Leçon II : “ Scène de groupe ”
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Marguerite : “ Prêtez-moi aussi peu de joie, à moi qui en suis la reine... ”
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Patrice Chéreau : “ je n’y tiens plus ! ” dit la vieille (rire) hein, c’est ça
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Marguerite : “ Oui la reine a peu de joie, il est vrai, car je suis la reine, et privée de toute joie, mais je n’y tiens plus ! ”
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Elizabeth : “ Allons, allons, nous savons ce que vous voulez dire ; vous enviez mon élévation, celle de mes enfants, de mes frères et de mes amis. Dieu fasse que nous n’ayons jamais besoin de vous. ”
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Richard : “ Mais peut-être en attendant que j’ai besoin de vous, moi. Voici mon frère par vos manœuvres emprisonné, moi même disgracié et la noblesse tenue en mépris, tandis qu’on décerne chaque jour de grandes promotions pour anoblir des parvenus qui deux jours plus tôt ne valaient pas un clou. ”
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Elizabeth : “ Jamais je n’ai excité sa majesté contre le duc de Clarence ”
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Richard : “ Vous allez peut-être nier avoir été la cause du récent emprisonnement de Monseigneur Hastings? ”
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Rivers : “ Elle peut, en effet, elle peut ”
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Richard : “ Elle peut Lord Rivers? Eh ! Qui l’ignore? Elle peut faire mieux, monsieur, que nier cela : elle peut vous pousser à plus d’une haute fonction, et puis nier que sa main vous aide, et attribuer tous ces honneurs à votre grand mérite. Que ne peut-elle pas? Elle peut, oui, elle peut épouser... ”
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Rivers : “ Eh bien? Elle peut quoi? ”
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Richard : “ Eh bien, elle peut épouser un Roi ! ”
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Patrice Chéreau : (seul face à la caméra) On démarre sur une scène qui qui raconte apparemment euh- une altercation très violente entre la reine, les parents de la reine, c’est-à-dire tous ceux qui ont profité de la- de sa situation à côté du Roi Edouard, et Gloucester, le futur Richard III. Et finalement Richard se débrouille pour les accuser très clairement d’avoir mis en prison Clarence, or c’est lui qui l’a fait mettre en prison. Donc il détourne les soupçons sur les parents de la reine, les parents de la reine, c’est l’obsession, c’est une cible, c’est un bouc émissaire, ce sont des boucs émissaires pratiques dans la pièce, c’est-à-dire qu’en fait il se débrouille, Richard se débrouille, pour leur faire porter toute la faute de tout ce qui arrive, y compris de tout ce qu’il a fait. Il le dit d’ailleurs dans la partie d’après, ou dans la partie d’avant, dans le le monologue qu’il fait au public, clairement au public, avant ou après. A la suite de quoi-... Tout ça n’existe évidemment que parce que le Roi est malade et qu’il va bientôt mourir et que les appétits deviennent très très féroces et que ceux qui profitent le plus du règne d’Edouard IV sont à la fois inquiets de ce que le Roi va mourir et en même temps veulent absolument préserver tout ce qu’ils ont gagné. La discussion est sur tout ce qu’il y a à gagner à être au pouvoir.
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Patrice Chéreau : (parmi les comédiens, dans l’aire de jeu) tu vas là, tu vois, et tu dis <quel est celui, ben oui, quel est celui, y en un là qui va rendre- qui va se plaindre au roi>. Oh pis tu les vois, dis-donc, putain tu vas faire un carton là...
(rire)
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Elizabeth : “ Gloucester... ”
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Patrice Chéreau : Oui...
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Elizabeth : “ vous vous méprenez en cette affaire ”
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Patrice Chéreau : <Je ne vous aime pas mais je vais essayer de mettre- de ne pas mettre de l’huile sur le feu>
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Elizabeth : “ C’est de son propre mouvement que le Roi s’avise de vous convoquer...(Chéreau indique à Richard un déplacement en marquant une direction puis en esquissant le mouvement lui même)...afin de connaître le fondement de votre mauvais vouloir, et de vous l’extirper ”
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Patrice Chéreau : De là ! <Je m’approche pas de ce con.> Tu t’affaiblis en te rapprochant de lui, tu vois?
