Rêve et mot d’esprit : de l’intimité subjective au jeu social

Le rêve et le mot d’esprit ont été identifiés par Freud comme deux modalités d’expression de l’inconscient, obéissant à des procédures de formation analogues, procédures que nous croyons pouvoir identifier dans le procès créatif de la représentation théâtrale. Pour ce qui est du rêve, l’analogie avec la représentation théâtrale est si sensible qu’il n’est pas utile de nous étendre sur les raisons qui nous poussent à creuser de ce côté-là. Mais cette analogie présente d’indéniables limites, qu’il nous faut pallier en partie, en allant aussi chercher dans la théorie du mot d’esprit - on y est d’autant plus fondé que l’humour, on l’a vu, joue un rôle assez essentiel en répétition : le rêve en effet n’est qu’une manifestation intime, et virtuelle, de l’inconscient du sujet, qui ne se destine qu’à lui-même. C’est un « produit psychique parfaitement asocial » 626 qui figure mal le travail de communication et d’élaboration collective d’une représentation destinée à être produite pour autrui. « Né dans le for intérieur d’une personne à titre de compromis entre les forces psychiques aux prises, il reste incompréhensible à cette personne elle-même et manque par conséquent totalement d’intérêt pour autrui » 627 . Il nous faut donc aller puiser dans la théorie freudienne du mot d’esprit pour trouver une connexion avec le phénomène social, collectif, communicationnel qui nous intéresse. Outre que cette socialité constitue le nerf du mot d’esprit, il introduit la dimension ludique, qui nous intéresse au plus haut point : « L’esprit, au contraire, est la plus sociale des activités psychiques visant à un bénéfice de plaisir. Malgré ses travestissements, le rêve demeure toujours un désir ; l’esprit est un développement du jeu » 628 . On pourrait ainsi risquer l’hypothèse selon laquelle la rhétorique du discours de mise en scène serait la mise en jeu, la socialisation d’un désir premier, intime, personnel, propre au metteur en scène.

Cette distinction entre production à vocation « égoïste » et production à vocation sociale est la seule différence fondamentale que Freud relève entre ces deux formations de l’inconscient ; pour le reste, à savoir tout le travail d’élaboration dont nous allons esquisser les grandes lignes (matériel psychique inconscient, mû par un désir, rôle de la censure, condensation et déplacement, rôle des procédés linguistiques de transformation...) vaut également pour le rêve et pour le mot d’esprit. Nous privilégierons cependant une analogie du travail de répétition vers le travail du rêve, dont l’homologie avec la création scénique est la plus évidente ; et cette analogie prendra la forme d’un rapide panorama, qui vise moins à développer une comparaison méthodique et exhaustive des processus à l’œuvre dans la production onirique et dans la production artistique - il y faudrait une thèse entière ! - qu’à synthétiser les diverses remarques que nous avons faites, relatives à la rhétorique du discours de mise en scène, sous l’égide de la rhétorique de l’inconscient.

Notes
626.

Sigmund Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, 1905, trad. .française par M. Bonaparte et M. Nathan, Paris, Gallimard, 1930, réed.1971., p.275.

627.

Ibid., p.275.

628.

Ibid., p.275.