a) Relations structurales

En termes d’analyse fonctionnelle, les relations propres à l’interaction de répétition peuvent être qualifiées de « structurales » : déterminées par le site (le lieu de répétition) et le programme (monter un spectacle), elles distribuent des rôles interactionnels stables et nettement distincts : chacun sait en quoi doit consister sa contribution à l’interaction. Evidemment cette distribution des rôles interactionnels se limite à une fonctionnalité duale mettant en relation d’un côté un metteur en scène (un « hyper-émetteur ») et de l’autre des comédiens (des « interacteurs ») 120  : l’époque des troupes organisées selon les « emplois » n’est plus, qui affectait à chaque comédien un type de rôle stable, comme on peut le voir, par exemple, dans la troupe de Six personnages en quête d’auteur. Pourtant, si nous opérons ce glissement de la notion de rôle interactionnel vers celle de rôle au sens théâtral du terme, c’est que ce second type de distribution n’est pas sans conséquence sur le premier : Anne-Françoise Benhamou observe en effet, à propos de la mise en scène d’Othello par Christian Colin, avec André Wilms dans le rôle titre, que les relations dans l’interaction de répétition sont souvent tributaires de la structure de la pièce :

‘C’est lui (André Wilms) qui pendant deux mois cimentera l’équipe par son humour affectueux. Je découvre à cette occasion à quel point la structure d’une pièce retentit sur celle d’un groupe et sa dynamique : André est au centre de l’attention générale, tandis que François Clavier, qui joue Iago et peine à apprendre son texte (Iago est le plus long rôle du théâtre de Shakespeare et de loin le plus abondant en monologues !) travaille énormément seul, en s’imposant une hygiène de vie draconienne qui le coupe des autres. 121

Certes, de tels phénomènes de structuration du groupe, les éventuels déséquilibres qui peuvent apparaître, sont aussi et surtout le fait de tempéraments plus ou moins « charismatiques ». Il va sans dire que le caractère des premiers rôles (plus présents, plus en vue) influence le climat général des répétitions, et la nature des relations qui s’y développent : Anne-Françoise Benhamou note à nouveau ce phénomène concernant les répétitions du Conte d’hiver mis en scène par Stéphane Braunschweig, à propos de Pierre-Alain Chapuis, qui interprète le rôle de Léontès :

‘Toujours là un quart d’heure au moins avant chaque répétition, il remâche son texte, assis sur le gradin, la brochure sur les genoux, emmitouflé comme un sportif avant l’épreuve dans son blouson de motard et son écharpe blanche. Comme André Wilms l’avait fait pour Othello, il donne le ton à l’équipe par sa courtoisie et son acharnement au travail. Sa connivence artistique profonde avec Stéphane est pour beaucoup dans l’avancée constante du travail. 122

Il y aurait ici beaucoup à dire sur les relations privilégiées que certains metteurs en scène entretiennent avec leurs comédiens « fétiches », poursuivies de spectacle en spectacle, qui constituent le noyau affectif du travail : une telle fidélité ne s’explique évidemment pas par le seul plaisir qu’il y a à travailler avec des gens qui sont aussi devenus des amis, mais aussi par la fécondité artistique propre à une telle relation de sympathie.

Notes
120.

Nous laissons de côté les autres praticiens, dont on n’a vu que la contribution à l’interaction stricto sensu - le volume d’énoncés proférés dans le cadre de la répétition - demeurait négligeable.

121.

A.-F. Benhamou, "Une éducation dramaturgique", Alternatives théâtrales n°52-53-54, p. 35.

122.

A.-F. Benhamou, article cité, p. 38.