III.1 Les compagnies maritimes :

En 1993, juste avant le démarrage de l'exploitation commerciale du tunnel sous la Manche, le britannique Peninsular and Oriental European Ferries (P&O) régnait sur presque la moitié du marché transmanche (42 %, avec 13,4 millions de passagers, dont 8,9 millions sur la ligne Douvres-Calais, et 2,5 millions de véhicules de tourisme), devant le suédois Stena Sealink qui avait à son actif environ un tiers du marché (34 %, avec 7,7 millions de passagers et 1,3 million de véhicules de tourisme), alors que les autres compagnies maritimes, Brittany Ferries, Sally Ferries, North Sea Ferries et Hoverspeed (unique compagnie à exploiter les aéroglisseurs), se partageaient le reste du marché, ce qui représentait un marché transmanche total de 30 millions de passagers environ (britanniques à 80 %), 5,5 millions de véhicules de tourisme et 1,3 million de camions.

La tarification d'Eurotunnel fut gardée secrète jusqu'au mois de janvier 1994 afin d'empêcher les compagnies maritimes de trop anticiper la guerre des prix, prévisible sur la traversée transmanche. Ceci n'a pas empêché ces mêmes compagnies de se préparer à la concurrence avec la mise en place de tarifs promotionnels, de lignes supplémentaires et une harmonisation des dessertes. En effet, les compagnies de ferries ont très tôt investi dans d'énormes bateaux et lancé des campagnes promotionnelles avec des prix très attractifs. Afin de réduire les coûts d'exploitation, la plupart des compagnies ont engagé des restructurations draconiennes, tout en modernisant leur flotte : par exemple, en cinq ans, la flotte transmanche sous pavillon P&0 a bénéficié d'un investissement de 400 millions de livres et Sealink de 200 millions de livres. D'un souci d'économie sont nés les Jumbos, super ferries (cinq par compagnie), dont la capacité (2 200 passagers et 600 voitures) doublait celle des ferries ordinaires. Stéphane Bordier 425 déclara : "La perspective de l'ouverture du tunnel a réveillé les ferries : il y a dix ans, ils ressemblaient à de vraies bétaillères ! Aujourd'hui, ils tendent à se rapprocher des standards du transport aérien" 426 .

En effet, l'amélioration de la qualité du service à bord fut l'autre cheval de bataille des exploitants de ferries qui cherchaient à faire apparaître comme des mini-croisières ce qui restait un mode de transport de masse avant tout. En guise de plaisirs et de loisirs, les ferries offraient surtout des services d'ordre mercantile, de toutes sortes : restaurants, bars, jeux, boutiques hors taxes (qui, malgré l'entrée en vigueur du marché unique, ont été autorisées par la Commission européenne à vendre leurs produits hors taxes à bord jusqu'en 1999). En outre, les compagnies maritimes proposaient jusqu'à 70 aller-retours quotidiens en période normale et même si elles n'étaient pas compétitives en ce qui concerne le temps de traversée (1h30 minimum) ou les conditions météorologiques (dont elles sont tributaires), elles restaient les seules à pouvoir vanter les charmes d'une mini-croisière pour séduire la clientèle.

Après la publication des tarifs d'Eurotunnel en janvier 1994, les armateurs sont restés confiants et sereins, optimisme principalement lié aux résultats en terme de trafic pour l'année 1993. Si Eurotunnel tablait principalement sur la ligne Calais-Douvres, il en était de même pour les deux grosses compagnies maritimes, P&O European Ferries et Stena Sealink, qui entendaient affronter le tunnel sur cette même liaison, voire même au détriment d'autres liaisons (stratégie qui a condamné les ports de Boulogne, de Zeebruge et d'Ostende). Quand la politique tarifaire d'Eurotunnel fut rendue publique, les données comparatives étaient les suivantes : un aller-retour Douvres-Calais pour une voiture et cinq passagers maximum par Stena Sealink coûtait de 126 à 220 livres 427 selon la saison ; un aller-retour Douvres-Calais pour une voiture et huit passagers maximum par P&O European Ferries coûtait de 139 à 320 livres 428 ; et un aller-retour dans les mêmes conditions par Eurotunnel coûtait de 220 à 310 livres 429 . Les tarifs pour les camions, quant à eux, étaient négociés au coup par coup selon le transporteur. Les tarifs proposés par les différents modes de transport étaient donc sensiblement les mêmes au départ, si ce n'est qu'il était difficile de comparer ces tarifs car les montants différaient pour les ferries selon les périodes de l'année et la taille des véhicules. Néanmoins, en comparant les différents modes de transport à une date donnée, le tunnel n'offrait pas de réels avantages tarifaires.

