VI.1.2 Liaisons ferroviaires 285 :

Tout comme le réseau routier et autoroutier, le réseau ferroviaire 286 continental a fait l'objet d'un développement impressionnant. La Communauté des Chemins de Fer Européens a lancé un programme ambitieux de développement du réseau ferroviaire à grande vitesse à travers toute l'Europe, dans lequel le tunnel sous la Manche jouait un rôle-clé. Ce projet était soutenu par les Ministres des Transports des pays européens concernés et par la Communauté Européenne.

Côté britannique, avec un cinquième des personnes se rendant à Londres quotidiennement, le Sud-Est de l'Angleterre (Kent) était évidemment très dépendant de services ferroviaires appropriés. Ceci expliquait l'anxiété grandissante des usagers en 1987 face à une détérioration éventuelle et fort probable du réseau ferroviaire du Sud-Est du Kent, due aux passages des trains internationaux après l'ouverture du tunnel, sur un réseau déjà saturé à certaines heures de la journée. En fait, des études sur les horaires, effectuées à l'époque, avaient montré qu'il allait être possible de maintenir la même fréquence de trafic, y compris pendant les heures de pointe, à raison de trois trains internationaux par heure, en utilisant une autre ligne, via Maidstone, qui rallongerait à peine la durée du trajet.

Le fait de pouvoir faire fonctionner des services de trains directs par le tunnel en direction du continent était considéré comme un atout pour le fret qui est de plus en plus compétitif sur de longues distances. British Rail espérait ainsi attirer environ sept millions de tonnes de fret par an sur les services internationaux, afin de réduire le volume du trafic des transporteurs qui, sinon, utiliseraient le réseau routier du Kent en direction des ports.

Une étude effectuée auprès des entreprises du Kent a révélé que seules quelques-unes d'entre elles utilisaient, et allaient être tentées d'utiliser, le train pour leur trafic fret, que ce soit sur les marchés britanniques ou continentaux, plutôt que le ferry ou le Shuttle (une fois le tunnel ouvert) pour le fret international. Ceci signifiait que l'ouverture du tunnel, de même que la construction d'une ligne ferroviaire internationale, allait avoir peu d'impact sur les entreprises locales et donc sur le développement économique du Kent en général. La seule exception à cette règle concernait les ports situés au nord du Kent qui semblaient intéressés par la ligne ferroviaire internationale pour la distribution des marchandises sur le marché britannique.

De par les avantages du train sur de longues distances, la plupart des nouveaux contrats internationaux passés par British Rail allaient provenir des régions autres que le Kent et les marchandises allaient être transférées de la route au rail dans des centres de fret régionaux. British Rail avait tout intérêt à démontrer les avantages de ses services au point de vue de la vitesse et de la fiabilité.

Au cours des premières années d'exploitation, il était à craindre que le Kent subisse les effets négatifs du trafic fret routier, sans pouvoir en tirer les bénéfices. En effet, l'ouverture du nouveau système de transport permettait un volume de trafic plus important à travers le comté, ce qui risquait d'engendrer des problèmes de congestion du réseau routier et, en conséquence, des nuisances sur l'environnement local. Or, cette croissance du trafic n'était pas automatiquement synonyme de profit pour la région, car la plupart des transporteurs routiers allaient uniquement transiter dans le Kent, sans nécessairement s'arrêter.

L'amélioration des services ferroviaires pour les voyageurs visait à réduire le temps de trajet et donc à augmenter la proportion de voyageurs se rendant à Londres. Cette stratégie allait avoir un impact positif sur les zones ayant un taux de chômage important, mais risquait par ailleurs d'attirer trop de monde dans les quartiers résidentiels, créant ainsi une pression sur le marché de l'immobilier ; de même, dans les zones déjà sujettes à un trop-plein économique, une croissance de la population allait créer une pression sur le marché du travail, en raison d'une demande supplémentaire en services aux consommateurs.