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Elizabeth : Il me semblait que (inaudible)
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Patrice Chéreau : Non non c’est pas grave mais, je pense que c’est plus intéressant j’veux dire, si je dois m’insulter avec quelqu’un je vais pas le regarder sous le nez, ou “ par le ciel ” tu peux t’écarter un petit peu pour vraiment avoir cette ligne, “ par le ciel j’instruirai sa majesté ”, mais de de de, tu vois il faut avoir une sorte de distance (geste de va et vient du bras, marquant la distance) c’est minimum ça j’veux dire, “ j’instruirai sa majesté des grossiers broquarts que j’ai essuyé plus d’une fois de votre fait ”. Tu pars, tu passes entre les gens de ta famille, y avait euh, Rivers qu’était là, hein, c’est ça (il a fait lui même le mouvement de passer entre les comédiens, Rivers reprend sa place d’origine) “ Croyez bien que je retire peu de joie d’être reine d’Angleterre ” : <c’est pas pour le plaisir que je m’accroche à ce poste, c’est parce que je pense que je peux être utile>, hein? Au début tu vois un pauvre type paranoïaque, tu dis : < écoutez calme, ça va...>
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Elizabeth : Hum.
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Patrice Chéreau : <C’est pas moi qu’ai fait convoquer> tu vois?
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Richard : “ Que ne peut elle pas faire, elle peut oui par Marie elle peut... ”
- Rivers : “ Par Marie elle peut, elle peut quoi? ”
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Richard : “ Elle peut ! Quoi? Elle peut par Marie se marier avec un roi, célibataire avec cela,
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Patrice Chéreau : Vas-y !
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Richard : “ et bien bâti. M’est avis que votre grand mère... ”
- (il recule)
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Patrice Chéreau : Bouge pas trop !
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Richard : “ ...a fait un plus mauvais mariage ”
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Patrice Chéreau : Bouge pas trop, vas-y ! Regardez de nouveau...
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Elizabeth : “ Monseigneur de Gloucester... ”
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Patrice Chéreau : Regardez de nouveau, vas-y !
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Elizabeth : “ J’ai trop longtemps souffert vos reproches abrupts, et vos amers sarcasmes. Par le ciel, j’instruirai sa majesté des grossiers broquarts que j’ai essuyé plus d’une fois de votre fait ! ”
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Patrice Chéreau : Vas-y !
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Elizabeth : “ Je retire peu de joie d’être reine d’Angleterre. ”
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Richard : “ Sachez-le ce que j’ai dit je le soutiendrai en sa royale présence. Oui quand bien même je risquerai d’être expédié à la tour, il est temps de parler. On a complètement oublié mes services. ”
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Patrice Chéreau : <Votre mari n’est pas tombé> (avançant à grands pas vers la reine, à qui il fait un geste pour l’éloigner) Tu peux même te reculer, ou essayer de tenir tête- “ votre mari n’est-il pas tombé ” euh (lisant le texte) “ dans le parti de Marguerite à Saint Alban? ” (se retournant vers les autres) “ Laissez moi vous remettre en mémoire tout - ” et passer là, tu vois - <vous remettre en mémoire ce que vous étiez, et ce qu’étais, et ce que je suis> - du coup, Rivers, tu pourras même croiser là, carrément, j’veux dire, là, ça va être ça, toujours passer entre deux personnes, hein pour changer les groupes...
- ...et rester placé du côté d’Hastings “ et ce que je suis ”, tu viens te mettre par là...
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Richard : “ Laissez-moi vous remettre-(Chéreau donne des indications simultanées, inaudibles) “ Laissez moi vous remettre en mémoire ce que vous étiez, et ce que vous êtes ”
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Patrice Chéreau : ... En direction de
Marguerite, hein?
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Richard : “ ... et ce que je suis ”
- [...]
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Rivers : “ Monseigneur de Gloucester... ”
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Patrice Chéreau : Repars vers Hastings, repars vers Hastings (geste de la main indiquant une place)... La fin de ton discours, comme ça, et là tu dis “ monseigneur ”, calme : il a changé...
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Richard : “ Laissez-moi vous remettre en mémoire... ”
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Patrice Chéreau : < J’voulais pas dire tout ca, j’voulais pas provoquer tout ca>, c’est ça qu’on entend, hein, du coup.Vas-y !
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Rivers : “ A cette époque troublée que vous faites valoir pour nous déclarer ennemis nous avons suivi notre maître ; nous vous suivrions de même si vous deviez être notre roi. ” ((regard par dessus son épaule, en arrière, au groupe, qui le place face public)
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Patrice Chéreau : Voilà, oui, c’est ça, c’était pour que tu sois de face. Vas-y !
