4) Rôle de la verbalité : la rhétorique au cœur de l’ostension de jeu

On aurait tort de croire que le pokaz, dans ses formes dérivées, et la méthode des locomotives sont des modes de production du signe théâtral qui consistent en une simple démonstration du signe par lui-même : pour être instituées comme signes destinés à s’inscrire dans le texte de la réprésentation, les formes périverbales manifestées par l’ostension de jeu doivent impérativement être serties d’un environnement langagier, évidemment produit par le metteur en scène. C’est la parole de mise en scène qui désigne ces manifestations comme signes, en leur adjoignant des signifiés, destinés à participer au récit scénique. Même si le procès sémiotique semble dessiner un parcours qui va du jeu au jeu, c’est la médiatisation de ce jeu, au cœur du procès, par la parole, qui permet à la sémiotisation de trouver son accomplissement : même dans l’ostension de jeu, le metteur en scène continue de mobiliser toutes les ressources verbales que nous avons identifiées comme constitutives d’une rhétorique. Souvenons-nous de la séquence de répétition chez Ariane Mnouchkine que nous avons convoquée pour illustrer les applications possibles de nos propositions conceptuelles : il s’agissait de trouver le  « bon signe » pour Tartuffe en train de harceler Elmire de ses ardeurs, et la séquence mêlait la méthode des locomotives à celle de l’ostension de jeu par le metteur en scène. Loin de réduire la metteur en scène au silence, ou à des indications formalistes, le travail d’ostension de jeu suscitait un accompagnement verbal très important où les ressources de la rhétorique figurale étaient abondamment sollicitées. On ne reprendra pas cet exemple, déjà longuement développé ; l’évoquer ici nous permet d’insister sur le fait que l’ostension de jeu n’est nullement un moment de recul de la rhétorique, où le jeu viendrait purement et simplement remplacer les indications verbales : cette démonstration est au contraire soutenue et organisée par la parole de mise en scène, qui adjoint des signifiés aux formes périverbales manifestées, et ne laisse pas d’avoir recours à toutes les ressources d’une verbalité rhétorique pour guider le procès sémiotique. Mais ce qui ressort également de cette séquence, c’est que les formes périverbales dont Ariane Mnouchkine se sert pour façonner, et sélectionner, les signes du jeu de Tartuffe, sont apparues sur le plateau, sous la forme de « marques » : sa parole ne fait ici que relayer une proposition de jeu issue de Juliana, la « locomotive » de Tartuffe, et c’est parce qu’elle a su d’abord la percevoir et l’observer que Mnouchkine peut ensuite en faire un signe destiné à être pérennisé.