c) Le signe mimétique chez l’acteur : vers le signifié « idéal »

Une fois le « bon signe » établi, le procès mimétique commence pour le comédien ; mais il ne s’agit pas d’imiter formellement le signifiant périverbal. On s’en rendra compte en observant la suite de cette séquence de répétition : au point où nous nous sommes arrêtée, Shahrokh a réussi à adopter, formellement, le signifiant corporel proposé par Mnouchkine, censé faire signe pour le signifié vers lequel tend sa représentation du Tartuffe : « désir et assurance ». Voici ce qu’il advient ensuite, avant même que Shahrokh commence à proférer sa tirade :

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Manifestement, alors que Shahrokh n’a même pas commencé à reprendre le jeu, Ariane Mnouchkine sent déjà que le signe ne va pas, ou qu’elle n’a pas suffisamment développé le signifié qu’elle vise : elle reprend une opération de verbalisation, qui semble mobiliser quelques éléments de l’approche stanislavskienne du jeu de l’acteur, puisqu’elle incite Shahrokh à se remémorer son propre vécu des situations de drague - au passage le signifié connaît une nouvelle formulation : on avait déjà les termes « désir », « assurance », voici le terme « drague ». Cette nouvelle couche de verbalisation n’est pas encore suffisante : lorsque Shahrokh prononce le mot « amour », le diagnostic de la metteur en scène tombe : le « juste » du corps et du regard est trouvé, mais pas la « voix ». Et l’analyse qu’elle propose est tout à fait instructive : « ce n’est pas suffisamment imbibé » dit-elle. Le mimétisme réclamé à l’acteur n’est pas un mimétisme de surface, purement formel, qui s’emploierait à reproduire de l’extérieur des signifiants périverbaux décrits ou montrés par le metteur en scène. C’est un mimétisme en profondeur, ce que nous appelons le « vouloir-être » du comédien : le modèle vers lequel il tend n’est pas une forme à imiter, mais bien un état, une modalité d’être. Le modèle de cet état gît quelque part dans le langage, dans les indications délivrées par le metteur en scène : c’est vers les signifiés que Mnouchkine dépose dans son imaginaire, que Shahrokh doit tendre son vouloir-être.