L'amélioration des services ferroviaires pour les voyageurs allait représenter un facteur significatif de localisation au Centre et au Nord du Kent pour les compagnies de services, surtout de services financiers, en provenance de Londres. De même, la majeure partie du personnel de ces entreprises allait utiliser les chemins de fer pour se rendre à Paris et à Bruxelles, ce qui allait donner toute sa raison d'être à la gare internationale d'Ashford. Cette gare était d'une importance indéniable pour les habitants de l'extrême sud-est du Kent, car elle leur évitait de remonter à Londres, soit dans la direction "opposée" à leur destination, pour se rendre sur le continent. Elle devait aussi inciter ces usagers à laisser leur véhicule à la gare internationale d'Ashford au profit du train, voire même à voyager en train plutôt qu'en voiture sur la totalité du trajet. La présence de cette gare pouvait aussi attirer des entreprises non seulement à Ashford mais dans d'autres villes du Sud-Est du Kent, telles que Cantorbéry et Folkestone. Enfin, elle permettait tout simplement un meilleur accès à l'Est du Kent, ce qui signifiait davantage de tourisme.

Les services ferroviaires pour les voyageurs entre Londres et le Kent étaient (et sont toujours) relativement lents en comparaison de ceux du reste du Sud-Est du pays ; ceci était dû à l'âge des équipements et au surpeuplement aux heures de pointe. Le potentiel de développement des services ferroviaires dans le Kent pour se rendre d'une ville à une autre ou pour faire du tourisme était considérable. Il existait un réseau ferroviaire important reliant les principales localités pour les déplacements "nécessaires" ; quant à l'aspect touristique, British Rail a passé des contrats avec Sealink, Hoverspeed, White Cliffs Experience, Leeds Castle et autres.

Le 17 décembre 1990, les plans de création du réseau ferroviaire européen à grande vitesse, présentés par la Commission Européenne, furent approuvés par le Conseil des Ministres Européen des Transports, ce qui donna une impulsion supplémentaire au processus d'intégration des réseaux ferroviaires britannique et continentaux. Outre la construction de 9 000 kilomètres de voies ferrées, l'amélioration de 15 000 kilomètres de lignes existantes et la création de 1 200 kilomètres de liaisons secondaires reliant entre elles les lignes principales, ces plans préconisaient l'harmonisation des procédures de circulation des trains à grande vitesse afin qu'ils puissent emprunter les réseaux ferroviaires des différents pays et qu'ils puissent être exploités par les diverses compagnies de chemins de fer.

Ainsi, en 1991, l'ouverture du tunnel était toujours prévue pour l'été 1993 et l'échelonnement de l'exploitation des différents services était prévu comme suit :

  • le transport du fret et des voyageurs par le train entre Londres, Paris et Bruxelles devait commencer dès l'ouverture du tunnel ;
  • le transport des voyageurs par la navette (Shuttle Tourisme) devait débuter en service réduit en septembre 1993, puis en service plein à partir de décembre 1993 ;
  • le transport des marchandises par la navette (Shuttle Fret) risquait d'avoir du retard jusqu'à la résolution des problèmes de détection du feu et de contrôle de la fumée en cas d'incendie ;
  • le transport des passagers par le train au-delà des trois capitales était retardé jusqu'en 1994, voire 1995.

Il subsistait toujours une grande incertitude quant à la construction de la nouvelle ligne ferroviaire internationale entre Londres et le tunnel sous la Manche. Si elle était construite, elle n'ouvrirait pas avant 1998, voire en l'an 2000. Les détails de son tracé n'étaient toujours pas définis et on ne savait pas si le trafic fret allait pouvoir être assuré sur cette ligne pour une question de poids. La gare internationale d'Ashford, elle-même, était encore en pourparlers.

Pourtant, la construction de cette ligne à grande vitesse était essentielle en vue de réduire le temps de trajet et, en conséquence, de rendre le tunnel compétitif face aux autres moyens de transport. L'absence d'une telle ligne allait être, selon les estimations, synonyme d'un manque à gagner de l'ordre de 5 millions de voyageurs (21 millions de voyageurs avec la ligne ferroviaire, contre 16 millions sans cette même ligne) ; elle allait entraîner des problèmes d'encombrements plus importants, des retards, un manque de confiance dans le transport ferroviaire dont tout le réseau allait souffrir, un trafic routier plus important et en conséquence des coûts liés à l'impact sur l'environnement supérieurs à ceux prévus.

De plus, le retard enregistré dans la construction des terminaux pour le fret ferroviaire impliquait une révision à la baisse du nombre de tonnes de marchandises transportées par le train au début de l'exploitation du tunnel, ce qui signifiait à nouveau un trafic routier plus important et un impact négatif sur l'économie et l'environnement.

Notes
285.

ibid., pp. 86-90.

286.

voir annexe 9.