3) « Visions »

C’est là sans doute la caractéristique de la parole de mise en scène qui frappe le plus, et suscite le plus de commentaires, de la part des praticiens eux-mêmes comme de la part des témoins extérieurs au processus créatif : en répétition, la parole ne cesse d’aller puiser, dans le monde réel ou dans celui de la fiction, des figures, des formes, des images vers lesquelles elle tisse des liens analogiques, organisant une toile à la texture complexe, où chaque élément du texte se trouve accroché à plusieurs éléments d’autres mondes. Cette fonction analogique de la parole, omniprésente, on peut la rapprocher des exempla de la rhétorique aristotélicienne, qui se développent sur le champ horizontal des associations, et tirent leur force persuasive de la ressemblance brusquement manifestée entre deux formes. L’une connue, admise dans son thème et ses prédicats (ainsi des hyènes et de leur cruauté dévoratrice), suscite une adhésion naturelle ; il n’est pas nécessaire de recourir à l’argumentation pour transférer cette adhésion sur l’autre, moins connue, et dont la vérité reste à établir (par exemple, les Du Maine, occupés à comploter pour détruire Paroles) : il suffit de faire sentir la ressemblance, le lien analogique : en l’occurrence, la cruauté dévoratrice, l’amusement et, aussi, quelque nécessité vitale. On regroupera ici sans plus de distinction tout ce qui relève de l’analogie, que le lien de comparaison soit formulé (« c’est comme dans... », « ça fait penser à... », formules dont Anne-Françoise Benhamou relève la récurrence dans la parole de mise en scène 496 ) ou qu’il soit occulté (« c’est des hyènes ») ; le matériel ainsi circonscrit est proprement énorme, et pour en proposer une analyse un peu raisonnée, on peut commencer par identifier les différentes « patries » de ces figures référentielles, et voir dans quels territoires les praticiens vont puiser les images et les formes auxquelles ils nouent les figures de leur propre spectacle.

Notes
496.

"Une éducation dramaturgique", in Alternatives théâtrales n°52-53-54, p. 37.