2) Le metteur en scène, instance critique

Ces inquiétudes du metteur en scène en position de « publier » sa lecture, « d'imposer à ses semblables », comme disait Lassalle, « sa lecture de la pièce » marquent bien l'écart qu'il y a du simple « lecteur » auquel on l'a d'abord identifié, à la position qu'il occupe en réalité, qui l'engage à adresser cette lecture à une réception : il ne « parle » pas seulement sa lecture (au fil des répétitions), il l'écrit (sur la scène), et la vocation de sa lecture à la publication le rapproche de la position du critique littéraire, dont « l'abusive » posture (imposture ?) a finalement fait l'objet, au cours du XXème siècle, de reproches analogues à ceux que l'on a adressés au metteur en scène. Il n’est pas indifférent, d’ailleurs, que ces deux instances de lecture que sont le critique et le metteur en scène aient connu des destins parallèles : n’y a-t-il pas quelque rapprochement à faire entre l’avènement d’une critique subjective, personnelle, (dont Baudelaire esquisse les bases, et que Proust, « contre Sainte-Beuve », relaiera, suivi par Paul Valéry) et la manière dont la figure du metteur en scène, à peu près à la même époque, accède à sa pleine existence, « contre les genres bourgeois  », au nom d’un art à refonder ? Dans cette époque charnière du XIXème siècle finissant, et du XXème siècle commençant, la critique subit une mutation qui présente bien des points communs avec l’avènement du théâtre d’art : récupérée par les poètes, elle est érigée, à son tour, en « art » ; le critique n’y est plus l’instance moralisatrice, normative, qui se contente d’avaliser l’académisme et de figer une tradition en la canonisant : il se tient dans ce lieu où le lecteur devient poète, où le poète écrit sa lecture des œuvres des autres... L’art de la lecture-écrivante est né, et mise en scène et critique littéraire chemineront désormais d’un même pas, même si la critique, à chaque fois, marche devant : elles traverseront ensemble l’époque de la lecture psychanalytique, celle de la lecture sociocritique à tendance marxiste, puis récuseront ensemble ces « saints » auxquels elles se seront, à leur goût, abusivement vouées. S’il fallait trouver aujourd’hui, sinon un « modèle », du moins les prémisses, dans l’écriture critique, où se préfigure la relation des metteurs en scène au texte de théâtre, c’est semble-t-il dans ce véritable plaidoyer pour la nouvelle critique qu'est Critique et Vérité 291 , de Roland Barthes, que nous le chercherions.

Notes
291.

Roland Barthes, Critique et vérité, Paris, Seuil, 1966.