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Richard : “ Si je devais l’être? ”
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Patrice Chéreau : <Ah non non non !>
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Richard : “ ...plutôt être colporteur. Loin de mon cœur pareille pensée. ”
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Patrice Chéreau : Et là tu te déplaçais.
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Patrice Chéreau : Trois quart dos, c’était plus intéressant, et toi tu peux revenir un peu plus près de lui mais comme ça, tu vois (il déplace les comédiens en les tirant par le bras) et (indiquant par un contact qu’il s’adresse au premier) ça empêche pas que tu la regardes de là, comme ça (le comédien regarde sa partenaire) tu vois, pour pas être tout le temps tous de face. (ils se sourient l’un à l’autre pendant que Chéreau s’éloigne) OK, ensuite?
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Richard : “ M’est avis que votre grand-mère a fait un plus mauvais mariage ”
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Elizabeth : “ Ah, monseigneur de Gloucester, j’ai trop longtemps souffert vos reproche abrupts, et vos amers sarcasmes. Par le ciel, j’instruirai sa majesté des grossiers broquarts que j’ai essuyé plus d’une fois de votre fait ! ”
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Richard : “ Sachez-le ce que j’ai dit je le répéterai en sa royale présence, oui, quand bien même je risquerai d’être expédié à la tour. Il est temps de parler. On a complètement oublié mes services. Laissez moi vous remettre en mémoire ce que vous étiez, et puis ce que vous êtes, et puis ce que j’étais, et ce que je suis ”
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Elizabeth : “ Pensez ne devoir goûter que peu de joie, monseigneur, s’il vous arrivait d’être Roi de ce pays. Prêtez moi aussi peu de joie pour moi qui en suis la reine. ”
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Marguerite : “ Oui la reine goûte peu de joie, car je suis la reine, et privée de toute joie. Mais je n’y tiens plus !! (crié, entraînant par la main sa partenaire)
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Patrice Chéreau : (seul, face caméra) ...Et arrive cette reine qui est dépossédée du pouvoir, qui est la reine Marguerite, qui était l’ancienne reine, la femme d’Henri VI. Et cette reine traîne, l’ancienne reine Marguerite, normalement devrait être exilée, devrait être en exil en France, et elle est là, et elle est toujours là, elle traîne dans les palais, elle rôde, et elle réclame son dû, et son dû, et elle réclame surtout- elle ressasse sa douleur, dans un deuil qu’elle n’arrive absolument pas à faire, et ce qui est intéressant c’est que brusquement, à partir du moment où elle commence à parler ou à commenter dans des apartés que les autres n’entendent pas, nous- les spectateurs doivent focaliser sur elle ; et progressivement cette dispute qui continue à tourner à vide, alors qu’ils ne l’entendent toujours pas jusqu’au moment où elle va se- apparaître à leurs yeux, cette discute- cette dispute doit passer complètement au second plan, c’était ça qui était difficile à faire, et passe totalement au premier plan quelqu’un que nous on est seul à voir visiblement, et qui réclame des choses, jusqu’au moment où elle dit : “ mais je n’y tiens plus ” et brusquement elle fait exploser le groupe, et elle rentre dans le groupe. C’est un travail un peu orchestral, c’est-à-dire que par moment j’ai fait travailler le groupe au début, y compris dans une section, dans un moment où où où qui n’a plus aucune importance parce qu’il est mangé par les aparté de la reine Marguerite qui sont vraiment au premier plan, et j’ai fait travailler le groupe, je leur ai fait travailler le rapport de forces qui les sous-tend ou qui les déchire ou qui font exploser le groupe, comme on fait travailler les sections de cuivre ou de cordes à l’intérieur d’un orchestre, et puis après on les remet totalement au deuxième plan. Il y avait des questions de plans, c’est ça aussi que j’aurais voulu apprendre aux élèves, que tout n’est pas important dans une scène, n’est important que là où on veut aller, et la scène en soi est importante, mais relativement : l’altercation n’est pas une scène en soi, c’est un segment de narration qui mène à la chose la plus importante de la scène, qui sont les malédictions de la reine Marguerite. C’est une chose intéressante à raconter aux acteurs, à faire comprendre aux acteurs : une réplique n’a aucun intérêt ; seul à de l’intérêt le fait qu’elle amène à la réplique d’après qui amène à la fin de la scène, et la scène doit culminer sur les malédictions.
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Patrice Chéreau
(dans l’aire de jeu, parmi les comédiens, à la comédienne incarnant Marguerite) : Il pourrait y avoir deux silhouettes comme ça qui avancent, tu vois (lui-même se tient légèrement voûté), et qui errent et qui- là comme des clochardes un peu, hein, et <là elle parle de moi là>, une sorte d’âpreté, comme ça, là...
