3) L’influence périverbale

Nettement moins rhétorique est la dernière modalité d’engendrement du jeu par le discours que nous voudrions aborder : elle paraît sensiblement plus « manipulatoire », notamment parce qu’elle opère de manière discrète. Elle donne en effet lieu à des énoncés porteurs d’un message explicite, qui focalise l’attention, mais qui révèlent nous semble-t-il un deuxième niveau d’information véhiculé par le matériel périverbal. C’est ici en somme que se rejoignent les deux niveaux de l’interaction que nous avions soigneusement distingués dans le premier mouvement de notre étude, et que s’abolit la frontière entre les deux valeurs de la périverbalité qui nous semblaient opposer les interventions du metteur en scène, et celles de l’acteur en jeu. On avait ainsi observé que dans les propositions du metteur en scène le message était essentiellement verbal, tandis que dans les propositions du comédien, le message était essentiellement périverbal (puisque la verbalité était prédéterminée, commandée par le texte). Dans le cas de figure que nous allons explorer, la périverbalité est en effet, comme toujours, constitutive du message-réponse proposé par l’acteur, mais aussi constitutive du message-demande exprimé par le metteur en scène : Patrice Chéreau y passe peu à peu d’indications explicites (tantôt selon une approche rhétorique, tantôt selon une approche formaliste) à des indications implicites, où le message, nous semble-t-il, est porté par la qualité intonative de sa propre énonciation :

Ce que nous avons appelé « indication implicite » correspond à ces occurrences de « continue » dans les interventions de Chéreau, où l’information explicite portée par le matériel verbal (inviter à continuer) paraissant inessentielle, puisque le comédien n’a aucune raison de s’interrompre au milieu d’une phrase, c’est le matériel paraverbal - cette douceur dans la voix - qui nous semble être le cœur du message, transmis en effet à son destinataire puisque la voix de Pascal Gréggory, comme par contamination, se fait elle aussi de plus en plus douce.

Cette méthode d’information du périverbal par le périverbal est un premier pas vers le travail de monstration auquel peut se livrer le metteur en scène, produisant des exemples ou des modèles périverbaux, que le comédien est plus ou moins invité à imiter. Ici, le metteur en scène ne montrait l’exemple qu’au niveau de la périverbalité, le matériel verbal étant encore constitué d’énoncés propres. Ailleurs, souvent, il joue lui même le texte, et se fait acteur à la place de l’acteur...