1) L'argument : effet de lecture-écriture.

a) Projet d'écriture

Nous nous référons ici au sens poétique, et non rhétorique, du terme : pour Aristote, l'argument est en quelque sorte l'embryon de la fable, le point de départ sur lequel s'appuie le poète pour élaborer sa pièce : « Qu'il s'agisse de sujets déjà traités ou de sujets que l'on compose soi-même, il faut d'abord en établir l'idée générale et après seulement faire les épisodes et les développer » 387 . Patrice Pavis rappelle qu'au Moyen-Age, l’argument a pu figurer systématiquement au début du texte de théâtre sous la forme de l'expositio argumenti : les pièces, en latin, étaient ainsi précédées d'un résumé en français « destiné à renseigner le public sur l'histoire qui va lui être racontée » 388 . Bien au delà du problème soulevé par la maîtrise de la langue savante dans laquelle étaient écrites les pièces de théâtre, la tradition s'est plus ou moins maintenue d'aménager à la réception l'intelligibilité du récit grâce à une synthèse de son propos, fut-elle disséminée dans une préface, une adresse au Roi, ou dans ses avatars modernes, livrée sous la forme d'une définition en exergue (ainsi de la définition du deal au seuil de Dans la solitude des champs de coton). Cette pratique, même si elle n'a rien de systématique, signale tout de même que la connaissance de cet argument peut être considérée comme une condition nécessaire d'une « bonne » réception de l'œuvre, et qu'il ne se livre pas si facilement aux lecteurs ou aux spectateurs inattentifs. Et pour cause : cette « idée générale » qui préside à l'organisation de l'œuvre est disséminée dans structure narrative et discursive, et n'est formalisable qu'à l'issue d'une lecture profonde du texte. Et précisément, programmé ou non par une exergue de l'auteur, l'argument est un effet de lecture, déterminé par des opérations de sélection et de hiérarchisation thématiques, et de ce fait appartient autant à la subjectivité du lecteur qu'à l'intention narrative de l'auteur.

Notes
387.

Aristote, Poétique, § 1455 b.

388.

Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, article "Argument", p. 25.