...il faudrait une façon absolument jumelle de s’agiter sur “ Roi ” et sur “ Marguerite ”, hein, c’est un truc un tout petit peu chaotique comme ça, comme des animaux un petit peu <hahaha>(précipite un déplacement fébrile, avec un gémissement) et puis calmer, tu vois, voilà...
... Petit à petit vous apprendrez à prendre le même pied, hein, et oui, non mais c’est un truc à trouver, ensuite faut arriver jusqu’ici (il se déplace avec elles et indique une place). Dans ce déplacement là, regarde, je propose, peut-être que tu peux ne pas regarder, et tourner la tête (la comédienne détourne le visage) - toi tu regardes par contre, comme ça (elle s’exécute)...
Comédienne : Et du moment où j’parle je- (elle oriente son visage vers l’aire de jeu)
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Patrice Chéreau : Voilà et elle se tourne, doucement doucement, sans te cacher, (elle refait le mouvement, plus lentement) c’est juste tourner la tête, <c’est pas à moi>, voilà, c’est ça ; de façon que ça fasse en fait les deux têtes, comme une hydre à deux têtes, tu vois, peut-être...
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Patrice Chéreau : (seul face à la caméra) C’est sûr que j’aurais rêvé d’une transformation des deux, ou d’un accompagnement des deux, l’un étant le fantôme de l’autre, j’aurais rêvé de ça comme euh comme euh comme dans les scènes du théâtre Nô, ou du Kabuki, de choses très japonaises comme ça, et que le temps a manqué parce qu’à un moment donné on est à l’intérieur d’une scène de groupe et que brusquement il faut raconter la scène, et qu’à un moment donné ce genre de gaminerie, c’est-à-dire qu’il y a deux actrices pour le même rôle et l’une abandonne le rôle et le passe à l’autre ne vont pas avec ce qu’on doit raconter dans la scène avec le groupe.
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Patrice Chéreau : (dans l’aire de jeu, parmi les comédiens) Il faut le faire comme deux personnes qui n’ont pas le droit d’aller au centre du plateau, c’est interdit, tu vois, alors tu fais peut-être le tour du lieu, elle rentre pas dans la scène. Elle a pas l’intention d’en faire une, tu vois, elle traîne, peut-être même qu’il faut traîner depuis beaucoup plus longtemps en plus, peut-être même qu’au lieu d’arriver là, ce qui est déjà plus tôt que ce qu’est marqué dans le texte, il faudrait arriver encore plus tôt, tu vois, peut-être traîner dans le- dans le- sous la mezzanine comme ca, et puis arriver, puis s’enhardir là...
... <écoutez, écoutez moi pirates querelleurs> (il a esquissé un déplacement, entraînant la comédienne par la manche), et tu t’arrêtes... et elle continue, tu vois, tu t’arrêtes : <ah mais je me les rappelle trop bien>, tu vois, sur toi-même, comme quelqu’un qui radote, qui parle toute seule ; ça veut dire quelqu’un qui vit dans la douleur de façon permanente, hein? les gens qui ressassent, qui ne font le deuil de rien, donc c’est un truc terrible, hein j’veux dire, c’est un truc qui dévore aussi de l’intérieur, j’veux dire, où elle y perd toutes ses forces, elle en trouve et en même temps elle la consume complètement sa force là-dedans...
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Richard : “ M’est avis que votre grand mère a fait un plus mauvais mariage ”
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Elizabeth : “ Monseigneur de Gloucester, j’ai trop longtemps souffert de vos reproches abrupts et de vos amers sarcasmes ; je retire peu de joie d’être reine d’Angleterre... ”
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Marguerite : “ Et dieu réduit- ”
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Patrice Chéreau : Non non non.
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Elizabeth : “ Je retire peu de joie d’être-
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Patrice Chéreau : <je retire peu de joie d’être-et-dieu> <d’être-et-dieu>
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Elizabeth : “ je retire peu de joie d’être reine d’Angleterre- ”
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Marguerite : “ -et dieu réduit ce peu de joie ➙ ”
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Patrice Chéreau : Ferme ! ferme ! ferme !
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Marguerite : “ Et Dieu réduit ce peu de joie ➙ ➘ ”
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Patrice Ch
é
reau : Non non non non non non ! C’est toi qui dois jouer la phrase : <je retire peu de joie d’être reine d’Angleterre et dieu réduit ce peu de joie> ; “ ta dignité, ton rang me sont- ” tu comprends? C’est la f- c’est pas le début de ta réplique à toi c’est la fin de la sienne ; faut se forcer à les mélanger...