Eurotunnel considérait que la qualité du service (rapidité, fonctionnement quelles que soient les conditions météorologiques ...etc) allait faire toute la différence pour les usagers. D'autre part, la société a fait la promesse de ne pas se lancer dans une guerre des prix. La question était de savoir si elle allait vraiment avoir le choix ; mais, d'un autre côté, Eurotunnel avait une marge de manoeuvre limitée et n'allait pas pouvoir se permettre de rentrer dans une guerre tarifaire. Il lui restait toujours la possibilité d'avoir recours aux tribunaux pour contrecarrer d'éventuelles ventes à perte de la part des armateurs. En revanche, la compagnie P&O European Ferries allait pouvoir se lancer dans une guerre des prix car son assise financière le lui permettait.

En février 1994, P&O décida de maintenir ses tarifs de traversée annoncés pour l'année en cours avant la publication des tarifs d'Eurotunnel. P&O pensait "que les tarifs sur la liaison Douvres-Calais" seraient "dorénavant fixés par lui-même, en tant que leader des compagnies de ferries, et le tunnel". Mais, en mars 1994, la compagnie changea de cap après l'annonce du nouveau retard (jusqu'à l'automne) du coup d'envoi des navettes passagers. Les compagnies maritimes décidèrent de mettre à profit le sursis qui leur était accordé pour faire campagne en vue de convaincre les 70 % de Français qui n'avaient jamais franchi la Manche, en déclenchant une guerre des tarifs et des fréquences (qui allaient atteindre 170 traversées quotidiennes pour l'été 1994, toutes compagnies confondues). Les offres promotionnelles ne cessèrent de déferler, toutes aussi alléchantes les unes que les autres ; déjà, du 18 juin au 25 septembre 1993, c'est-à-dire avant même l'annonce officielle des tarifs d'Eurotunnel, la P&O avait offert des aller-retours Calais-Douvres pour 5 livres 430 par personne si l'aller-retour était effectué dans la journée ; en décembre 1994, la Stena Sealink 431 avait baissé de 20 % le prix de l'aller-retour Calais-Douvres pour un séjour de cinq jours. Pour l'été 1994, les prix furent révisés à la baisse pour P&O, qui offrit 25 % de remise sur les traversées effectuées aux heures et jours de pointe entre Douvres et Calais ; d'autre part, les traversées effectuées très tard le soir et très tôt le matin, ainsi que les escapades de courte durée (de 3 à 5 jours) bénéficièrent de réductions substantielles. A ces rabais, s'ajoutèrent des promotions ponctuelles : par exemple, la compagnie Sally Ferries offrait des aller-retours pour une voiture et deux passagers au départ de Dunkerque pour 500 francs jusqu'au 30 juin 1994, voire même 50 % de réduction pour les voyageurs qui avaient réservé avant le 30 avril leurs passages pour les mois de juillet-août 1994. A partir de ce mois de mars 1994, elles disposaient de cinq mois pour convaincre, puis fidéliser des voyageurs avant qu'Eurotunnel ne leur propose de traverser la Manche en 35 minutes par le tunnel, au lieu de 75 minutes en ferry ou 35 minutes en aéroglisseur.

