3) Application : le désir de Tartuffe selon Mnouchkine

Il est temps de vérifier la pertinence des hypothèses que nous formulons, en appliquant les outils que nous avons identifiés ou forgés à un corpus réel de répétition : nous puiserons un exemple chez Ariane Mnouchkine, dans une séquence particulièrement propice à l’illustration de nos différentes propositions. Il s’agit d’une séance de travail sur la scène III-3 de Tartuffe : la metteur en scène dirige Shahrokh Meshkin Ghalam dans le rôle éponyme, harcelant Elmire (Nirupama Nityanandan) de ses ardeurs. Photo 1 : Shahrokh, assis trois-quarts face, se tient à deux mètres environ de Nirupama, assise également (hors champ) ; il montre des marques de raideur, son visage est peu expressif, et il profère sa réplique (« Comment de votre mal vous sentez-vous remise ? ») avec une certaine sécheresse. À ses côtés, Juliana Carneiro da Cunha occupe la fonction de la « locomotive », accompagnant le comédien dans l’accouchement de son jeu. 691 Insatisfaite, la metteur en scène monte sur le plateau pour corriger la posture de son comédien qui ne lui semble pas exprimer l’attitude d’une séduction sûre d’elle-même qu’elle voudrait lui voir manifester. Elle prend sa place et montre la posture qu’elle attend (photo 4) ; elle se réfère à la proposition de jeu qu’avait faite Juliana Carneiro de Cunha sur le même rôle, dans la même scène (photo 3) ; puis elle se livre à une imitation de la posture que Shahrokh proposait lui-même, s’inspirant du même modèle (photo 2) ; enfin, le comédien reprend le jeu, en adoptant la posture telle qu’elle a été montrée et commentée par Mnouchkine (photo 5).

Voici le commentaire verbal qui accompagne l’exemple mimo-gestuel fourni par Ariane Mnouchkine :

Au moins a-t-on l’assurance (si l’on en doutait encore) au vu de cette séquence que les praticiens eux-mêmes tiennent bien les différentes postures corporelles pour des signes : il s’agit, selon les termes d’Ariane Mnouchkine, de donner les « bons signes du corps ». « Bons », c’est-à-dire assurant la relation avec les signifiés adaptés à la conception que la metteur en scène a de l’état du personnage.

Notes
691.

Sur cette méthode des “ locomotives ”, propre à la technique de répétition du Théâtre du Soleil, voir ultérieurement : “ Du bon usage des locomotives ”.