a) Hypercodage stylistique

Au titre de ces « faits de langage » révélateurs de la psychologie des personnages, on peut rappeler le commentaire qu’avait produit André Markowicz à l’intention des comédiens de L’inspecteur général mis en scène par Langhoff : la récurrence, dans les répliques, de locutions figées, d’expressions « cliché », et de tournures inachevées, dénonçait chez ces personnages une profonde vacuité, un manque à être sur lequel Martial di Fonzo Bo avait bâti toute la construction de son personnage. Le repérage de tels effets stylistiques suppose la détection de ce que Umberto Eco appelle « l’hypercodage stylistique » : il réclame une certaine compétence encyclopédique - connaissance de la langue d'origine, dans le cas des textes traduits, et de la culture d'une époque, lorsque le texte se réfère ou appartient à une époque passée - compétence sans laquelle la détection de ces « syntagmes stylistiquement connotés » est proprement impossible. Sur le plan pragmatique, un tel repérage est loin d'être indifférent : en cernant les contours de l'idiolecte d'un ou plusieurs personnages, il introduit à la reconstitution de ses déterminations socio-culturelles, voire idéologiques, propres à infléchir bien des aspects de la mise en scène (costume, type de posture et d'élocution, et plus généralement, comme dans l'exemple de l'Inspecteur général, mode d'être, rapport au monde...). Repérer ces faits de langage qui traversent les personnages à leur insu permet au metteur en scène de tenir un discours sur le discours « commun » ; si les metteurs en scène entendent se prémunir contre les effets de « cliché » en termes de mise en scène, ils ne négligent pas de souligner ce qui, dans la parole de leurs personnages, appartient à un discours préconstitué : l'analyse, dans le texte, de l'hypercodage stylistique, leur permet alors de dénoncer l'aliénation des uns et des autres dans une langue qui les parle plus qu'ils ne la parlent. Luc Bondy cite à ce sujet l'écriture d'Otto Von Horvath, qu'il affectionne précisément pour ce qu'elle permet de jouer avec ces effets de langage relatifs au « cliché » :

‘Horvath reste à cet égard un auteur exemplaire car il réussit à insérer dans le dialogue des phrases caractéristiques de la petite-bourgeoisie, phrases standard, à l'instant même où les personnages croient être les plus authentiques. Ainsi il porte un regard sur eux, et nous avec lui. 384

Ainsi, le regard des praticiens sur les personnages prend le relais du regard de l'auteur sur ses propres créatures : manière de dire, nous semble-t-il, que la mise en scène se chargera d'exhiber, à sa façon, dans le jeu des acteurs, ces effets stylistiques sensibles au lecteur avisé.

Notes
384.

Luc Bondy, La Fête de l’instant, pp. 125-126.