Les compagnies maritimes étaient cependant parfaitement conscientes qu'elles allaient perdre des clients, que ce soit des familles voyageant en voiture ou des piétons utilisant l'Eurostar. Elles espéraient que le tunnel allait attirer une clientèle nouvelle, plutôt que leurs anciens clients. P&O European Ferries et Stena Sealink, qui desservaient la liaison Douvres-Calais, s'attendaient à céder au tunnel environ 40 % des passagers et 25 % des camions qu'elles transportaient jusqu'alors. En revanche, elles comptaient sur l'augmentation du trafic transmanche pour survivre, compte tenu de la hausse ininterrompue des échanges, depuis 25 ans, entre la Grande-Bretagne (qui fournissait les trois-quarts des voyageurs) et le continent. Dans l'hypothèse où les chiffres deviendraient alarmants, les compagnies P&O et Stena Sealink (employant 8 000 salariés sur la liaison Douvres-Calais) ont reçu l'autorisation, malgré l'interdiction temporaire de coopérer opposée aux deux compagnies par le gouvernement britannique en juillet 1993, par crainte de monopole, d'effectuer une démarche commune à compter de l'automne 1994, après évaluation des premiers impacts de la mise en service du tunnel sous la Manche. Selon les estimations, la liaison ferroviaire transmanche allait amputer ces compagnies de la moitié de leur trafic passagers. Toutefois, en novembre 1994, soit six mois après la mise en service des navettes poids lourds, les chiffres en ce qui concerne le fret maritime atteignirent des records. Comme en témoigna Patricia Kiefer 432 : "Sur la ligne Calais-Douvres, tous les records sont battus. Après un mois d'août exceptionnel (37 000 camions transportés), septembre a été encore meilleur : 44 300" 433 ! Chez Stena Sealink, compagnie qui acheminait un tiers du fret transmanche, Didier Bonnet 434 était tout aussi enthousiaste : "Nous n'avons jamais connu une progression aussi forte que depuis l'ouverture du tunnel : sur les trois mois de l'été 1994, nous avons enregistré une hausse du trafic fret de 25 % par rapport à 1993" 435 .

Ces chiffres s'expliquaient de diverses façons : ils pouvaient être attribués à l'amorce d'une certaine reprise économique, en Grande-Bretagne notamment ; d'autre part, en ce qui concerne le fret transporté par navettes dans le tunnel (soit dix fois moins sur la même période), le trafic était toujours soumis à la restriction des week-ends dans l'attente du visa d'exploitation délivré par la CIG, attendu pour la fin de l'année 1994 ; ce trafic poids lourds avait littéralement chuté après l'instauration du plein tarif en août 1994, le prix de lancement particulièrement alléchant de 70 livres par camion n'ayant été appliqué que les deux premiers mois d'exploitation. Eurotunnel justifiait ses tarifs élevés par le gain de temps (environ 1h30 au total) ; encore fallait-il que les transporteurs aient intérêt à gagner du temps. En effet, comme l'expliquait Thierry Leduc 436 : "L'argument temps est à relativiser par rapport à la durée totale du transport. Appréciable entre Londres et Lille, le gain de temps est en fait négligeable sur Marseille-Glasgow. En outre, pas question d'altérer notre compétitivité à cause du mode de traversée : nous ne pouvons pas justifier une majoration de tarifs auprès de nos clients pour la seule raison que nous empruntons le tunnel" 437 .

Source : Le Monde, 1 novembre 1994, p. 6

L'avis des chauffeurs, en ce qui concerne le confort de la traversée à pied sec, était assez mitigé. Ceux qui étaient en mesure de comparer les deux modes de traversée ne cachaient pas leur préférence pour le ferry qu'ils considèraient "plus relax": "Sur le bateau, on a le temps de discuter avec les collègues, de faire des achats au duty-free... Et puis, les menus sont plus copieux" 438 , déclarait Thomas qui livre en Angleterre des jouets fabriqués dans l'Ain. Il faut reconnaître que la voiture-salon, le wagon réservé aux chauffeurs, ressemble plus à une rame de RER qu'à une salle de restaurant, même celle d'un ferry.