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Marguerite : “ Ta dignité, ton rang... ”
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Patrice Chéreau : Vas-y, oui, voilà...
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Marguerite : “ ...ton trône me sont dus ”
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Patrice Chéreau : Oui, voilà.
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Richard : “ Ah, vous me menacez de tout dire au Roi ! Dites, ne vous gênez pas. Sachez le ce que j’ai dit je le soutiendrai en sa royale présence... ”
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Patrice Chéreau : OK, là tu peux bouger maintenant
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Richard : “ ...quand bien même- ”
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Patrice Chéreau : Oui vas-y !
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Richard : “ quand bien même je risquerai... ”
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Patrice Chéreau : Oui, vas y viens la viens là, oui
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Richard : “ quand bien même je risquerai d’être expédié à la tour. Il est temps d’en parler. On a complètement oublié mes services ”
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Marguerite : “ Je me les rappelle trop bien, démon ! Tu as tué mon époux Henri à la tour... et mon pauvre fils Edouard-
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Richard : “ Avant que vous fussiez- ”
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Patrice Chéreau : “ Avant ” beaucoup plus tôt,
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Richard : - reine ”
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Patrice Chéreau : “ Avant ”, beaucoup plus tôt
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Richard : “ Avant que v- ” d’accord “ Avant que vous fussiez reine ”
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Patrice Chéreau : Attends pour “ je me les rappelle ” : n’accélère pas toi, tu es sur ton rythme à toi, tu vois, qui n’est pas le leur, c’est eux qui doivent accélérer et toi qui dois ralentir, tu vois? Vous devez être sur deux vitesses...
- ...Vas y, tu sais que Edouard veut pas que tu te fasses voir, hein?
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Richard : “ Vous avez oublié mes services ”
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Richard : “ Je me les rappelle trop bien démon, tu as tué mon époux Henri à la tour- ”
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Patrice Chéreau : Oui allonge, oui
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Marguerite : “ ...mon pauvre fils Edouard et- ”
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Patrice Chéreau : Vas-y !
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Richard : “ Avant que vous fussiez reine- ”
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Patrice Chéreau : Oui, vas-y, oui
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Richard : “ que dis-je, avant même que votre mari fût roi, j’étais la bête de somme pour ses grandes affaires ”
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Patrice Chéreau : Oui, continue à avancer, bien
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Richard : “ Pour royaliser son sang j’ai dépensé le mien ”
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Marguerite : “ Oui, et un sang plus précieux que le sien et le tien ”
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Richard : “ Pendant tout ce temps-là... ”
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Patrice Chéreau : Oui, voilà
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Richard : “ ...vous et votre mari Grey... ”
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Patrice Chéreau : Bien
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Richard : “ ...conspiriez pour la maison de Lancastre, et vous aussi Rivers, votre mari n’est-il pas tombé dans le parti de Marguerite à Saint Alban? Laissez moi vous remettre en mémoire ce que vous étiez, et ce que vous êtes, et ce que je fus, et ce que je suis... ”
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Marguerite : “ La reine goûte peu de joie, c’est vrai- ” (voix très calme, débit lent)
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Patrice Chéreau : Pas mal. Avance...
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Marguerite : “ ...car je suis la reine, et privée de toute joie, mais je n’y tiens plus ! (dans une course) Ecoutez moi, pirates querelleurs ! Si vous ne ployez plus devant moi comme des sujets devant leur reine... ”
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Patrice Chéreau : Oui (rocailleux)
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Marguerite : “ ...ne frissonnez vous pas comme des mutins devant celle que vous avez déposée? ”
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Richard : “ Hideuse sorcière ridée...que fais tu la devant mes yeux?
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Marguerite : (voix rocailleuse) “ La seule récapitulation de tes forfaits : un mari, et un fils, voilà ce que tu me dois ”
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Patrice Chéreau
(à la comédienne interprétant Marguerite) : Mais je viens là et je viens aboyer et je viens mordre, tu vois en fait c’est - campée sur tes jambes, <maintenant j’suis là> j’veux dire <j’vais juste redire tout le temps la même chose, récapituler, faire le compte de tes forfaits. Voilà ce que tu me dois.>Pendant ce temps là t’es en train de partir- “ un mari, et un fils voilà ce que tu me dois ”, et toi- elle s’arrête, tu vois, la première que tu agresses, c’est elle, et toi (il se jette sur la reine, l’agrippe) dès qu’elle- elle ne supporte pas le contact, tu vois elle a une main crochue qui arrive et qui l’attrape comme ça- essaye de te libérer, hein, et vous tous (il joue sur les autres) hein, “ allégeance ! ”, accroche-toi aux vêtements, non? On va essayer de voir comment ça- comment ça se passe.
