a) Une activité périphérique

Si sa fonction dans l'interaction de répétition est difficile à définir, c'est d'abord parce que, souvent, elle la déborde de toutes parts : s'il occupe la fonction de « dramaturge » ou de « conseiller littéraire » de façon permanente dans le cadre d'une institution, ses activités concernent pour la plupart l'en-dehors des répétitions. C'est à lui que reviennent, partagées avec celui qui dirige la maison, les responsabilités rédactionnelles (établissement des programmes et plus généralement des publications du théâtre), et « littéraires » en général : choix du répertoire (suggestions pour les créations « internes », sélection pour les spectacles invités), constitution d'une documentation critique et recherches historiques autour des textes retenus pour être portés à la scène... Dans certains cas, qu'il soit titulaire ou non d'un poste officiel dans le théâtre, son activité peut recouvrir également le travail de traduction : ainsi Bernard Dort, qui occupait la fonction de « conseiller littéraire » à l'époque de sa collaboration avec Jacques Lassalle au Théâtre National de Strasbourg, était-il également l'auteur des traductions de Woyzeck et de Emilia Galotti que le metteur en scène a portées à la scène : les termes dans lesquels il rapporte la nature de son travail avec Lassalle, dont l'approche de la création théâtrale « exclut la collaboration étroite d'un dramaturge » parce que « Lassalle est son propre dramaturge » illustrent très précisément la position restreinte du traducteur telle qu'on vient de l'étudier :

‘Là encore, je n'ai pas participé à la réalisation du spectacle. J'ai seulement été présent lors des premières lectures à la table. Mais c'est avant, dans l'élaboration définitive du texte français, que Lassalle et moi avons collaboré de manière proprement dramaturgique. Dans une phase essentielle : celle d'une relecture commune du premier état du texte français que j'avais établi. C'était moi qui le lisais, et Lassalle m'interrogeait. Alors, je justifiais mon texte ou je le modifiais. [...] Je restais responsable du texte français et la charge du spectacle revenait, tout entière, à Lassalle. 245

Donc, si l'activité dramaturgique déborde du cadre des répétitions, c'est essentiellement en amont de celles-ci, dans le travail préalable qui fait collaborer metteur en scène et dramaturge et/ou traducteur ; encore cette « collaboration », rappelons-le, est-elle fortement inégalitaire, et ces propos de Bernard Dort ne contrediront pas ce constat : il est certes responsable du texte français, mais après que les indications du metteur en scène en ont infléchi la forme.

Quelle peut alors être la place du « dramaturge » dans les répétitions telles qu'elles ont cours aujourd'hui ? Chez Lassalle, la question ne se pose plus : après une seule expérience, de trois jours, où il a tâché de travailler conjointement avec un dramaturge (en la personne de Jean-Pierre Sarrazac) sur Célimare le bienheureux de Labiche, il a tout simplement renoncé à ce type de compagnonnage : « cela nous a guéri tous les deux » affirme-t-il :

‘Il comprit, pour sa part, que l'intervention dramaturgique, chez lui, n'était que le refoulé d'un désir d'écrire et de mettre en scène. Je compris pour ma part, que le "paradoxe sur le comédien" de Diderot valait aussi pour le metteur en scène, à jamais duel dans son indivisible pratique du dedans et du dehors, d'être regardant autant que regardé. 246

Si l'obsolescence de la fonction de dramaturge est ainsi parfaitement admise et prise en compte dans la manière de travailler de Jacques Lassalle, bien des metteurs en scène continuent de recourir à ce « compagnonnage » plus ou moins heureux. Et ce n'est pas nécessairement la vocation d'écrivain du dramaturge qui fait obstacle à une collaboration heureuse ; si Lassalle diagnostique l'échec de son entreprise commune avec Sarrazac du fait, notamment, du « désir d'écrire » de ce dernier, il est d'autres dramaturges qui sont aussi des auteurs sans que cela ait des conséquences néfastes sur leur capacité à s'adjoindre à un projet de spectacle : ainsi la très fidèle collaboration qui unit Jean-Pierre Vincent à Bernard Chartreux, par ailleurs auteur de plusieurs pièces, ne semble pas souffrir de cette double vocation. Le duo, issu d'une équipe dramaturgique plus large (liée au Théâtre de l'Espérance dans les années 65-70), semble être en mesure de faire face, sans faillir, à toutes les résistances auxquelles peut se heurter la présence d'un dramaturge en répétition.

Notes
245.

Bernard Dort, "L'état d'esprit dramaturgique", in Théâtre/public n°67, p.12.

246.

Jacques Lassalle, "Répétitions en acte", in Alternatives théâtrales n°52-53-54, p.63.