Il semblerait donc qu'Eurotunnel ait commis une erreur de fond, à savoir une sous-estimation de la capacité de réaction des compagnies de ferries. En moins de trois ans, elles ont investi près de 10 milliards de francs pour renouveler leur flotte, augmenter les fréquences, accélérer les procédures d'embarquement. Chez P&O et chez Sealink, le concept de la mini-croisière était une chose acquise : casinos, restaurants, salons confortables, restauration rapide de type McDonald's. Le résultat était une nouvelle génération de ferries rapides, confortables et modernes à des prix défiant toute concurrence, au risque d'être accusée de dumping 439 . Une des conséquences de cette offensive des compagnies de ferries a été l'accueil assez froid que les routiers ont réservé au Shuttle. Du côté des touristes, bon nombre de Britanniques allaient rester longtemps attachés aux ferries.

Les premiers effets de la concurrence d'Eurotunnel se firent sentir auprès des compagnies maritimes dès janvier 1995, soit quelques mois seulement après l'ouverture du tunnel. P&O a connu une forte progression de son trafic en 1994, avec 14 millions de passagers, toutes lignes confondues (avec 21 navires), soit 17 % de plus qu'en 1993, et 10,5 millions de passagers, soit 18 % de plus qu'en 1993, sur la seule ligne Douvres-Calais où la compagnie détient 60 % du marché, et 1,25 million de transporteurs, soit une croissance de 15 % par rapport à 1993. Le pool Sealink (9 navires), qui regroupe le français SNAT et l'anglo-suédois Stena Line, a transporté, quant à lui, 8,7 millions de passagers, soit 12 % de plus qu'en 1993, 1,5 million de voitures de tourisme (+ 14 %) et 515 000 camions (+ 13 %). Les responsables de P&O expliquaient ces résultats "par la reprise économique en Grande-Bretagne, plus forte qu'en France, mais aussi par la situation concurrentielle créée par l'ouverture du tunnel sous la Manche". Malgré les bons résultats de l'année 1994, les compagnies maritimes faisaient preuve de beaucoup moins d'optimisme pour l'année 1995. Lord Sterling of Plaistow 440 déclara : "le facteur inconnu réside dans la manière dont va se développer le marché compte tenu de l'actuelle baisse des prix". P&O comptait maintenir le volume de marchandises transportées au niveau de celui de 1994, grâce à la reprise économique qui se faisait sentir, mais le trafic passagers était moins assuré.

Ainsi, même en partant sur la base d'une croissance de plus de 50 % de son chiffre d'affaires 1996, le développement des recettes et du cash-flow d'Eurotunnel au cours des trois années suivantes allait être très certainement freiné, entre autres, par le très bas niveau des tarifs pratiqués sur le marché du transport transmanche, conséquence directe de la concurrence débridée que les compagnies maritimes menaient aux services de navettes Eurotunnel. Cette concurrence risquait fort de durer tant que ces compagnies de ferries auraient la possibilité de pratiquer des tarifs inférieurs à leur coût de revient, grâce aux profits considérables qu'elles réalisaient sur les ventes hors taxes à bord, ventes qui, comme nous l'avons vu, ne cesseraient pas avant le mois de juin 1999, date à laquelle le régime des ventes hors taxes au sein de l'Union Européenne serait aboli.

III.2 Les compagnies aériennes :