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Marguerite : “ Et toi ! ” (elle se jette dans le groupe)
Un royaume !
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Patrice Chéreau : Oui... Tu te recules(au milieu des comédiens, esquivant l’attaque) Le spectateur il va se- (la comédienne bondit sur ses partenaires, les accroche par tous les moyens)
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Marguerite : “ Et vous tous ! ”
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Patrice Chéreau : Voilà... Oui, oui....
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Marguerite : “ Allégeance ! vous étiez prêts a vous prendre à la gorge ! ”
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Patrice Chéreau : Oui, oui (se jette dans la mêlée) traverse, traverse !
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Marguerite : “ et voilà que vous tournez tous votre haine contre moi? ”
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Patrice Chéreau : Oui, fais-les revenir ! Fais-les revenir !
- (la comédienne les pousse)
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Patrice Chéreau : Non, en tirant plutôt qu’en poussant, en tirant, vas-y !
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Marguerite : “ et la terrible malédiction d’York, a-t-elle prévalu auprès du ciel, de telle sorte que la mort d’Henri, la mort de mon très cher fils Edouard, la perte de leur royaume, mon douloureux exil, que tout cela balance à peine la perte de ce bambin maussade? Les malédictions peuvent elles percer les nuées pour pénétrer au ciel? ”
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Patrice Chéreau : (voix rocailleuse) “ alors ”
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Marguerite : “ Alors faites place, nuées maussades, à mes malédictions ardentes ”
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Patrice Chéreau : Vas-y, prends ton temps...
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Marguerite : “ Alors faites place, nuées maussades, à mes malédictions ardentes➘1 (pas de changement de tempo, elle s’effondre à genoux)
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Patrice Ch
é
reau : Prends ton temps, respire.
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Filage : Marguerite est éclairée d’une poursuite, soutenue par un accompagnement musical ; elle est à terre, dans le rond de lumière, et vient de s’effondrer à genoux)
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Marguerite : “ Si la guerre n’y pourvoit, que votre Roi succombe à sa luxure comme le nôtre a péri assassiné ; que ton fils, Edouard, aujourd’hui Prince de Galles, meure pour mon fils Edouard, naguère Prince de Galles, et ce dans sa fleur, surpris de même par la violence. Toi qui es reine, pour moi qui fus reine, survis comme moi à ta splendeur, puisses tu longtemps vivre, pour gémir sur la mort de tes enfants et pour en voir une autre, comme je te vois à présent, affublée de tes droits, comme tu es installée dans les miens. Que longtemps avant ta mort meurent tes jours de joie, et qu’après de longues, d’innombrables heures de détresse tu meures toi-même, sans plus être mère, ni épouse, ni reine d’Angleterre ”
* * *
(A nouveau en amont, pendant les répétitions : Marguerite est agenouillée)
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Richard : “ Finis-en avec tes sortilèges, immonde sorcière flétrie ”
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Marguerite : “ Pour t’en excepter peut-être? Arrête, chien ! Car tu m’entendras ! ”
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Patrice Chéreau : Lève-toi
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Marguerite : “ Si le ciel tient en réserve une plaie plus lancinante, une plaie pire que celle que je puis te souhaiter...
- ... qu’il la garde, exécrable progéniture des reins de ton père, chiff’ infam’immonde ”
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Patrice Chéreau : ‘Tends là, “ chiff’infame ” faut que tu sépares : “ chiffe - infâme... immonde ➚; ça veut dire quelque chose : c’est pas “ infam’immonde ⇨” c’est- tu prends un départ, sur “ immonde ”, hein?
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Marguerite : “ Exécrable progéniture des reins de ton père, chiff’infâme... immonde !➚
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Richard : “ Marguerite ! ➔ ”
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Marguerite : “
Richard
!
”
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Richard : Hein?
- Patrice Chéreau : <Quoi?> ; amuse toi avec, oui.
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Marguerite : “ Je ne t’appelais pas ”
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Richard : “ Je te demande pardon, je croyais que tu m’avais appelé de tous ces noms fielleux ”
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Marguerite : “ Laisse-moi finir ma malédiction ”
- Patrice Chéreau : Voila, ça vient, on entend le sens au moins, hein?
