; il était de 13 % dans la région contre 4 % en dehors du Kent.

En conséquence, le profil de l'emploi annonçait une forte proportion de recrues en provenance du Kent parmi les employés ayant de l'ancienneté. Il semblerait que très peu de personnes extérieures au Kent se soient réellement installées dans cette région ; d'autre part, ces personnes ont généralement moins d'ancienneté. Au début de l'année 1991, 3 058 (46 %) des 6 661 placements de la banque de données de TML concernaient des personnes originaires du Kent, ce qui laissait présager qu'environ 50 % des 5 070 licenciements parmi les ouvriers seraient des résidents de la région. Selon la base de données de TML, 48 % d'entre eux seraient des ouvriers sans qualification, soit un total de 1 175, dont 756 considérés comme non-qualifiés et 419 comme semi-qualifiés. Environ 35 % devraient effectuer une formation (446 personnes concernées) et 41 % pourraient passer un diplôme (522). Une partie du personnel de bureau et de la direction risquait aussi de faire face à des difficultés pour retrouver une place, ce qui signifiait qu'il fallait également prévoir d'autres formations pour environ 2 000 personnes.

Tableau 5 : Prévisions sur le plan des licenciements dans le Kent
  Licenciements % de résidents Nombre de
    du Kent résidents du Kent
Personnel :      
de direction... 730 40 292
de bureau 720 80 576
       
Ouvriers :      
qualifiés & 4230 40 1 692
semi-qualifiés      
non-qualifiés 840 90 756
       
Sous-traitants 1 850 60 1 110
       
TOTAL :      
dont sous-traitants 8 370   4 426
sans sous-traitants 6 520   3 316
Source : Kent Impact Study 1991 Review, Study 3, p. 8.

Notes
246.

ibid., pp. 22-25.

247.

Local Collaborative Project (LCP).

248.

Kent County Council Department of Education.

249.

Whitfield Training Centre.

250.

Kent Impact Study 1991 Review, Study 3, rapport déjà cité, p. 5.

251.

"the discussion in the 1987 KIS documents was focussed on the build-up of jobs associated with Tunnel construction whereas in 1991 the main implications for Kent focus on the run-down of construction jobs", ibid., op. cit., p. 5.