La guerre des transports transmanche débuta lorsque le TGV Eurostar promit d'être "un train pour tout le monde", avec des prix de lancement défiant toute concurrence (environ 600 francs aller-retour par personne). Le service Eurostar avait pour objectif de séduire les hommes et femmes d'affaires londoniens qui allaient pouvoir se rendre du centre de Londres au centre de Paris en trois heures (ou au centre de Bruxelles en 3h15), avec des horaires qui allaient leur permettre d'effectuer l'aller-retour dans la journée. L'avion pouvait sembler plus rapide : une heure de vol seulement entre Heathrow et Roissy, mais le trajet de centre à centre était comparable, compte tenu du fait que les voyageurs devaient se rendre à l'aéroport, puis supporter pratiquement une heure d'attente à l'enregistrement... et risquer un retard s'ils devaient attendre des bagages ou patienter lors du passage en douane. D'autre part, le TGV Eurostar a élaboré sa grille tarifaire en s'inspirant de celle de l'avion. Par suite de l'annonce des tarifs de la SNCF (de 790 à 1 620 francs), Air France s'alignait avec des tarifs promotionnels à 790 francs (avec une classe affaires plus chère). En réponse à cela, la SNCF a soigneusement étudié de nouveaux tarifs pour le premier trimestre 1995 avec le souci de rester légèrement moins cher que les transporteurs aériens. Les compagnies aériennes étaient conscientes du fait qu'elles allaient perdre quelques parts de marché, au même titre que les compagnies maritimes, au profit du train à grande vitesse. Pourtant, avec 3,6 millions de passagers en 1993 dans les deux sens (par rapport à 2,14 millions en 1983), la ligne Londres-Paris était, comme nous l'avons déjà mentionné, la première route aérienne du monde. En effet, cette ligne était la liaison européenne la plus utilisée par les voyageurs d'affaires. Avant l'arrivée du TGV Eurostar, ils n'avaient qu'une solution : l'avion. Entre les deux modes de transport, la différence n'allait pas se faire sur le temps de trajet. L'avantage indéniable de l'Eurostar sur l'avion était sa ponctualité et sa fiabilité ; en effet, malgré quelques rares pannes, le TGV respectait ses horaires à la minute près, pour 75 % de ses voyages, alors qu'en empruntant l'avion, le retard pouvait atteindre 45 minutes en cas d'encombrement du ciel au-dessus de la Manche. Cependant, l'avion restait encore imbattable sur la fréquence des rotations : plus de 400 aller-retours hebdomadaires par avion, contre une quarantaine de liaisons par semaine en TGV. Il est vrai que sur cette destination, l'Eurostar devait faire face à la concurrence de sept compagnies aériennes : British Airways (et ses filiales TAT et City Flyer) avec 151 fréquences hebdomadaires, Air France avec 118 fréquences par semaine, puis Air UK, Air Liberté et British Midland. Après des années d'explosion, la croissance du trafic fut pratiquement nulle sur cette ligne en 1993, ce qui obligea les compagnies à faire de nombreuses promotions tarifaires pour ne pas perdre trop de parts de marché. Chaque jour, les compagnies en présence déployaient en moyenne 90 vols (45 aller-retours). Les pouvoirs publics songeaient même à autoriser Air France à rouvrir la ligne Orly-Londres, délaissée avec la montée en charge de Roissy. En outre, on a assisté à un déferlement des compagnies aériennes sur Orly ; depuis le mois de juin 1994, l'aéroport parisien a été ouvert à la destination londonienne. Après un bras de fer entre les deux gouvernements, British Airways a réussi à forcer les portes d'Orly, entrainant dans son sillage les compagnies TAT, Air UK et British Midland, qui desservaient Londres aux côtés d'Air France et d'Air Liberté. Selon les Aéroports de Paris, la perte était, à l'époque, estimée à un tiers du trafic au bout de trois ans. Un porte-parole de British Airways, principale compagnie d'aviation sur la ligne très rentable Londres-Paris, expliquait que la compagnie s'attendait à une forte baisse de fréquentation à court terme, le temps que les voyageurs testent le nouveau produit, "mais, à long terme, Eurostar va faire progresser l'ensemble du marché". Les compagnies aériennes qui pourraient reprendre les lignes britanniques d'Air France, ne minimisaient pas la concurrence du TGV, car elles avaient déjà eu une expérience exemplaire avec le cas de la ligne Paris-Lyon ; alors que la compagnie intérieure transportait 1 million de voyageurs entre Paris et Lyon avant l'arrivée de TGV, elle n'en comptait plus que la moitié après sa mise en service. Un responsable d'Air Inter fut très explicite à ce sujet : "On ne soupçonnait pas que le TGV serait un concurrent aussi féroce ; entre Paris et Lyon, le TGV, dont l'arrivée s'est traduite par une chute brutale et jamais rattrapée de notre trafic, détient aujourd'hui 90 % des parts de marché." (...) "Si le TGV n'existait pas sur cette destination, ce serait notre premier marché avec 2,5 millions de clients" 441 . Ceci expliquait que devant le phénomène Eurostar, chacune des compagnies aériennes ait son mot à dire ; British Midland pariait sur "le prestige de l'avion par rapport au train", British Airways misait sur les cartes de fidélisation et Air France offrait des tarifs "coup de coeur" (à 670 francs aller-retour) qui faisaient fureur, de même que l'annonce du téléphone à bord des avions pour fin juin 1994 (ce qui correspondait à la date de mise en service de l'Eurostar !).

