Leçon I : “ Travail à la table ”

  • Patrice Ch é reau : Essayons d’être un peu sensibles simplement à la beauté de la scène  ; la scène est prodigieuse par cette irruption de Stanley, je trouve, moi... La grandeur de la scène c’est les audaces incroyables de Shakespeare, qui fait que y a que lui pour écrire ce genre de trucs. On peut pas expliquer la qualité d’une scène par le fait que y a une raison etc. ; la scène est prodigieuse justement par l’audace et la gratuité totale de cet homme qui arrive, fait irruption dans la scène, et dit : “ Grâce pour mon domestique au moment ou on ne s’y attend pas

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  • Patrice Chéreau : On va lire cette première pièce, Henry VI, je pense qu’on va la lire deux trois fois, ne serait-ce que pour commencer même à y réfléchir, à y travailler un tout petit peu ; je redis encore une fois qu’on n’en prendra qu’une partie... Et, euh, pour les commodités de la lecture, j’ai envie de dire, on va, je vais faire une distribution et alors et forcément pour aujourd’hui ; c’est une distribution pour aujourd’hui, ça n’a aucune valeur. Pendant quinze jours, va falloir que vous preniez votre mal en patience, pendant quinze jours, les distributions éventuelles, c’est-à-dire toi tu dis ça etc., n’auront aucune valeur ; je vous supplie de mettre entre parenthèses votre- vos aspirations légitimes à savoir “ mais moi quel rôle je fais? ” pour qu’on arrive à entendre au moins la pièce et que vous arriviez à entendre au moins les pièces ; et en plus de réfléchir à qu’est-ce que ça nous raconte aujourd’hui à nous, à vous en particulier. D’Henry VI on devrait tirer une dizaine de scènes, maximum, même peut-être moins, de façon à établir une sorte de prologue qui redonne du sens à ce qui se passe dans Richard III puisque finalement dans Richard III ce sont les mêmes personnages et c’est la suite exacte, à dix ans de différence, d’Henry VI. La chose très frappante de Richard III c’est probablement que c’est la première pièce de Shakespeare où on a l’impression que Shakespeare comprend, ou saisit ce qu’il a entre les mains, c’est-à-dire la capacité qu’il a d’écrire des grandes scènes et de et de de manier les paradoxes. Il n’y a pas de textes originaux de Shakespeare, il n’y a pas de manuscrit. On a quelques textes imprimés qui ne correspondent pas tous les uns avec les autres. Ce qu’on appelle les in folio puis deux ou trois quartos ; on suppose que certains textes sont des textes écrits de mémoire ou d’après le texte du souffleur, donc avec les coupes de jeu, c’qui veut dire qu’il y a des versions qui ont été raccourcies, effectivement, ou bien d’autres textes qui ont été retranscrits de mémoire par des comédiens qui ont joué certains rôles ; mais il n’y a pas de version absolument probante de chaque pièce... Je pense qu’il n’y a pas non plus dans les textes originaux de divisions en actes, et en scènes, on pense que c’est postérieur, ça, et en plus les indications scéniques ne sont, la plupart, celles qui sont là par exemple, plus de la moitié ne sont pas dans le texte original.
  • Daniel Loayza : Oui
  • Patrice Chéreau : Hein?
  • Daniel Loayza : Oui, c’est le cas. Le plus souvent elles remontent plutôt au souffleur...
  • Patrice Chéreau : Shakespeare a écrit ce qu’on appelle deux tétralogies, c’est-à-dire, il a écrit deux groupes de quatre pièces. J’parle des drames historiques qui parlent de l’histoire d’Angleterre ; toutes les scènes sont plutôt, sont pratiquement historiques, c’t’à dire réelles, mais en un acte il y a tout le règne d’Edouard IV. Il est couronné vers la fin d’Henry VI, et normalement le règne durait combien de temps? 22 ans?
  • Daniel Loayza : Oui.
  • Patrice Chéreau : 22 ans. Donc, c’est totalement et absolument contracté. Ce qui est intéressant c’est pas pour l’histoire, ça peut pas nous apprendre à jouer la pièce... Mais ça peut simplement nous apprendre quelque chose sur les audaces de Shakespeare et la façon qu’il avait de contracter les choses. Et en même temps il prend son temps sur certaines scènes. C’qui est intéressant toujours chez un écrivain c’est qu’à un moment donné il prenne le temps là où il a envie de le prendre, en fait et c’est ça la vraie liberté .