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Richard : (se tournant vers
Marguerite
)” C’est ce que j’ai fait, elle finit par Marguerite ”
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Patrice Chéreau : “ C’est ce que j’ai fait ⇗”, calme, ne bouge pas, tourne pas, reste de face.
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Richard : (revient face au groupe) “ C’est ce que j’ai fait ⇗
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Patrice Chéreau : <Ben oui ⇗>
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Richard : “ Elle finit par Marguerite ⇘ ”
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Patrice Chéreau : Ben t’as ton public, t’as tout le monde, là-devant, hein, là. <Ben j’étais en train de finir sa malédiction ; elle va pas nous gonfler encore pendant 107 ans celle-là, hein? “ chiffe infâme, immonde➚Marguerite ➘ ”
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Richard: “ Marguerite ⇨⇘ ”
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Patrice Chéreau : Non, essaye, tu fais une “ immonde-Marguerite ➚”
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Richard: “ Marguerite➚ ”?
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Patrice Chéreau : Tu clos sa phrase comme ça ; elle est en train de faire “ immonde ➚... Marguerite ➘”
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Richard: “ Marguerite ➘, oui.
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Patrice Chéreau : Voilà, tu vois, hein ? <Richard !> <Hum?> <Eh je n’t’appelle pas !> <Ah pardon, j’croyais que c’était pour moi tous ces noms>, hein ? C’est ta seule façon de te défendre de son- “ laisse-moi finir ma malédiction ”- <Ben c’est ce que j’ai fait, elle finit par Marguerite> “ elle finit par ”, deux points, “ Marguerite ”➚ “ Marguerite➘”, tu dis la même intonation. Voilà. <ahh ahhh> (il agite sa tête, lève légèrement les coudes) et brusquement, sois perturbé mais par les or- par (geste de la tête secouée entre les mains) tu vois, c’est un son qui colle pas, j’veux dire y a un truc dans les oreilles qui s’est passé, comme si brusquement le charme était rompu ; et brusquement elle va te donner, elle va perdre la tête, là, hein? Amuse toi, que je sente même l’amusement venir avant, tu vois?
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Richard: Hum hum, d’accord
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Patrice Chéreau : Parce que tu entends, tu rigoles pas du tout à mon avis, peut-être, de ce qu’elle dit.
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Richard: Ouais ouais...
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Richard : “ Que dit-elle Monseigneur de Buckingham ? ”
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Patrice Chéreau : Hum, souris.
- Buckingham : “ Rien dont je fasse cas mon gracieux seigneur ”
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Marguerite : “ Quoi ! Tu flattes le démon contre qui je te mets en garde ? Oh ! ”
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Patrice Chéreau : Ne te tourne pas en même temps qu’elle, Jérôme, sinon tu lui voles sa réaction, tu vois?
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Marguerite : “ ...Rappelle-toi ceci le jour où il t’aura fendu le cœur de chagrin, et dis alors que la pauvre Marguerite était une prophétesse. ”
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(A nouveau en filage : poursuite, costumes...)
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Marguerite : “ Puisses tu, tant que tu vivras, voir des traîtres dans tes amis, et prendre pour tes plus chers amis de profonds traîtres, toi, qui disgracias la grossesse de ta mère, exécrable progéniture des reins de ton père, (hurlant, tombant à genoux)
chiffe infâme ! immonde ! ”
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Richard : “ Marguerite ”
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Marguerite : “ Richard !! ” (dans un long sanglot, face contre terre)
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Richard : “ Hein? ”
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Marguerite : “ Je ne t’appelle pas. ”
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Richard : “ J’te demande pardon je croyais que tu m’avais appelé de tous ces noms fielleux. ”
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Marguerite : “ Laisse-moi conclure ma malédiction. ”
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Richard : “ C’est ce que j’ai fait, elle finit par Marguerite. ”
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Elizabeth : “ Vous avez donc exhalé votre malédiction contre vous-même ! ”
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Marguerite : “ Pauvre reine en peinture, vain faux-semblant de ma fortune, pourquoi répandre du sucre sur cette araignée boursouflée, quand la toile mortelle t’enveloppe, pauvre folle ! Tu aiguises le couteau qui te tuera ! Le jour viendra ou tu souhaiteras que je t’aide à maudire ce venimeux crapaud bossu. ”
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(Retour aux répétitions, en amont)
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Patrice Chéreau : “ pauvre folle ” - <comment faire pour te l’expliquer, j’ai plus de force pour te l’expliquer, parce qu’il faudrait plus que j’n’en donne, pour te faire comprendre que tu es en train de donner du sucre à l’araignée qui va te bouffer>. “ Pauvre folle ”, faut lui dire assez près, je crois, non?