Les compagnies aériennes reconnaissaient que le TGV Eurostar allait représenter une sérieuse concurrence sur les trajets d'une capitale à l'autre, ce qui n'était pas le cas sur des distances plus longues à travers l'Europe, où l'avion allait rester compétitif compte tenu de la durée du voyage. En effet, chez British Airways, on se rassurait en notant que 45 % du trafic au-dessus de la Manche donnait lieu à des correspondances et ne serait donc pas détourné. Les données risquaient de changer quand les Britanniques et les Belges auraient enfin construit leurs voies à grande vitesse. Les compagnies devraient toutefois faire en sorte de proposer un service haut de gamme pour rivaliser avec celui de première classe assuré par le TGV Eurostar. En l'occurrence, certaines compagnies ont entrepris de soigner les prestations après une période d'indigence ; British Airways, par exemple, a revu sa classe affaires et a réaménagé ses Boeing 767 qui assurent la liaison Orly-Londres.

Notes
425.

Chargé de communication au nouveau terminal de Dieppe.

426.

Propos rapportés par BAVEREL, P., "Mal de mer ou claustrophobie ?", Le Monde, 7 mai 1994, p. 33.

427.

Soit 1 260 à 2 200 francs environ, à un taux de change de £1 = 10 frs.

428.

Soit 1 390 à 3 200 francs environ, à un taux de change de £1 = 10 frs.

429.

Soit 2 200 à 3 100 francs environ, à un taux de change de £1 = 10 frs.

430.

Soit 50 francs environ, à un taux de change de £1 = 10 frs.

431.

Voir annexe 12.

432.

Attachée de presse de P&O European Ferries, compagnie qui acheminait près de la moitié du fret transmanche.

433.

BAVEREL, P., PERSPECTIVES TRANSPORTS "Eurotunnel : les camions préfèrent le bateau", Le Monde, 1 novembre 1994, p. 6.

434.

Président de la SNAT (Société Nouvelle d'Armement Transmanche) qui exploite le pavillon Sealink avec la Stena Sealink Line.

435.

BAVEREL, P., PERSPECTIVES TRANSPORTS "Eurotunnel : les camions préfèrent le bateau", Le Monde, article déjà cité.

436.

Directeur du marketing chez Norbert Dentressangle.

437.

BAVEREL, P., PERSPECTIVES TRANSPORTS "Eurotunnel : les camions préfèrent le bateau", Le Monde, article déjà cité.

438.

BAVEREL, P., PERSPECTIVES TRANSPORTS "Eurotunnel : Paroles de chauffeurs", Le Monde, 1 novembre 1994, p. 6.

439.

Dumping: Pratique consistant à vendre à perte pour s'introduire sur un marché, accroître sa part ou éliminer les concurrents, ECHAUDEMAISON, C.-D., Dictionnaire d'Economie et de Sciences Sociales, op. cit., p. 132.

440.

Président de P&O.

441.

Propos rapportés par BAVEREL, P., "La réplique des compagnies aériennes", Le Monde, 7 mai 1994, p. 33.