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  • Patrice Chéreau : C’qui m’a fait choisir de monter Richard III c’est d’abord que c’est une pièce que j’veux monter que j’ai envie de monter depuis longtemps ; et en général dans ces cas là on rêve pendant des années de monter une pièce et puis quand arrive à la monter on découvre qu’on n’y est pas prêt du tout ; qu’on ne l’a pas travaillée parce qu’on a rêvé seulement... Et puis deux trois scènes : la question par exemple de comment résoudre la scène de Lady Anne avec Richard au début? Ce sont des scènes comme ça, dont on se dit comment l’auteur lui même va les résoudre, c’est-à-dire que cet homme, et Richard lui même se demande comment il peut y arriver. Et il prend comme pari de séduire la femme dont il a tué le mari, et le beau-père, et de la séduire au moment de l’enterrement, sur le cercueil de l’homme qu’elle aime, sur le cercueil d’Henry VI, donc, du Roi Henry VI. Et il y arrive ; c’est un mystère mais c’est un mystère intéressant à résoudre ; ça fait partie des choses intéressantes quand on va se poser la question entre comment comment mettre ça en scène ; je l’ai jamais vue de façon totalement convaincante ; je prétends pas être prêt à le faire mais on va voir, on va se poser la question ; il y a cette scène évidemment, il y a la scène des spectres à la fin, il y a la scène des trois reines, c’est principalement la scène des trois reines, qui est une scène que je trouve incroyablement bouleversante, si vous avez lu la pièce, où les trois se disent, <j’avais un Edouard et ton Edouard l’a tué, j’avais un Clarence et ton Edouard l’a tué, tu avais un Richard et mon Richard l’a tué>, et puis dans Henry VI il y a cette scène du père et du fils, voilà, qui font partie des choses dont j’me dis, ça vaut le coup un jour de tenter d’essayer de voir comment on peut raconter ça, essayer de comprendre qu’est-ce que Shakespeare a voulu, et d’essayer de toucher par ça quelque chose du génie de l’auteur, quoi.

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  • Patrice Chéreau : Pour aujourd’hui, ou en tout cas pour la première partie de l’après midi, je propose pour lire Richard, et qui ne lira que ça, David.
    [...] Je peux, cette première lecture, il faut que vous donniez un peu de grain à moudre, un profit, voilà. Prochaine lecture- il y en aura trois autres, il y en aura une septième qui devra attendre un petit peu plus longtemps, mais j’en suis désolé, peut-être qu’on coupera en deux, il y aura deux reines Elizabeth, et il y aura deux reines Marguerite, la jeune et la moins jeune. Il y en a une qui lira peut-être tellement mal qu’on va la trouver tout de suite. Ça fait moyennement rire, ça, hein? J’suis d’accord, j’suis d’accord, j’aurais pu même l’éviter.

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  • Patrice Chéreau : J’ai envie de faire un exercice particulier, qui va faire beaucoup de bruit, qui va déranger beaucoup de gens, c’est, j’aimerais bien voir ce que ça donne, vu qu’il y a les deux camps en présence, dans la première scène, je vais vous suggérer de mettre d’un côté les York et de l’autre côté les Lancastre ; Nazim, tu changes de côté... j’ai envie de voir ce que ça donne que de s’insulter d’un bout à l’autre de la table, voilà, en fait c’est une façon déjà de faire de la mise en place, voilà : on commence comme ça, puis deux jours après on s’lève et c’est bon. La mise en scène est faite.

