I-2 Sur le plan du développement économique :
point sur la situation

Une des mesures d'accompagnement identifiées par la Commission d'enquête, si le Kent voulait maximiser les retombées positives du tunnel, concernait la politique de développement économique, dont la mise en oeuvre était du ressort des autorités locales. Cette politique s'articulait autour de trois axes : nécessité de développer les sites liés au tunnel (surtout le terminal de Cheriton et la gare internationale d'Ashford) afin de stimuler la croissance économique, de promouvoir la viabilité des ferries et enfin d'obtenir de nouveaux investissements dans le Kent (en soulignant l'aspect attrayant du tunnel) afin de stimuler la restructuration de l'économie locale.

Le Conseil du comté du Kent craignait de perdre des emplois au niveau local car la région risquait de souffrir des travaux liés à la construction du tunnel et, en conséquence, de perdre son côté attrayant pour les investisseurs et les visiteurs.

La situation était plus ambiguë au niveau des villes portuaires car la région voulait tirer profit du tunnel et, dans le même temps, sauvegarder l'emploi existant. En 1985, les ports du Kent comptait 12 450 emplois portuaires et maritimes ; avec la croissance du trafic transmanche, ce chiffre avait augmenté à un peu plus de 13 000 emplois en 1991 ; à la veille de l'ouverture du tunnel, le nombre d'emplois était déjà en baisse, à 11 100 emplois, en raison de la concurrence annoncée ; les pertes concernaient principalement Douvres, où 20 % de l'emploi local provenait de ce secteur. La région s'inquiétait donc pour Douvres qui allait nécessairement souffrir de l'arrivée d'un nouveau système de transport apte à rivaliser avec les compagnies de ferries. Le fait est que Douvres a dominé le marché transmanche, comptant 66 % des marchés belge et français, avec une croissance régulière au cours des vingt dernières années. De 1985 à 1994, le trafic des véhicules de tourisme a augmenté de deux-tiers à Douvres qui a vu passer plus de 3 millions de véhicules par an et celui des voyageurs a progressé d'un tiers, soit plus de 19 millions de voyageurs. Entre 1985 et 1992, le trafic fret a plus que doublé à Douvres, même si la part de marché (16-17 %) est restée constante sur l'ensemble des échanges au Royaume-Uni.

Toujours à l'Est du Kent, la priorité a aussi été donnée à la lutte contre les problèmes économiques persistants. La Commission d'enquête avait identifié ces problèmes dans son premier rapport en 1987 et préconisé la création d'une agence de développement pour l'Est du Kent. Faute d'accord entre les Conseils des divers comtés, elle n'avait pu voir le jour ; l'état de la situation économique de la région ayant empiré, l'idée a été relancée en 1991 et une agence 378 a été créée, en coordination avec le secteur privé et sous la pression d'Eurotunnel. Une des conséquences directes a été la décision d'attribuer à certaines parties de l'Est du Kent (Swale, Shepway, Douvres et Thanet) le statut d'Assisted Area 379 en juillet 1993 ; cependant, compte tenu de la situation catastrophique de Thanet qui affichait le plus fort taux de chômage et faisait partie, de ce fait, des dix plus mauvais marchés de l'emploi de la Grande-Bretagne, le degré d'assistance était supérieur 380 ; la ville a également obtenu une aide 381 de la Communauté européenne pour les années 1994 à 1996.

Enfin, la ville d'Ashford, à laquelle le statut de growth point 382 avait été attribué, était considérée comme un lieu stratégique propice à la création de sites de développement 383 . La ville était bien située du point de vue géographique (entre le tunnel et Londres) et possédait de bonnes liaisons routières et la gare internationale. Les autorités locales misaient sur sa capacité à devenir un centre d'affaires et d'investissements et, de ce fait, à contribuer à régénérer l'économie de l'Est du Kent.

Malgré toutes les initiatives qui ont été prises, les autorités locales ont eu des difficultés à mettre en oeuvre la politique de développement prévue. Le Professeur Roger Vickerman, le "spécialiste de la question", a suivi le développement économique du Kent et a tiré la conclusion suivante 384 ; il considère que plusieurs facteurs ont probablement contribué à cet état de fait : un manque de coordination, la mise en oeuvre tardive des mesures, des directives changeantes de la part du gouvernement central. En d'autres termes, il se pourrait que le Kent n'ait pas été à la hauteur des deux principaux objectifs fixés par la Commission d'enquête, à savoir : maximiser les opportunités offertes par le tunnel et minimiser les effets négatifs du tunnel pour la région.

Nous nous proposons néanmoins d'étudier les chiffres que nous avons pu nous procurer afin de faire le point sur la situation économique du Kent en ce qui concerne l’emploi, le chômage et les changements sur le tissu économique.

Notes
378.

East Kent Initiative (EKI).

379.

zone assistée

380.

'Full Development Area status' pour Thanet, alors que les autres villes mentionnées étaient considérées comme des 'Intermediate Areas'.

381.

European Regional Development Fund.

382.

point de croissance

383.

voir annexe 7.

384.

VICKERMAN, R.W., "The emperor without clothes: regional impacts of the Channel tunnel and associated infrastructures in Kent", in BURMEISTER, A. & JOIGNEAUX, G., Infrastructures et Territoires : Approches de quelques grands projets, Paris : L'Harmattan, 1997.