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Marguerite : Ouais
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Patrice Chéreau : <Comme- comment arriver- comment pourrais-je parvenir à ton oreille, à ton cerveau, que tu entendes les choses que je te dis : tu aiguises le couteau qui va te tuer, il est là, à côté de toi>, hein?
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Patrice Chéreau : Tu peux avoir un arrêt là, et après ça t’énerve, justement, “ finissez-en ” tu vois, j’veux dire, tu vois que- <bon ça suffit là mainten-> tu vois, j’crois qu’il faut qu’il y ait une sorte d’esclandre lourd, comme ça, j’veux dire, <finissez-en avec elle>, j’veux dire, elle te répond, elle te répond, tu vas pour répondre et tu dis <non mais ne discutez pas, ni vous ma mère, ni lui, tous les deux ne discutez pas avec elle, c’est une folle>, agresse-la, t’en peux plus là, hein, j’veux dire c’est que faut qu’elle stoppe...
...Il faut s’écarter d’elle, quand elle essaye de vous attraper, et en fait, c’est une erreur qui arrive couramment c’est que, comme vous avez le repère des répliques, sur Rutland, tout le monde attend sa réplique pour bouger, alors qu’en fait j’crois que vous étiez déjà en train de vous écarter d’elle petit à petit, puis lentement, puis ensuite ça s’enhardit, puis les répliques viennent vers le milieu du plateau et puis après vous vous retrouvez à faire ce groupe...
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Filage, lumière, costumes...
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Marguerite : “ Si vous ne ployez plus devant moi, comme des sujets devant leur reine, ne frissonnez-vous pas comme des mutins devant celle que vous avez déposée? ”
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Richard : “ Hideuse sorcière ridée, que fais tu là devant mes yeux? ”
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Marguerite : “ La seule récapitulation de tes forfaits, un mari et un fils, voilà ce que tu me dois. Et toi, un royaume, et vous tous, allégeance ; mon deuil vous appartient de droit, et tous vos plaisirs usurpés me reviennent. ”
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Richard : “ La malédiction que mon noble père lança sur toi lorsque tu couronnas de papier son front martial, et que tes outrages firent jaillir des torrents de ses yeux, et que pour les sécher tu donnas au duc un chiffon trempé dans le sang innocent du tendre Rutland ; ces malédictions proférées contre toi sont toutes retombées sur ta tête. Ce n’est pas nous, c’est dieu qui a châtié ton acte sanguinaire. ”
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Elizabeth : “ Dieu montre sa justice en vengeant l’innocent. ”
(ils tournent autour d’elle, isolée dans sa poursuite)
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Hastings : “ Voilà l’abject forfait, que d’avoir massacré ce petit enfant. Sait-on rien de plus impitoyable? ”
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Rivers : “ Les plus violents ont pleuré à l’entendre ! ”
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Dorset : “ Pas un homme qui n’avait prédit ce châtiment. ”
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Buckingham : “ Et Nothumberland, qui était présent alors, pleura à cette vue. ”
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Marguerite : “ Vous faisiez tous assauts de hargne, avant mon arrivée, vous étiez prêts à vous prendre à la gorge et voilà que vous tournez tous votre haine contre moi?...
...Je prie dieu qu’aucun de vous n’atteigne à son terme naturel et que vous soyez tous fauchés par un brusque accident...
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Hastings : “ Fallacieuse prophétesse, cesse tes malédictions frénétiques, de crainte d’exaspérer notre patience à tes dépens. ”
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Marguerite : “ Soyez maudits, vous avez tous exaspéré la mienne ! ”
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Rivers : “ Vous seriez servie comme vous le méritez, si vous appreniez vos devoirs (il la propulse au loin)
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Dorset : “ Ne discutez pas avec elle, c’est une folle ” -
Marguerite : “ Paix ! Maître marquis vous êtes un insolent, votre titre sort de la frappe, c’est à peine s’il accourt. Oh ! votre noblesse toute fraîche puisse-t-elle comprendre un jour ce que c’est que de le perdre, et d’être misérable...
...Vivez tous tant que vous êtes en butte à sa haine, lui en butte à la vôtre, et tous, en butte à celle de dieu ! ”
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