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  • Comédien 1 : “ Toi, parle pour moi, et dis leur ce que j’ai fait ”
  • Comédien 2 : “ De tous mes fils Richard est le plus méritant ”
  • Patrice Chéreau : faut voir ce que c’est qu’il y a un petit bout de Roi Lear, là ; il est déjà d’une certaine façon Richard en puissance, à la toute première scène d’Henri VI, puisque tous les frères arrivent avec des épées tachées de sang et lui arrive avec une tête ; la tête de Summerset et son père lui dit : Richard est mon meilleur fils, puisqu’il a une tête, lui. Ça ce sont des choses formidables qu’il faut arriver à jouer avec cette sorte de- cette sorte de, qu’il faudra arriver à fabriquer avec cette simplicité incroyablement euh, biblique, comme ça. “ Tous mes fils ” c’est comme le Roi Lear.

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  • Comédienne : “ A l’écart du gouvernail, nous n’allons point nous asseoir et pleurer- ”
  • Patrice Chéreau : -pas ! pas ! pas !
  • Comédienne : “ A l’écart du gouvernail nous n’allons pas nous asseoir et pleurer- ”
  • Patrice Chéreau : Sans taper dessus non plus ; “ nous n’allons pas nous asseoir ” ; hein?

(rires..)

  • Comédienne : “ A l’écart du gouvernail nous n’allons pas nous asseoir et pleurer, mais bien contre les vents adverses- ”
  • Patrice Chéreau : “ les vents (z’) adverses ”, hein, j’crois.
  • Comédienne : “ Mais bien contre les vents (z’)adverses... ”
  • Patrice Chéreau : N’aie pas peur de faire les liaisons.
  • Comédienne : “ Mais bien contre les vents(z)adverses, poursuivre notre route, esquivant échouages (z)et récifs ”
  • Patrice Chéreau : Non, ça c’est trop.

(rire)

  • Comédienne : ...esquivant échouages et récifs qui nous menacent du naufrage ”

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  • Comédienne : Ça veut dire quoi, “ alacrité ”, “ l’alacrité ”?
  • Patrice Chéreau : “ Alacrité ”, comment dire?
  • Daniel Loayza : Euh, vivacité, la vivacité d’adieu.
  • Patrice Chéreau : C’est où “ alacrité ”?
  • Comédienne : Euh, en haut de la page 159, Stanley...
  • Patrice Chéreau : Et “ adouber ”, c’est ce qu’on fait quand on sacre quelqu’un, quand on nomme quelqu’un chevalier, hein?
  • Daniel Loayza : C’est ce que fait Henry à Edouard.
  • Patrice Chéreau : A Edouard dans la scène d’avant, c’est-à-dire poser l’épée sur l’épaule, normalement...

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  • Richard : “ Ne te maudis pas toi même belle créature, tu es l’un et l’autre ”
  • Lady Anne : “ Que ne le suis-je pour me venger de toi ! ”
  • Richard : “ C’est livrer un combat des plus contre nature que de te venger de qui t’aime ”
  • Lady Anne : “ C’est livrer un juste combat, conforme à la nature, que de me venger de qui a tué mon mari. ”
  • Richard : “ Celui qui t’a frustrée, lady, de ton mari, l’a fait pour t’en procurer un meilleur. ”
  • Lady Anne : “ Un meilleur? Il n’en respire pas sur la terre. ”
  • Richard : “ Il est vivant, et promet plus qu’il n’a su, lui le faire ”
  • Patrice Chéreau : C’est comme dans Les liaisons dangereuses : on voit une femme qui faiblit, petit à petit. Un moment donné, d’ailleurs, elle a des imprécations qui ne sont pas tout à fait les mêmes, au milieu de la scène : on a l’impression qu’on entend quelqu’un qui baisse la- qui baisse la- qui baisse la garde. Et puis lui même lui donne une épée, lui même tend sa poitrine et lui dit : tu peux me tuer, et elle ne le fait pas, et ça c’est l’erreur qu’elle commet, et là petit à petit le doute s’infiltre ; le degré d’imprécation et de malédiction de lady Anne au début est à son état extrême, c’est-à-dire qu’elle est très très haut dans le dans le refus évidemment, et pourtant, c’est pour ça que la scène est longue, et qu’il faut qu’elle soit longue, et pourtant, à la fin, elle va l’épouser. Cet homme qui se hait lui même, qui est né, selon toutes les prophéties, qui est né par les pieds, qui est né avec des dents, qui est né avec des cheveux. L’impression qu’on a c’est que d’abord il se fait un pari fou a lui-même, et il découvre visiblement, chemin faisant, qu’il arrive à le tenir. Puisque je trouve intéressant qu’à la fin il en soit presque surpris. Et qu’à la fin il dise <je vais acheter un miroir et je vais regarder- je pourrai contempler mon ombre> ; contempler son ombre ça veut dire contempler sa difformité physique. Il en arrive, visiblement, il en est presque surpris, il en arrive à se trouver finalement séduisant. C’est comme s’il arrivait à se réconcilier un petit peu avec lui-même.... dans cette scène. Et comme c’est marqué, comme c’est placé au début de la pièce je trouve intéressant que de là, de cette pierre là, il va pouvoir avoir une sorte de confiance ; c’est comme s’il se sentait armé et qu’il faisait la preuve, la vérification de sa force de conviction qu’il avait en lui. Je ne sais pas comment on peut la fabriquer, cette scène, j’ai envie d’avoir la solution, de savoir, qu’est-ce qui se passe et qu’est-ce qui se passe dans la tête de ces deux là pour que finalement, elle accepte. Elle accepte et en même temps, elle va à l’abattoir, hein?, parce qu’à un moment donné, à un moment donné on lui, dans une scène beaucoup plus loin, la deuxième scène qu’elle a lady Anne, beaucoup plus loin on lui dit que le Roi l’attend donc que Richard l’attend pour être couronnée avec lui, et les deux autres reines lui disent adieu comme si elle partait à l’échafaud. Elle va tomber malade et elle va disparaître. Continuons.

