IV - RESULTAT D'EXPLOITATION

IV.1 Résultats comparatifs de 1994 à 1997 :

Nous reviendrons plus amplement sur l'aspect financier ultérieurement, dans le chapitre traitant de la dérive financière du projet 404 . Pour l'instant, il s'agit simplement de se pencher sur les résultats d'Eurotunnel depuis la mise en exploitation du tunnel sous la Manche.

Le chiffre d'affaires de la société pour la première année d'exploitation (à partir de mi-1994 au lieu de mi-1993) pour l'année 1994 ne dépassa pas 255,5 millions de francs, en raison du manque de capacité de transport, et les pertes s'élevèrent à 3,23 milliards de francs, soit un peu moins que ce qui était prévu.

En mars 1995, Eurotunnel atteignit, ce qu'on peut appeler, le "petit équilibre", c'est-à-dire que les dépenses étaient couvertes par le cash-flow 405 d'exploitation, les dépenses d'investissement, amortissements et intérêts financiers n'étant, bien entendu, pas pris en compte. En septembre 1995, Eurotunnel décida de suspendre le paiement des intérêts de sa dette, soit 68 milliards de francs, pour une durée de dix-huit mois, droit qui lui avait été concédé dès le départ, afin de revendiquer une baisse des taux d'intérêt et de négocier un rééchelonnement des créances.

Le chiffre d'affaires de la société pour l'année 1995 s'éleva à 2,266 milliards de francs (pour un total de 8 millions de passagers transportés) et les pertes d'exploitation, pour la même année, se chiffrèrent à 1,69 milliard de francs (au taux de la livre sterling de la fin décembre 1995, soit 7,59 francs).

La situation fut nettement meilleure en 1996, première année pleine d'exploitation de tous les services commerciaux, puisque la société approcha l'équilibre d'exploitation. Les résultats furent assez conformes aux attentes des analystes financiers. Eurotunnel enregistra un chiffre d'affaires de 3,99 milliards de francs, soit une augmentation de 76 %, par rapport à l'année précédente (2,266 milliards de francs), pour 13 millions de passagers transportés. Cette amélioration s'expliquait par le fait que les produits d'exploitation avaient progressé de 71 % et que les charges d'exploitation avaient connu une hausse modérée (de 5 % environ, sans compter les amortissements et les provisions), suite aux premiers effets du plan de réduction des coûts (lancé en 1996). Les produits d'exploitation, comprenant 298 millions de francs de produits d'assurance au titre de la perte d'exploitation consécutive à l'incendie survenu en novembre 1996, et "divers ajustements" (pour un montant de 17 millions) s'élevèrent à 4,3 milliards de francs. En face, les charges d'exploitation, hors amortissement et provisions, représentèrent 3,1 milliards de francs, ce qui donna un résultat d'exploitation de 1,15 milliard. Après amortissements et provisions, la perte d'exploitation fut ramenée à 292 millions de francs (contre 1,7 milliard de francs en 1995). Cependant, les intérêts et charges assimilées s'élevaient encore à 5,5 milliards de francs, soit, au total, 6 milliards de pertes nettes. Les pertes nettes pour l'année 1996 avaient donc été réduites de 1 milliard de francs par rapport à l'année précédente (7 milliards en 1995). Malgré l'incendie, il a été estimé qu'Eurotunnel avait réalisé, sur le plan commercial, un bon exercice en 1996. Il est fort dommage que le poids de la dette ait grevé le résultat net.

La société était confiante pour l'année suivante qui s'avérait prometteuse puisqu'elle prévoyait d'enregistrer son premier bénéfice d'exploitation, après amortissements et provisions.

Cependant, l'incendie du 18 novembre 1996 a beaucoup perturbé le trafic du tunnel, entraînant notamment une baisse de 13,1 % du chiffre d'affaires au premier trimestre 1997. Au cours de cette période, le trafic fret fut complètement paralysé, alors qu'il représentait environ 30 % du chiffre d'affaires de la société ; en revanche, les autres services fonctionnaient à peu près normalement, si ce n'est quelques restrictions de circulation imposées par les travaux de réparation.

Eurotunnel espérait néanmoins récupérer, d'ici fin 1997, les parts de marché transmanche qu'il avait à la fin de l'année 1996, à savoir, 47 % par le Shuttle Fret et 50 % par le Shuttle Tourisme.

