II - ACTEURS A L'ORIGINE DES ALEAS FINANCIERS :

II.1 Eurotunnel face à TML :

Dans le contrat d'origine, Eurotunnel (le maître d'ouvrage) et TML (le constructeur) avaient désigné une première instance d'arbitrage, le panel, dont chacun pouvait contester les décisions devant la Chambre de Commerce International (CCI).

Dès le printemps 1988, il s'est avéré que les relations entre Eurotunnel et TML nécessitaient, compte tenu de leurs responsabilités, de leurs objectifs et de leurs compétences respectives, d'être réexaminées et réaménagées afin de pouvoir mener le projet à son terme, sans difficultés majeures. Une période de dure confrontation s'est ouverte entre Eurotunnel, TML et ses actionnaires. TML n'a cessé de multiplier les réclamations concernant les coûts, les spécifications et les délais, de même que celles fondées sur les retards de la ratification parlementaire et de la mise en place du financement. Il était urgent de trouver une solution permettant de respecter les modalités du projet, telles que décrites initialement. Après 9 mois de négociations difficiles, suivies de très près par les banques sur la fin, un accord fut conclu entre les parties selon lequel Eurotunnel consentait à accorder un mois de délai supplémentaire et des augmentations de prix sur la base d'un certain nombre d'échéances. Cet accord, entré en vigueur au mois de mars 1989, a permis de régler un grand nombre de réclamations, de rapprocher les points de vues et de mettre un terme à une situation conflictuelle très préjudiciable au projet. Selon cet accord, Eurotunnel et TML convenaient, d'une part, de mettre en place une nouvelle équipe de direction plus qualifiée et plus compétente, surtout dans le domaine des transports et, d'autre part, de travailler conjointement à la réduction des coûts, surtout des frais généraux, dans le cadre d'un programme axé sur l'ouverture du projet le 15 juin 1993.

A dater du mois de juillet 1991, les relations entre Eurotunnel et TML se détériorèrent à nouveau ; TML réclamait le remboursement des coûts plus une commission, au lieu du forfait prévu dans le contrat de construction, pour les équipements fixes du système, soit 14,5 milliards de francs par rapport à un forfait initial de 6,2 milliards porté à 7,2 milliards. En l'absence d'un compromis entre les deux parties, la question fut soumise au Comité d'Experts qui rendit ses conclusions en mars 1992, selon lesquelles les équipements fixes continueraient à être réglés sur la base d'un forfait et Eurotunnel et TML devraient négocier ensemble de nouveaux montants afin de couvrir les points litigieux ; si les deux parties ne parvenaient pas à un accord, le Comité d'Experts fixerait lui-même les éléments de calcul du forfait. Eurotunnel prit la décision de recourir à l'arbitrage pour régler ce différend. Le 27 juillet 1993, après des mois de conflits et de discussions, un Protocole d'accord fut signé entre Eurotunnel et TML, qui changea fondamentalement la situation dans la mesure où le réglement des réclamations était dissocié de l'achèvement des travaux. Ce Protocole stipulait que l'avance accordée à TML pour financer les travaux devait être remboursée par TML à Eurotunnel, avec intérêts, à compter du mois de mars 1995, à hauteur du montant des réclamations non justifiées. En d'autres termes, ce conflit eut des conséquences sur la mise en service du système de transport ; en effet, en raison de l'absence d'accord entre les deux parties, il n'était pas possible de signer un contrat de "mise en service phasée" (au lieu du contrat de livraison globale prévu à l'origine). Les responsables de TML déclaraient "livrer quand ils le pourront" -pas avant l'été 1994- alors qu'Eurotunnel espérait une mise en service progressive à partir de fin 1993. Pour inciter TML à livrer rapidement, Eurotunnel évoquait des pénalités de retard, mais TML demandait des extensions de délais. Pour arriver à cet accord, Eurotunnel et TML ont décidé de mettre de côté le conflit sur le surcoût des équipements fixes (7 milliards de francs) qui serait réglé par les procédures d'arbitrage propres au contrat qui liait les deux parties. La fin du contentieux financier entre Eurotunnel et TML fut annoncée en avril 1994. L'accord passé entre les deux parties stipulait qu'Eurotunnel devait verser 1,140 milliard de livres, soit 11,4 milliards de francs (valeur 1985) à TML au titre des équipements fixes 414 . En réalité, il ne lui restait plus que 600 à 730 millions de francs actuels à verser compte tenu des nombreuses avances accordées par Eurotunnel aux entrepreneurs. En revanche, TML s'engageait à garantir une partie de l'émission suivante d'actions (soit 650 millions de francs actuels) et à ce que l'intégralité du montant des bons de souscription fondateurs émis en 1986 (soit 52 millions de livres) revienne à Eurotunnel.

Source : Le Monde, 28 juillet 1993, p. 17.

Notes
414.

LARONCHE, M., "Eurotunnel versera 11,4 milliards de francs aux constructeurs du lien fixe trans-Manche", Le Monde, 6 avril 1994.