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  • Patrice Chéreau : Vu que, si je comprends bien la lecture n’est pas votre sport favori, euh, il va falloir qu’on se mette... on va retravailler encore deux trois jours comme ça ; je pense que très vite il va falloir qu’on aboutisse à une distribution plutôt déf- pas définitive mais plutôt définitive pour une stricte raison de technique qu’est d’apprendre du texte. Parce que je pense que j’aurai pas la- j’aime pas beaucoup quand on a le texte à la main et je sais pas, y a des gens que ça arrange, moi ça m’arrange pas trop, j’pense que il faut commencer- on va commencer à s’en libérer. Donc j’espère que lundi en tout cas, lundi soir je pourrai vous dire un peu sur quelle distribution on partira pour les deux pièces. Je crois qu’il faut absolument que ça fasse un spectacle, jusqu’au moment où s’il manque la fin, moi c’est ce que j’ai toujours fait en fait, quand j’avais fait avec les élèves de Nanterre les quatre comédies de Shakespeare je pense que j’étais arrivé, j’avais pas fait, j’avais fait la moitié de chacune, hein, j’pense que c’était vraiment un un spectacle, c’est-à-dire pas un travail d’élèves, j’veux dire, c’est ça que je veux faire, si un moment donné il en manque un bout, on le fait comme un- on le fait comme un fragment. C’est pas intéressant de faire une prouesse, de tout jouer, si on n’a pas le temps de travailler, concrètement, pour tout le monde, les rôles. Pour chacun il y a quelque chose à faire, profondément, ça c’est le contrat qui doit être respecté entre nous, d’autant que si on veut aller au bout il faut quand même trouver la solution, que je n’ai pas, là en l’occurrence, trouver la solution pour trois scènes de bataille, hein, quand même. Oh bah y une solution simple, hein, c’est que je vous envoie tous sur le plateau et vous vous tapez dessus, hein (rires) j’veux dire, on va pas chipoter la dessus... (rire) les femmes aussi hein?
    [...] Oh ben tout le problème est de savoir où se passe la bataille, est-ce qu’elle se passe sur l’plateau ou est-ce qu’elle se passe en coulisses? Et c’est écrit pour qu’on ait que la suite, que les gens exténués qui arrivent dans un havre de calme pour nous dire : là c’qui s’passe là bas est terrible. La coulisse est un léviathan qui dévore ses enfants et qui les recrache à peine digérés (rire).

