b) Stratégies discursives : argumenta et exempla

La distinction que l’on vient d’observer entre différentes modalités de l’activité cognitive nous paraît recouper pleinement cette autre distinction, cette fois au niveau des stratégies persuasives, qui sépare, dans la rhétorique aristotélicienne, les exempla des argumenta. Si les uns et les autres font également partie de l’inventio, et dans ce matériel, de la même catégorie (il s’agit de preuves in technè, c’est-à-dire de raisonnements dont la force persuasive est orchestrée par l’orateur, qui doit produire des opérations logiques pour les élaborer) ils se distinguent par les procédures logiques dont ils relèvent : les exempla sont des formes d’induction, des arguments par analogie (vers le réel ou le fictif), et relèvent, de ce fait, de l’axe horizontal des associations. Notons cependant qu’un tel mouvement analogique suppose nécessairement le passage par une verticalité, sensible dans la glose qu'en propose Roland Barthes :

‘[...] on procède d’un particulier à un autre particulier par le chaînon implicite du général : d’un objet on infère la classe, puis de cette classe on infère un nouvel objet. 488

Si donc les procédures analogiques sont considérées comme relevant de ce que nous avons identifié comme l’axe horizontal (de la cognition et de la persuasion), c’est à la faveur du caractère implicite des inférences (généralisantes, particularisantes) qui les permettent. Ce qui apparaît sur le plan de la verbalisation, ce sont les objets particuliers mis en contact par l’analogie, et non les procédures analytiques verticales qui permettent une telle relation. Dans la mesure où notre étude porte sur la parole de mise en scène, et donc sur les opérations de verbalisation, les exempla relèveront totalement pour nous du plan horizontal des associations.

Face à ces exempla où la force persuasive réside dans la similitude mise en lumière, et qui donnent lieu, nous le verrons, à des développements narratifs (dès Aristote l’exemplum peut s’étendre en fable - logos), se tiennent les argumenta qui ne sont pas de nature inductive mais déductive : ce sont en somme les « raisonnements » d’aujourd’hui, qui emploient des « idées vraisemblables » dans le but de convaincre. Mais, on aura l’occasion de le constater, la rigueur logique de telles procédures persuasives n’est pas absolue : il peut s’agir d’un raisonnement impur, qui « participe à la fois de l’intellectuel et du fictionnel, du logique et du narratif » 489 . Là encore, la vanne du narratif s’ouvre grand : via les exempla ou via les argumenta, les metteurs en scène ont en somme bien des occasions de « raconter des histoires »...

Notes
488.

in L’Aventure sémiologique, “L’Ancienne rhétorique”, p. 128

489.

Roland Barthes, op. cit., p. 130