Les résultats pour le premier trimestre de l'année 1997 furent jugés "très satisfaisants" par les dirigeants de la société, compte tenu des circonstances. Au total, le chiffre d'affaires (non audité au 31 mars 1997) s'élevait à 697 millions de francs, contre 802 millions de francs au premier trimestre 1996, soit une baisse de 13 %, principalement due à l'interruption du trafic par le Shuttle Fret.

A la fin du premier semestre 1997, le chiffre d'affaires d'Eurotunnel a accusé une baisse de 7,8 % à 1,6 milliard de francs, contre 1,7 milliard au premier semestre 1996. Cependant, ce résultat ne prenait pas en compte les avances consenties par les assureurs à titre de compensation à la suite de l'incendie du 18 novembre 1996 engendrant des pertes d'exploitation, indemnités s'élevant à 512,5 millions de francs, ce qui amenait le chiffre d'affaires à 2,1 milliards de francs pour le premier semestre 1997. Ce résultat "se situe en ligne avec les hypothèses faites dans le cadre de la restructuration financière" 406 de la société. Eurotunnel a donc réalisé son premier bénéfice d'exploitation s'élevant à 120,5 millions de francs et 7 millions de livres ; la société avait cependant toujours à son actif une perte nette de 3,102 milliards de francs et de 323 millions de livres (par rapport aux 3,042 milliards de francs au premier semestre 1996), en raison de lourdes charges financières (3,84 milliards de francs).

En juillet 1997, Eurotunnel annonça que la perte de 2,7 milliards de francs fixée dans le plan de restructuration de sa dette allait certainement s'avérer réaliste. Après la période estivale, en septembre 1997, la société admit qu'elle aurait sans doute des difficultés à atteindre son objectif de transport de 2,51 millions de véhicules de tourisme, principalement en raison de la concurrence des ferries, mais qu'elle pensait néanmoins atteindre son objectif de recettes en matière de Shuttle Fret et Tourisme ("cas de base") de 1.123 millions de francs. Patrick Ponsolle s'attendait à un résultat d'exploitation en progression qu'il estimait à 514 millions de francs.

Conformément aux attentes, la société réalisa en 1997 son premier bénéfice d'exploitation s'élevant à 652,8 millions de francs ; ce résultat s'inscrivait après une perte de 292 millions de francs en 1996 et en hausse de 29 % par rapport à l'objectif de 395 millions de francs annoncé en mai 1997 dans le Prospectus 407 en vue de la restructuration de la dette.

Cependant, compte tenu des retombées de l'incendie, de la concurrence des ferries et de la charge de sa dette, le résultat de la société pour l'année 1997 a finalement accusé une perte de 5,806 milliards de francs contre 6,099 en 1996. Il a été estimé que si le plan de restructuration avait été adopté plus tôt, la perte aurait pû être ramenée à 3,088 milliards de francs.

Au total, les recettes ont progressé de 14 % à 5,134 milliards de francs et les charges d'exploitation, s'élevant à 2,859 milliards de francs, ont baissé de 8 % par rapport à 1996. On peut cependant relever un fait curieux dans la ventilation des recettes d'Eurotunnel en 1997 : ses commerces lui ont plus rapporté (1,27 milliard de francs) que son propre service ferroviaire (1,09 milliard de francs). Les droits que doivent payer les réseaux pour utiliser le tunnel lui ont rapporté 2,05 milliards de francs, soit environ 50 % de ses revenus, ce qui n'est pas négligeable.

La fin de l'année 1997 fut ponctuée de décisions majeures pour l'avenir de la société : le 26 novembre 1997, le plan de restructuration de la dette d'Eurotunnel, s'élevant à 70 milliards de francs, fut approuvé par les 174 banques ; le 22 décembre 1997, la Concession du tunnel sous la Manche fut prolongée de 2052 à 2086 ; à la même époque, les contentieux opposant Eurotunnel à TML et aux compagnies de chemin de fer furent enfin réglés ; enfin, la société accepta les conditions des deux gouvernements en échange du prolongement de la concession.

Notes
404.

voir infra p. 260.

405.

Cash-flow(flux de trésorerie) : une des notions à laquelle il faut recourir pour évaluer le profit ; il s'agit de la somme du bénéfice net, de l'amortissement et des provisions, ECHAUDEMAISON, C.-D., Dictionnaire d'Economie et de Sciences Sociales, op. cit., p. 356.

406.

"Eurotunnel : le contrecoup de l'incendie", Figaro-économie, 14 août 1997.

407.

29 mai 1997.