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  • Patrice Chéreau : Alors la distribution du jour... de cet après midi...serait la suivante : Richard Gloucester : Jérôme ; Buckingham : Nazim ; Stanley : David... Stanley ne fait que Stanley, hein, je crois Clarence, Mathieu ; acte IV scène 2. Alors voilà finalement Richard enfin roi... Mais pas tout à fait, non, parce qu’y a encore un problème à régler. En gros il est Roi à peu près entre acte IV scène 2 et acte IV scène 4 ; et les ennuis commencent à acte IV scène 4, c’est-à-dire que, euh, et on annonce le débarquement de Richmond très vite : c’est une chose qui ne dure pas. Allons-y.

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(lecture)

  • Norfolk : “ Que George Stanley meure après la bataille ”
  • Richard : “ Mille cœurs s’enflent dans ma poitrine... Avancez nos étendards, ruez vous sur nos ennemis... Que notre ancien cri de courage, beau Saint George, nous inspire la fureur de dragons flamboyants. Sus ! La victoire couronne nos cimiers ! ”

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  • Patrice Chéreau : On a Richard qu’est capable de faire trois choses à la fois ; <la chose pour laquelle vous m’avez sondé> et Richard dit <Laissons ça, laissons dormir ça> ; <Stanley, ayez l’œil sur votre femme> et il coupe à chaque fois : “ Il m’en souvient Henry VI a prédit que Richmond serait Roi ”.Donc il est sur plusieurs plusieurs plusieurs choses, capacité d’être sur plusieurs choses à la fois, donc, avec une vivacité d’esprit et une rapidité intellectuelle par moments sidérante. Et là brusquement il y a un dérapage, il y a quelque chose qui s’est cassé
  • Daniel Loayza : Tu crois que le dérapage commence là? Très exactement là? Parce qu’il part lever son armée et il dit que “ il faut être bref quand les traîtres font les bravaches sur le terrain ”, il est donc dans une urgence militaire absolue...
  • Patrice Chéreau : Oui.
  • Daniel Loayza : Et la première chose qu’il trouve à faire dans cette urgence militaire absolue c’est de s’arrêter en route quand il croise ces dames...
  • Patrice Chéreau : Et qu’il croise sa mère, surtout.
  • Daniel Loayza : Et de commencer - voilà - et de commencer à circonvenir Elizabeth dans une scène très très longue...
  • Patrice Chéreau : Très très longue, oui.
  • Daniel Loayza : Pour essayer d’en faire une entremetteuse auprès de sa propre fille...
  • Patrice Chéreau : Oui.
  • Daniel Loayza : Hein? C’est comme s’il se laissait, c’est comme s’il perdait lui-même le sens de l’urgence de la situation en se laissant embarquer dans le vertige de...
  • Patrice Chéreau : Et en dépensant une énergie mais colossale, pour obtenir cet accord.
  • Daniel Loayza : Déjà là il manque un peu de lucidité
    (comédienne, d’abord inaudible)...c’est assez urgent en même temps pour lui d’épouser cette fille qu’est justement...
  • Daniel Loayza : C’est justement pas- je crois que c’est quand même un petit peu moins urgent que de faire face à la...
  • Patrice Chéreau : C’est une question de proportions ; c’qui me frappe c’est une question de proportions : c’qui est intéressant c’est de réfléchir à la proportion de la scène, qui est gigantesque, donc c’est pas intéressant, en soi la taille n’est pas intéressante, ce qui est intéressant c’est ça que j’disais, que Daniel prolonge, c’est la masse, la capacité, la proportion de l’énergie qu’il met à une chose qui n’est pas la chose principale qu’il est parti faire.
  • Daniel Loayza : Quand on dit Plantagenet là dedans c’est un peu ambigu, hein, mais une fois pour toutes, les Plantagenet ça peut être à peu près n’importe qui dans l’histoire puisque c’est le nom générique pour les Lancastre et les York...
  • Patrice Chéreau : Oui.
  • Daniel Loayza : ... qui sont apparentés. Les Lancastre et les York, qui sont donc les- des adversaires, sont sont sont apparentés...
  • Patrice Chéreau : Ils sont les descendants d’Edouard III
  • Daniel Loayza : ... et sont tous les deux descendants d’Edouard III Plantagenet ; donc selon les cas on peut désigner comme Plantegenet soit un Lancastre, soit un York.
  • Patrice Chéreau : C’est ce qu’ils font dans la pièce, d’ailleurs, non?
  • Daniel Loayza : Et c’est ce qu’ils font dans la pièce... Voilà.
  • Patrice Chéreau : Puisque Richard se dit lui-même Plantagenet
  • Daniel Loayza : Parce qu’ils sont tous à un degré divers, à un degré différent ils sont tous cousins les uns des autres.
  • Patrice Chéreau : Il y a une période de trouble et de-, sanguinaire, et monstrueusement injuste dans la guerre des Deux Roses, hein, ce qu’on appelle la guerre des Deux Roses, qui est arrivé au pire, qui est arrivé au fléau de dieu par Richard III, et qui finalement tout ceci, où les deux pièces sont prises entre- y a un très bon apparemment très bon Roi ou homme presque saint qui est Henri VI, et l’incarnation du mal qui est Richard III, et les deux finalement, aucun des deux n’a la bonne solution. Tous les deux font des mauvais rois, en fait, mais petit à petit dans l’inconscient de de tout le monde de toute l’Angleterre, il est apparu, il a fini par devenir la figure du mal, et d’un mal plutôt nécessaire puisque c’est par ce mal que les Richmond et la dynastie des Tudor va régner. C’est une vision de l’histoire, du temps, de Shakespeare, il raconte tous les soubresauts qu’il a fallu pour faire ressortir l’apparition des Tudor, en fait, Henri VII.

