3) Métasémèmes

La notion recouvre en gros « ce qu’on appelle traditionnellement les tropes » , c’est-à-dire les figures qui modifient le contenu sémantique (« sémème ») d’un terme. C’est dans cette classe qu’apparaît la fameuse métaphore, dont la définition a fait l’objet, notamment depuis les années 70, de si nombreux débats qu’il est devenu périlleux d’y recourir sans quelques précautions oratoires. Nous n’entrerons pas dans les polémiques qu’elle a pu susciter, et ne nous avancerons guère sur les distinctions entre synecdoque et métonymie, sur lesquelles les théoriciens ne s’accordent que très rarement. La vocation ultime de cette partie de notre étude n’est pas de (re)produire une taxinomie (on a déjà eu l’occasion de constater que bien des litiges terminologiques pouvaient entraver une telle entreprise) mais de questionner la valeur pragmatique des tropes dans la parole de mise en scène. Sur cette valeur pragmatique des tropes, et particulièrement de la métaphore, il convient de situer notre point de vue : il ne suffit pas de dire que nous ne suivons pas les auteurs de la Rhétorique générale quand ils affirment l’incompatibilité du trope avec la clarté du message et la vocation informative d’un énoncé. Non seulement nous voyons dans la métaphore une vertu communicationnelle et persuasive patente, rejoignant en cela Perelman, pour qui la métaphore est une « analogie condensée » 588 , portant avec elle la valeur argumentative de l’analogie (qui permet d’ « éclairer le thème par le phore » 589 ) mais encore nous souscrivons pleinement aux propositions théoriques de Nanine Charbonnel relatives à la dimension praxéo-prescriptive de la métaphore : l’auteur de La tâche aveugle distingue en effet, outre le régime sémantique expressif de la métaphore (par quoi le locuteur exprime son sentiment quant à la chose transformée par le trope) et le régime cognitif (par quoi le locuteur propose une connaissance de la réalité), le régime praxéologique de la métaphore : les énoncés qui la mobilisent dans ce sens « enjoignent au lecteur, à l’interlocuteur, quelque chose à faire, dans la praxis extralinguistique » 590 . Ce qui caractérise le comparant dans le régime sémantique praxéologique, précise-t-elle, « c’est qu’il est pris non seulement comme semblable, mais comme imitable » : voilà qui nous intéresse au plus haut point... La pensée métaphorique ainsi érigée en « pensée de la Mimesis »  ne trouve pas seulement des ressemblances parmi l’hétérogène, elle propose des « modèles à suivre » : non seulement elle fait comme si (comme si Juliette ressemblait à un soleil) mais elle invite à faire comme elle dit :

‘Le cœur de la rhétorique serait un-faire-comme-si volontaire de la part du locuteur [...], consistant, pour la métaphore, à comparer ou identifier ce qui n’est pas comparable, et cela dans le but (dans un très grand nombre de cas) de proposer un modèle à suivre. 591

Si pour Perelman l’analogie, à la source du procès métaphorique, avait essentiellement une valeur argumentative pseudo-logique (du semblable on conclut au vraisemblable), elle devient chez Charbonnel une invite, une incitation à faire comme elle : du semblable on conclut à l’imitable. L’idée que le procès métaphorique puisse constituer une force de proposition de modèles à suivre, une incitation au passage à l’acte mimétique, devient évidemment dans notre champ d’étude - la direction d’acteur, l’édification d’un personnage - éminemment féconde. Les exemples de tropes, que nous aborderons ici selon une classification peu orthodoxe (par type d’objet transformé plutôt que par type de transformation) permettront de s’en rendre compte.

Notes
588.

L’Empire rhétorique, p. 133.

589.

Op. cit., p. 129.

590.

Nanine Charbonnel : « Métaphore et philosophie moderne », in La Métaphore entre philosophie et rhétorique, ouvrage collectif sous la direction de Nanine Charbonnel et Georges Kleiber, Paris, Puf, 1999, p.35.

591.

Op. cit.p.54.