3) Rapports de pouvoir

Pour analyser les rapports de pouvoir au sein des interactions communicatives, Catherine Kerbrat-Orecchioni propose le concept de « taxème »: construit à partir de l’étymon grec taxis (« place »), le terme désigne tout fait sémiotique valant à la fois comme « indicateur » de place et comme « donneur » de place, fonctionnant donc comme marqueur de position haute ou basse 136 . En termes d’analyse taxémique, l’interaction de répétition présente une très forte dimension inégalitaire : le metteur en scène jouit à l’évidence d’une position haute liée à sa fonction (il dirige le travail, et se trouve être, indirectement, l’employeur de praticiens qu’il a choisis et dont il est libre de se défaire), mais aussi éventuellement à sa position institutionnelle (lorsqu’il dirige la structure qui sert de cadre à la création). Lorsqu’en outre il jouit d’une certaine notoriété, que son âge et son expérience l’auréolent d’un savoir-faire reconnu, il se confond avec une figure de l’autorité difficilement contestable. Cette position « haute » du metteur en scène se traduit par le rôle interlocutif qui est le sien : il est responsable de la forme de l’interaction, en imposant une langue et un style, responsable de la structuration des échanges, dans laquelle il occupe très majoritairement la position émettrice, c’est à lui que reviennent la responsabilité de l’initiative des thèmes, ainsi que la responsabilité décisionnelle... Il peut encore être facilement l’auteur d’interruptions violatives, de poursuites autoritaires, et son discours enfin se caractérise par la surreprésentation d’actes de langage de type injonctif (ordre, interdiction, conseil, autorisation, suggestion) ou évaluatifs (critique, raillerie, invective, blâme, reproche...) qui sont tous des taxèmes de position haute. À ces taxèmes, il faut enfin ajouter la fonction poétique de sa position : instigateur du spectacle, responsable de tous les choix qui détermineront sa forme, il est l'inventeur d'un monde, créateur volontiers tenté de s'abandonner à l'omnipotence démiurgique : Patrice Chéreau dessine ainsi le portrait de ce despote que chaque metteur en scène risque de devenir, avec le temps :

‘Le risque c’est de devenir de plus en plus con. Il y a des exemples, ça c’est vu. Devenir très imbu de soi-même, parce que on recrée un monde sur le plateau et on se met à penser qu’on a tous les pouvoirs, implicitement on se met à penser qu’on a tous les pouvoirs. D’abord on risque de penser que le monde qu’on crée sur le plateau est plus intéressant que le vrai qui est à l’extérieur, il faut quand même rester relativement modeste... À force d’interrompre tout le temps on prend des mauvaises habitudes, hein, à force d’interrompre tout le monde, tout le temps, en disant « non pas ça pas ça. ».. 137
Notes
136.

C. Kerbrat-Orecchioni: Les interactions verbales, Tome II: « La relation interpersonnelle et la politesse dans les interactions verbales », Paris, Armand Colin, 1992, p. 75.

137.

Propos recueillis par Fabienne Pascaud dans Portrait de Patrice Chéreau.