Une érotique du regard

Mais ce découpage résulte d’une lecture dynamique, synthétique, et non pas disruptive : ce que produit la parole de mise en scène n’a rien de ce découpage, décrié lorsqu’on l’attribue à l’entreprise sémiologique, qui « atomise » le jeu en un système de signes outrageusement séparés les uns des autres, étroitement réduits à des signifiés stables et définitifs, et pour finir vidés de toute l’énergie dont ils étaient chargés. Dans la parole de mise en scène joue évidemment cette vectorisation que Patrice Pavis identifie comme une structure dynamique de la représentation, et comme outil de son déchiffrement. L’œil du metteur en scène ne voit pas tout, sa parole ne relate pas tout : l’un et l’autre sont commandés par une logique subjective, magnétisée par un vouloir-voir. La parole de mise en scène peut ainsi être comprise comme la verbalisation d’une érotique du regard, qui a voulu voir les images qu’elle rapporte de son expérience perceptive, et qui désire encore voir, la même image ou son anamorphose.

Car cette médiation par la parole produit évidemment bien plus que ce « découpage » en unités. Si elle rapatrie la phénoménalité de ce qui est advenu sur le plateau dans la langue, ses unités, sa syntaxe, ce n’est pas simplement pour la doter d’une signification. Il semblerait même qu’il faille éviter de ne lui donner qu’une signification : c’est en quoi la parole de mise en scène a besoin de la métaphore, et plus généralement du travail du figural dans sa propre langue : la figure est ce qui dans la langue empêche la signification de se clore sur elle-même, elle est une ligne de fuite du sens et non sa circonscription dans un code figé. Aussi le metteur en scène se tourne-t-il vers elle avec profit, mettant des images dans ses mots, puisqu’il doit mettre des mots sur des images. Car sa parole doit obéir à ce double enjeu : pérenniser, sans figer. Elle vise quelque chose qui tient de l’oxymore : une naturalisation vivante. Une fixation dynamique. Ce qui advient sur scène, dans le jeu de l’acteur, il faut le nommer, le verbaliser, l’interpréter (mais ne pas le figer) soit pour que ce qui s’est passé soit produit à nouveau - mais comme si c’était la première fois - soit pour que quelque chose de différent advienne. C’est ici que le mimétisme intervient dans les signes du jeu de l’acteur : c’est ici du moins que son vouloir-être se modèle sur le vouloir-voir exprimé par le metteur en scène.