4) Anti-méthode et règne de l’impromptu

a) Obsolescence des programmes

Ce qui ressort essentiellement de l’étude du scénario de l’interaction de répétition est en définitive l’absence d’organisation systématique : non seulement il n’y a pas de modèle valable pour tous, mais en outre chaque metteur en scène peut lui même s’aventurer chaque jour dans des formes de travail non préméditées, et dont la fécondité même en terme de production de jeu est censée reposer sur leur caractère impromptu. Ce refus du systématisme dans les méthodes de travail est sans doute un phénomène d’époque et d’idéologie : si les années 60-70 ont pu voir éclore des théorisations en forme d’utopie de ce que devaient être les répétitions de théâtre - « répétition générale d’une nouvelle pratique sociale », commente Georges Banu 26 - les années 80, qui ont vu resurgir la figure du metteur en scène en « maître penseur », en même temps que s’effondraient les rêves collectifs, ont rendu à l’individu la liberté d’inventer et de disposer à sa guise de sa propre méthode de travail. Georges Banu, introduisant l’ouvrage sur les répétitions dont il a supervisé la réalisation, parle en effet d’un « délitement des programmes à suivre » :

‘Il ne s’agit plus d’un modèle de travail, mais d’une expérience de travail. La répétition n’est plus fléchée, le chemin est à déterminer. La répétition s’individualise... 27

La transition ne s’est pas faite sans difficulté semble-t-il, particulièrement en Allemagne ou Luc Bondy a manifestement beaucoup déstabilisé les comédiens de la Schaubühne en introduisant sa « non-méthode » : Udo Samel, comédien allemand, témoigne ainsi de cette rupture :

‘Pour les comédiens allemands, il est très fascinant de travailler avec Luc Bondy, parce qu’il possède la force de briser cette volonté qui consiste à vouloir faire exactement tout selon un plan préétabli. Il crée un chaos indescriptible et c’est ainsi qu’il nous perturbe et nous libère. 28
Notes
26.

"La répétition, ou autoportrait d'un metteur en scène avec groupe", Alternatives théâtrales n°52-53-54, p. 7.

27.

Op. cit., p. 6.

28.

In Luc Bondy, La Fête de l’instant, entretiens avec Georges Banu, p.60.