c) Mise en perspective

Cette approche pourrait s'apparenter à l'établissement de la fable, puisque cette fois une action est située dans une globalité chronologiquement déterminée, et non plus considérée pour elle-même. Mais, si la temporalité est envisagée dans son ensemble, c'est le schéma actanciel qui n'est que partiellement pris en compte : le principe de la mise en perspective consiste en effet, dans nos exemples, en l'inscription d'un seul axe actanciel dans un devenir. Dans le cas cité précédemment de l'effritement de la confiance en Paroles, l'ensemble de la pièce n'est envisagé qu'à travers le prisme de la position de Paroles, qui d'adjuvant qu'il semble d'abord, glisse peu à peu vers le statut d'opposant, aux yeux de Bertrand. Jean-Pierre Vincent procède au même genre de mise en perspective, lorsque, commentant la scène I,3 (l'interrogatoire d'Hélène où la Comtesse fléchit peu à peu), il fait cette remarque : « Il y a un chœur d’approbation qui va croîssant autour d'Hélène » ; l'idée resurgit bien plus tard, pendant une répétition de la scène IV, 2 : « Tout le monde finira par aimer Hélène, même Bertrand ». On pourrait multiplier les exemples indéfiniment, chaque personnage, à un moment ou à un autre, faisant ainsi l'objet d'une remarque à caractère général qui inscrit un moment de son parcours dans la perspective plus vaste de son histoire au fil de la pièce : manière de raconter la fable du point de vue de l'un ou de l'autre, mais sous la forme d'un processus plus que d'une suite d'actions.

Quelques remarques s'imposent au sujet de cette pratique de la mise en perspective : l'accent n'y est pas mis sur la fable comme succession d'actions, mais sur les caractères, et leur évolution au fil de la fable envisagée comme processus de transformation ou de révélation de ces caractères. C'est donc une approche qu'on pourrait dire « anti-aristotélicienne » (puisqu'Aristote, lui, assujettit entièrement les caractères aux exigences de la fable), nettement articulée sur la question du personnage, beaucoup plus abondamment traitée en répétition, nous semble-t-il, que celle de la fable. C'est sans doute la raison pour laquelle ce type de commentaire abonde dans la parole de mise en scène, sous la forme d'une myriade d'occurrences, dont le moment d'émergence ne nous paraît pas particulièrement significatif. Autant la mise en récit d'un fragment fabulaire, dans le cours des répétitions, nous semblait être un symptôme et un remède lié aux moments de difficulté et d'égarement des praticiens, autant la mise en perspective nous paraît être monnaie courante dans l'interaction de répétition, comme le mode d'accès le plus fréquent, même s'il est très orienté puisqu'il s'articule à un seul axe actanciel, au matériau fabulaire pris dans sa globalité temporelle.