V.3 L'Est du Kent 275 :

Selon la Commission d'enquête de 1987, l'Est du Kent était la région sur laquelle l'impact du tunnel sous la Manche allait être le plus important, que ce soit sur le plan des créations ou des suppressions d'emplois. Le handicap majeur de cette partie du Kent était sans conteste son manque critique de voies de communication avec Londres.

L'Est du Kent comprend Douvres, Shepway, Ashford, Cantorbéry, Thanet et Swale, qui sont indépendantes géographiquement et économiquement et ont une personnalité qui leur est propre.

La Commission d'enquête de 1987 avait mis en place une stratégie de développement pour chacune de ces villes en fonction de leur potentiel.

Ashford a été considérée comme une ville-clé de par sa situation géographique 276 . La stratégie à suivre pour Ashford était d'organiser l'activité économique avec un sens aigu des affaires et de mettre en valeur le potentiel professionnel afin d'attirer de grandes compagnies et des capitaux étrangers. Aussi, fallait-il développer l'industrie, le commerce et les facilités de logement et donner à la municipalité un meilleur profil et une identité propre. La Commision d'enquête avait conclu sur l'idée qu'il était encore difficile de mesurer l'ampleur du défi 277 .

Le mot d'ordre pour la ville de Douvres, face à la perspective de pertes d'emplois, était celui de "diversification" 278 . La stratégie de développement consistait à augmenter le trafic fret et passagers par ferry, à explorer les opportunités en vue de diversifier les activités portuaires, à trouver des sites supplémentaires pour l'expédition du fret, la construction des routes et la distribution, et à faire en sorte que le tourisme se mette en place bien avant l'ouverture du tunnel.

La stratégie à adopter pour Shepway et Thanet était aussi basée sur la diversification des activités, qu'il s'agisse d'attractions touristiques ou d'exploitation de sites en vue d'implanter des industries. La ville de Cantorbéry devait préserver son environnement historique tout en développant son potentiel touristique.

Malheureusement, en 1991, cette région enregistra les résultats les plus décevants. Avec un taux de chômage et un volume de main-d'oeuvre déjà élevés, les perspectives laissaient prévoir un excédent de main-d'oeuvre d'environ 20 000 personnes, entre 1991 et 2001. Les plus gros problèmes concernaient Thanet, Shepway et Douvres, en raison de l'ouverture du tunnel sous la Manche et du Marché Unique Européen. Bien que la majorité des pertes d'emplois fût prévue à Douvres, une grande partie de ces nouveaux travailleurs sans emploi allaient être des résidents de Thanet et de Shepway.

Tableau 13 : Profil économique de l'Est du Kent
  Emplois Chômeurs Pertes d'emplois Créations d'emplois
  en 1991 en 1991 dues au tunnel et dues au tunnel et
  (en milliers) (en milliers) aux infrastructures aux infrastructures
      pour 1996 pour 1996
      (en milliers) : (en milliers) :
Ashford 40 2,7 -0,5 +1,1
Cantorbéry 51 3,7 -0,4 +0,6
Douvres 51 3,1 -11,1 +0,6
Shepway 33 3,2 -0,9 +1,7
Swale 41 4,3 -0,5 +1,0
Thanet 39 5,4 -1,1 +0,6
TOTAL 254 22,4 -14,5 +5,6
Source : Kent Impact Study 1991 Review, p. 57.

Ces chiffres étaient relativement significatifs et justifiaient les craintes d'une ville telle que Douvres qui, avec des nombres d'emplois et de chômeurs comparables à ceux de Cantorbéry en 1991, allait nettement plus souffrir de l'ouverture du tunnel avec des pertes d'emplois dix fois plus importantes qu'ailleurs pour très peu de créations d'emplois par rapport aux autres villes du Nord du Kent. Sur les 10 500 emplois que Douvres devait perdre, selon les consultants, de 60 à 70 % concernaient des résidents de la ville. La Commission d'enquête en 1987 n'avait pas prévu que les pertes d'emplois à Douvres seraient si importantes. En 1991, on comptait 3 100 chômeurs à Douvres, soit un taux de chômage de 5,7% qui devait encore augmenter selon les nouvelles estimations pour atteindre un taux variant de 12 à 15%.

Thanet allait également souffrir de la mise en exploitation du tunnel et connaître un taux de chômage comparable à celui de Douvres, de presque 13%. La région assistait déjà au déclin de ses activités traditionnelles (tourisme et secteur industriel) et s'attendait à perdre quelques centaines d'emplois supplémentaires en raison de l'ouverture du tunnel.

Les prévisions de la Commission d'enquête en 1987 annonçaient des créations d'emplois de l'ordre de 1 200 à 4 400 emplois à l'Est du Kent grâce au tunnel et à ses infrastructures d'accompagnement ; elle était nettement moins optimiste en 1991 puisqu'elle estimait que la région allait perdre environ 9 000 emplois. Ces chiffres, radicalement opposés, se justifiaient par une série de facteurs insignifiants dont la somme suffisait à provoquer cet écart.

Selon la Commission d'enquête, la stratégie initiale (en 1987) avait encouragé de façon démesurée Ashford à devenir un grand centre industriel et commercial européen 279 ; elle avait également trop misé sur le tourisme comme moyen de résoudre les problèmes économiques de l'Est du Kent. Par ailleurs, elle avait accordé trop peu d'importance au développement de villes côtières telles que Swale, Cantorbéry, Douvres et Shepway. Si les projets routiers directement liés au tunnel ont relativement bien progressé, les autres, pourtant d'une importance capitale en vue du développement économique et de l'aménagement des sites utilisables, ont été retardés. Ainsi, la stratégie dans l'Est du Kent a perdu de la vitesse de 1989 à 1991.

La Commission d'enquête de 1991 prévoyait que l'Est du Kent devait prendre des mesures d'urgence si elle ne voulait pas subir l'impact négatif du tunnel et du Marché Unique Européen. Dès lors il devenait impératif de libérer les sites de développement de Douvres, Sheerness et Thanet de leurs contraintes matérielles et financières, d'agir afin de conserver l'activité maritime, de mettre en place un programme de formation et de reconversion à Douvres et d'achever la remise en état des infrastructures routières et ferroviaires. Des ressources nationales et locales supplémentaires allaient être nécessaires pour mener à bien ces projets.

Notes
275.

ibid., pp. 55-69.

276.

"the key to the Study Team's proposals for East Kent. It has the potential to become the manufacturing and commercial hub of the sub-region radiating development outwards to the depressed North-Eastern areas and coastal towns", ibid., p. 60.

277.

"The extent of the challenge, on which the future prosperity of East Kent substantially depends, may not yet be fully appreciated", ibid., p. 60.

278.

"the main solution must be diversification", ibid., p. 61.

279.

"leading European centre for industry and commerce", ibid., p. 68.