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(sans doute une question de comédien...)

  • Daniel Loayza : Ce que Shakespeare en pensait personnellement?
  • Comédien : Oui.
  • Daniel Loayza : Ah on en sait rien, et puis il ne l’aurait certainement pas dit non plus de toutes façons parce que, il avait disons de très bonnes raisons officielles d’être très content de sa majesté.
  • Comédienne : La reine faisait ses commandes à Shakespeare ou Shakespeare était euh?
  • Daniel Loayza : Oh ben il a fini par jouer à la course au Jacques (?) Mais de toutes façons disons que les théâtres étaient très très surveillés ; il pouvait certainement pas raconter n’importe quoi...
  • Patrice Chéreau : Non...
  • Daniel Loayza : Il allait certainement pas brocarder le pouvoir en place... Il a peut-être joué dans Richard III aussi, mais je vois pas trop quel rôle, peut-être Buckingham.
  • Patrice Chéreau : n’sait pas.
  • Daniel Loayza : Non.
  • Patrice Chéreau : Il était acteur, on sait quand il a eu, quand il avait des parts dans les théâtres, on sait exactement là où il habitait, enfin, on sait quand même beaucoup de choses de lui.
  • Daniel Loayza : Richard III c’est (Burberage ?) qui le faisait.
  • Patrice Chéreau : Oui, qui jouait Hamlet aussi.
  • Daniel Loayza : Qui était le grand acteur, et probablement le meilleur ami de Shakespeare. Il y a d’ailleurs une anecdote...
  • Patrice Chéreau : Et le propriétaire du théâtre.
  • Daniel Loayza : Tu te rappelles l’anecdote contemporaine ? - oui oui-
  • Patrice Chéreau : Qui avait des parts dans le théâtre- c’est lui qui l’avait acheté et parce que son père, qui était acteur aussi, était menuisier...
  • Daniel Loayza : Oui, et il l’a fondé et construit-
  • Patrice Chéreau : Il était acteur et il a construit son théâtre...
  • Daniel Loayza : Qu’il a appelé “ le théâtre ”.
  • Patrice Chéreau : Voilà.

