Du signe en puissance au signe théâtral

l nous semble que c’est dans ce moment où la parole du metteur en scène vient à la rencontre du jeu de l’acteur, à l’interface entre la phénoménalité du plateau et le « discours » qui vient la modéliser, que s’articulent les deux faces susceptibles de former le signe théâtral. Comme l’encre sympathique, le jeu d’acteur a besoin d’être soumis à l’action énergétique d’un autre corps - regard et parole du metteur en scène - pour être révélé, accéder à une lisibilité, articulée en signes de théâtre. On objectera que la phénoménalité de la scène est déjà signifiante : le corps de l'acteur, sa voix, sa gestuelle, ses intonations « font signe », indépendamment des interprétations qu'en peut formuler le metteur en scène, indépendamment même des intentions de signification de l'acteur lui-même. Certes, à la scène comme ailleurs (plus qu'ailleurs, peut-être, puisque dès qu’il est sur la scène l’acteur est « inspiré ») tout est susceptible de faire signe, toujours, pourvu qu'un récepteur se présente qui veuille bien le décoder... Mais il faut préciser que ce qui nous intéresse dans cette étude du procès sémiotique de la mise en scène n'est pas d'observer un hypothétique passage du « non-signe » au signe, mais d'analyser la conversion qu'il permet d'un signe en puissance en un signe déclaré tel, et de ce fait, susceptible d'être répété intentionnellement, inscrit dans une pérennité qui est une condition nécessaire de la textualité théâtrale. Le signe théâtral - et c’est ici que nous rejoignons la position de T. Kowzan esquissée tout à l’heure - a pour critère l’intentionnalité qui garantit sa pérennité. Dans ce sens, ce qui advient sur le plateau sans être relayé par la parole de mise en scène, tout ce qui doit au hasard du moment, à la grâce de l'émotion, d'être apparu, et qui, à défaut d'avoir été sémiotisé, peut tout aussi bien ne plus jamais réapparaître, est « signe », sans doute, mais pas signe théâtral : tel quel, sans le soutien d'une parole qui l'identifie et le fixe comme tel, il n'a aucune aptitude à intégrer l'écriture d'un texte spectaculaire, dont la lecture (publique) est différée, et dont la signification doit donc être maîtrisée dans la durée. C'est la verbalisation des signifiés par le metteur en scène qui fait de ces phénomènes des signes théâtraux, pour les exclure ou les inscrire dans un texte qu'il faut mettre à l'abri de l'aléatoire, afin d'en préserver la lisibilité pour le jour où, enfin, il sera donné à lire aux spectateurs.