A . Le texte-document

Une fois n'est pas coutume, notre plan correspond ici peu ou prou à l'ordre chronologique du procès dont il rend compte. Il est en effet frappant de constater que l'approche « documentaire » du texte que nous voudrions aborder ici domine très largement le début des répétitions, et qu'elle semble disparaître à mesure que le travail avance. Ce que nous appelons l'approche documentaire tient le texte pour un « document », disons même un documentum : le latin médiéval fait entendre dans ce terme l'objet textuel qui « sert à instruire », « l'enseignement » qu'il contient. Dans son sens moderne, il fait résonner encore l'idée d'un « témoignage » que Foucault 324 reprend à son compte en proposant de distinguer deux types d'approche du texte, selon qu'elle institue le texte comme document, ou comme monument. Laissons pour l'heure le texte-monument, qui nous occupera ultérieurement. Le texte-document, qui nous intéresse ici, est l'objet de l'histoire littéraire, qui explore les conditions de sa production, éventuellement les étapes de sa genèse ; il est encore l’objet de la socio-critique ou de ce que nous appelons la biocritique, qui met le texte en relation « avec une psyché, consciente et/ou inconsciente, individuelle et/ou collective » 325 dont il atteste d'une manière ou d'une autre.

Si nous avons éprouvé le besoin de recourir au latin médiéval pour définir la manière dont le texte est ici envisagé, c'est précisément parce que le Moyen-Age a su régler « les rapports du livre [...] et de ceux qui avaient la charge de reconduire cette matière absolue [...] à travers une nouvelle parole » 326 selon des modalités subtiles profitables à notre propre entreprise taxinomique. C'est Roland Barthes, encore, qui se fait le relais de cette lumineuse classification, fort utile pour rendre compte des différents modes de maniement du texte par ces metteurs en scène qui ont, eux aussi, « la charge de reconduire cette matière [...] à travers une nouvelle parole » :

‘Le Moyen-Age [...] avait établi autour du livre quatre fonctions distinctes : le scriptor (qui recopiait sans rien ajouter), le compilator (qui n'ajoutait jamais du sien), le commentator (qui n'intervenait de lui-même dans le texte recopié que pour le rendre intelligible) et enfin l'auctor (qui donnait ses propres idées, en s'appuyant toujours sur d'autres autorités). 327

Salutaire classification, qui nous permet de rendre compte des étapes les plus « humbles » de la relation au texte, à commencer par celle de son établissement, où le médiateur se fait le plus discret : envisager le texte comme document c'est d'abord avoir une relation « objectale » avec lui, le manipuler comme une matière textuelle dont on peut reconstituer la genèse, et amputer les « excroissances » afin de le rendre maniable par d'autres lecteurs...

Notes
324.

Michel Foucault, L'archéologie du savoir, cité par Gérard Genette, in "Poétique et histoire", Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 17.

325.

Gérard Genette, Figures III, p. 10.

326.

Critique et vérité, p. 83.

327.

Op. cit., p. 83.