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  • Marguerite : “ Puisse le ver du remords ronger sans cesse ton âme ; puisses-tu, tant que tu vivras voir des traîtres dans tes amis, et prendre pour tes plus chers amis de profonds traîtres ; puisse le sommeil ne jamais clore ton œil meurtrier, sinon pour qu’un torturant cauchemar te t’épouvante d’un enfer d’affreux démons ; toi que les lutins ont marqué, avorton de porc dévastateur, toi, sur qui ta naissance a mis l’empreinte d’un gueux de la nature et d’un fils de l’enfer, toi qui disgracie la grossesse de ta mère, exécrable progéniture des reins de ton père, chiffe infâme, abhorrée ”
  • Richard : “ Marguerite ! ”
  • Marguerite : “ Richard ! ”
  • Richard :  “ He? ”
  • Marguerite : “ Je ne t’appelle pas ”
  • Richard : “ Je te demande pardon, alors, car j’ai bien cru que tu m’avais appelé de tous ces noms fielleux ”
  • Comédienne : “ Certes, mais je n’escomptais pas de réponse. Or, Laisse moi conclure ma malédiction. ”

* * *

  • Patrice Chéreau : Deux apparitions de la Reine Marguerite se font de la même façon : elle entre par l’arrière, par le fond de la scène, peu importe par où, mais elle commente d’abord dans un temps- elle elle elle visite, elle traverse l’Angleterre comme son propre fantôme, en fait, elle est déjà devenue un, elle est déjà devenue un fantôme. D’abord elle devrait pas être là : elle devrait être bannie, en France. C’est simplement qu’elle frôle et qu’elle rase les murs, et qu’on la retrouve dans les scènes, en fait, on ne devrait pas savoir, c’est la première chose que je propose, on ne devrait pas savoir et alors là vous allez en avoir pour des heures et des heures de mise en place, quand je dis ce genre trucs, on ne devrait jamais savoir quand elle est entrée. C’est toujours l’idéal, en fait, au théâtre, hein j’veux dire, ou alors, parce que les entrées finalement c’est assez médiocre, j’veux dire, on rentre et il faut- j’vais pas vous faire mon chapitre habituel sur les entrées et les sorties, qui comme chacun sait sont les choses les plus difficiles qu’on doit faire au théâtre, et si on veut éviter les noirs, si on veut éviter... Voilà, un moment donné faut bien aller s’placer dans une bonne place pour dire le texte en gros, et c’est toujours un exercice compliqué. Mais c’qui serait intéressant c’est que elle n’est pas là ; elle est là sans être là ; elle elle arrive. Et Victor Hugo qui avait- dans certaines pièces de Victor Hugo, il avait remplacé, il a remplacé, c’est le seul, d’ailleurs, remplacé l’indication scénique : “ entre untel ” pour une chose très belle qui dit, où il dit : “ depuis quelques instants un homme est là ”. Ce que je trouve mille fois plus beau. Et il ne dit pas quand il est là. De même que elle ; mais ce que j’trouve intéressant c’est qu’elle revient les deux fois de la même façon ; c’est-à-dire qu’elle vient hanter les lieux, elle vient hanter les lieux, et vérifier et vérifier le résultat de sa malédiction. Des scènes aussi longues, forcément quand on va les travailler, forcément il faudra qu’il y ait une modification à l’intérieur. Je suis persuadé que dans l’écriture, dans l’écriture de Shakespeare, il y a toujours la possibilité- quelquefois c’est même dans l’écriture, mais quelquefois c’est plus secret - toujours la possibilité de transformer légèrement l’énergie de la scène, de façon qu’elle avance et qu’elle ne joue pas toujours sur la même énergie. Parce que sinon c’est infernal.
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    Ça donne une sorte de sécurité la table ; en tout cas à moi, ça me dit “ Oui je vois, en gros je vois c’qu’il euh ”- je ferme les yeux et je pourrais même penser que j’imagine le spectacle, en fait, et puis pas du tout.
    Donc, comme c’est la dernière lecture, on peut en profiter pour chercher, qu’on aille chercher un petit peu plus dans le texte ; si vous avez envie, j’veux dire, au fur et à mesure, de redire une réplique, plutôt que de la laisser passer comme un train dans une gare ; si vous pensez que vous pouvez refaire, vous pouvez refaire, aussi, hein? C’est jamais interdit.
    Il y a des choses que je commence à entendre aujourd’hui, qui sont un petit peu différentes des autres jours, c’qui est bien, j’veux dire par là qu’on peut profiter de chaque lecture pour tâtonner, comme ça, hein? Voilà, allons-y.
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