A. Du discours au jeu

L’analyse des éléments de notre corpus a fait apparaître au moins deux méthodes d’engendrement du jeu par le discours, qu’on a déjà rapidement distinguées : l’une, que nous avons qualifiée de « formaliste » 710 , tient les données périverbales pour des unités formelles descriptibles de l’extérieur, qu’il suffit de nommer et de réclamer pour les obtenir. L’autre, rhétorique, tient les données périverbales pour les manifestations d’un état (en fait, d’un « vouloir-être », comme on l’a vu précédemment) que la parole de mise en scène induit par « persuasion » ou motivation : les signes portés par le jeu d’acteur n’y sont ni décrits, ni mimés en exemple, ils sont suscités par une parole qui cherche à provoquer leur avènement sans nécessairement prévoir leur forme exacte ; on peut citer cette formule de Strehler pour résumer le principe de cette méthode rhétorique :« Moi je demande la motivation profonde aux acteurs, et de la motivation profonde naissent ou doivent naître le ton et le geste et le comportement des personnages » 711 . Il y a évidemment quelque ambiguïté dans cette « motivation » des acteurs évoquée par le metteur en scène, puisque dans cette proposition il semble ne pas y pourvoir lui-même : il ne « donne » pas la motivation en prodiguant des motifs, il la « demande ». Il paraît donc s’en remettre à la seule « motivation » des comédiens par eux mêmes, c’est-à-dire à leur engagement dans le travail. Au delà de cette équivocité qui dessert quelque peu notre hypothèse, ce qui retient notre attention dans cette formule est la relation établie entre la « profondeur » de la motivation et l’avènement, quasi spontané, des signes portés par le jeu d’acteur : ces signes ne sont pas « exécutés » conformément à une indication, ils « naissent », selon quelque engendrement naturel - ou « doivent naître », la méthode rhétorique ne pouvant pas toujours enclencher ou programmer avec certitude l’heureux événement de cette venue au monde des signes de théâtre.

Notes
710.

L’adjectif est lourd d’antécédents littéraires ; nous ne l’employons évidemment pas en référence directe à l’École formaliste russe, même si l’usage que nous faisons de la notion présente quelque similitudes avec la doctrine formaliste : il s’agit par ce terme de marquer la prévalence de la forme (technique et procédés du jeu de l’acteur) surle fond (état et intention du personnage), qu’elle n’écarte pas nécessairement, mais qu’elle subordonne.

711.

Propos recueillis dans le document audiovisuel C.N.R.S réalisé par Odette Aslan, 1978. C’est nous qui soulignons.