b) Périverbalité dans l’interaction fictionnelle

Cette dimension (la gestualité) et ce qu’elle engage (« montrer » à l’acteur) nous introduit au deuxième « niveau » de périverbalité, essentiel dans l’analyse de l’interaction de répétition. En effet, les considérations qui précèdent, qui valent pour toutes sortes de communications orales, ne rendent pas compte de l’importance et de la spécificité du rôle de la périverbalité dans la mise en scène théâtrale. Si dans toute communication orale il y a du périverbal, distribué égalitairement entre tous les membres de l’interaction, dans l’interaction de répétition il y a deux niveaux d’échanges qui déterminent deux valeurs distinctes de la périverbalité : le premier niveau concerne les échanges entre metteur en scène et comédien, qu’on vient de voir, où la périverbalité se développe spontanément, comme appoint sémantique et fonctionnel à la réalisation de la communication ; le deuxième niveau concerne les échanges entre personnages, sur le plan de la fiction théâtrale, qui réclame pour advenir sur la scène qu’une périverbalité soit créée. Cette deuxième interaction (fictionnelle) est organisée par la première, dont la fonction essentielle et d’informer la périverbalité scénique : mettre en scène consiste en somme à doter un matériel exclusivement verbal (les énoncés du texte) des caractéristiques périverbales dont sa forme initiale est privée, mais qu’elle postule : la parole déployée par le metteur en scène a pour projet d’amener le comédien à « jouer » le texte, c’est-à-dire à produire les signes périverbaux susceptibles de l’animer.

Aussi l’étude du périverbal dans notre propre corpus se complique-t-elle sensiblement du fait qu’il ne s’agit pas tant d’une forme conversationnelle classique que d’une interaction mixte où deux types d’intervention alternent, dans lesquelles le périverbal n’a pas les mêmes incidences. D’un côté, le metteur en scène parle : il délivre un message qui transite essentiellement par le verbal, constitué d’énoncés improvisés, auquel s’adjoint naturellement le matériel périverbal propre à toute expression orale spontanée ; de l’autre, le comédien joue : à partir d’une verbalité prédéterminée et stable (les énoncés du texte, ou « T »), il module les caractéristiques périverbales de son énonciation conformément aux indications données par le metteur en scène, afin de révéler l’état affectif supposé sien et les significations implicites de ses énoncés, tels qu’ils ont été qualifiés par la parole du metteur en scène. On observe ainsi un échange qui fonctionne, à première vue, selon une alternance contrastée : une demande essentiellement verbale suscite une réponse essentiellement périverbale. Dans la parole de mise en scène, le périverbal n’est (la plupart du temps) qu’un appoint au message, dans le jeu de l’acteur, le périverbal est le message-réponse 164 .

Notes
164.

Nous nous situons là au niveau du travail de mise en scène, au cœur de la relation metteur en scène-comédien; ensuite, dans la représentation qui met en relation le comédien-personnage et le spectateur, le verbal est à nouveau porteur du message, même si le périverbal conserve une importance déterminante.