a) Une affaire de lecture

La détermination générique fait appel à ce que Genette identifie comme l’architexte ; la notion recouvre pour lui « l'ensemble des catégories générales, ou transcendantes - types de discours, modes d'énonciation, genres littéraires, etc. - dont relève chaque texte singulier » 355 . Dans le cas des textes qui nous intéressent ici, la catégorie architextuelle globale susceptible de les identifier n'est pas difficile à établir : à en juger par un certain nombre de caractéristiques formelles - structure dialoguée, absence de narrateur - ils appartiennent au genre « théâtre » 356  ; mais on n'a pas dit grand chose une fois qu'on a dit cela, et il est encore des catégories architextuelles globales à l'intérieur de ce grand genre qu'il convient de distinguer : s'agit-il d'une comédie, d'une tragédie, d'un vaudeville, d'un drame, etc. ? La question ne relève nullement d'un vain scrupule taxinomique, et derrière son apparente abstraction, concerne au premier chef des praticiens amenés à mettre en scène un texte. C'est bien une « question », dans la mesure où cette caractérisation est le plus souvent muette au niveau du texte lui-même : « le texte, souligne Genette, n'est pas censé connaître, et par conséquent déclarer, sa qualité générique » 357 et de poursuivre :

‘La détermination générique du texte n'est pas son affaire, mais celle du lecteur, du critique, du public, qui peuvent fort bien récuser le statut revendiqué par voie de paratexte. 358

La caractérisation est donc « muette », le plus souvent, de la part de l'auteur, mais non pas du côté du lecteur, ou du critique (qu'est le metteur en scène) ; aussi la critique architextuelle devient-elle une dimension essentielle de la relation métatextuelle dans l'interaction de répétition, déterminant l'interprétation de la pièce, en termes de lecture et en termes de jeu, selon des voies qui ne sont pas forcément celles que le texte se postulait pour lui-même. On se souvient de l'anecdote rapportée par Chéreau à propos de La mouette (en fait, à propos des Trois Sœurs) mise en scène par Stanislavski comme une tragédie, ce dont Tchekhov se serait offusqué pour ce qu'il avait écrit une comédie... L'affaire, au fond, n'a rien d'anecdotique : elle révèle à quel point « la perception générique [...] oriente et détermine dans une large mesure “l'horizon d'attente” du lecteur, et donc la réception de l'œuvre » 359 . Dans le domaine du théâtre cette « perception » est d'abord l'affaire du metteur en scène, et elle est d'autant plus déterminante qu'elle infléchit l'ensemble de sa « réception » de l'œuvre, et se traduit à la scène par l'ensemble de ses options interprétatives, devenant dès lors un enjeu fondamental de la mise en scène.

Notes
355.

Gérard Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, p.7. Genette remarque lui-même que le terme désigne chez Louis Marin « le texte d'origine de tout discours possible, son "origine" et son milieu d'instauration », proche de ce que l'auteur de Palimpsestes identifiera comme la catégorie de l'hypotexte. Pour ne pas brouiller les pistes, nous choisissons de nous en tenir à la taxinomie et à la terminologie de Genette.

356.

Ce n'est évidemment pas toujours le cas des textes portés à la scène, mais c'est du moins le cas pour tous les textes concernés par notre corpus.

357.

G.Genette, op.cit., p. 11.

358.

Ibid., p. 11. Rappelons que dans la terminologie de Genette, le "paratexte" recouvre l'ensemble textuel où s'élabore de manière privilégiée le contrat de lecture: "titre, sous-titre, intertitres; préfaces, postfaces, avertissements, avant-propos, etc.; notes marginales, infrapaginales, terminales; épigraphes; illustrations; prière d'insérer, bande, jaquette, et bien d'autres signaux accessoires, autographes ou allographes qui procurent au texte un entourage (variable) et parfois un commentaire..." (p.9).

359.

Gérard Genette, ibid., p11.