Leçon III “ Monologue ”
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Patrice Ch
é
reau
:
(seul face cam
é
ra) Quelquefois on a tendance à faire - et les Anglais le font souvent, y compris avec des grands comédiens, comme Yann Mac Cullen - des versions très caricaturales de Richard, très très dictatoriales dans le sens dans le sens très caricatural du terme c’est-à-dire quelque chose entre le fascisme, Hitler et Mussolini. Or dans la pièce il y a deux scènes incroyables de séduction, où cet homme apprend la séduction, et séduit réellement. Et le postulat de Planchon, j’avais envie un peu de le faire mien totalement, et je l’ai fait d’ailleurs je crois dans cet acte ; ça m’a conduit, j’aurais dû m’y tenir un petit peu plus, sûrement, d’ailleurs, mais ça m’a conduit au choix de Jérôme pour jouer le rôle et à la façon dont je le dirigeais, j’essayais de l’amener au rôle, c’est que c’est un personnage séduisant. Et que le mal est séduisant - et que si le mal- tout le problème est là - si le mal est séduisant, c’est bien le problème du mal, c’est bien ça le problème...
* * *
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Henry : “ Pourquoi es-tu venu? Est-ce pour me tuer? ”
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Richard : “ Me prends-tu pour un exécuteur? ”
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Henry : “ Un persécuteur, en tout cas, je suis sûr que tu l’es. Si c’est exécuter qu’assassiner des innocents, en tout cas là tu es bien un exécuteur. ”
- [...]
- (Meurtre)
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Richard : “ Meurs ! Descends en enfer et dis que c’est moi qui t’y ai envoyé. Moi qui n’ai ni pitié, ni amour, ni crainte ”. Là, je le repoignardais.
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Patrice Chéreau : Oui oui.
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Richard : “ Moi qui n’ai ni amour, ni pitié, ni crainte ” (simulation de coup de poignard, se relève) “ En fait, ce qu’Henry disait de moi est la vérité ”
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Patrice Chéreau : Va pas trop vite pour faire la liaison entre le meurtre et le et le monologue ; je pense même que je t’avais proposé peut-être même de dire en fait “ tout ce que Henry a dit de moi ” de le dire, euh, encore accroupi sur lui. Moi je le ferais exactement comme c’est écrit : “ Descends en enfer et dis que c’est moi qui t’y ai envoyé, <chtac !> (geste du poignard), et tu reprends ta pensée et tu dis : “ moi ”, (?) c’est le fils, comme tu viens de le dire tout à l’heure, <parce que je n’ai ni amour, ni pitié, ni crainte> Tu pourrais même là commencer à t’adresser au public, par dessus son cadavre, en le faisant témoin, témoin du meurtre. D’accord?
... (Jérôme joue la scène du meurtre, juste avant le coup de poignard)
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Patrice Chéreau
(criant lui-même)
: Crie ! Crie, vas-y !
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(Jérôme pousse un cri à chaque coup de poignard, auquel Chéreau répond par un cri semblable, qui se transforme à chaque fois en : “ Vas-y ! ”)
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Richard : “ [...]S’il reste en toi la moindre étincelle de vie, descends ! Descends en enfer, et dis que c’est moi qui t’y ai envoyé.(Coup final) Moi, qui n’ai ni pitié (il se tient à califourchon par dessus le corps de sa victime, déplace une main) “ Moi qui n’ai ni pitié... ”
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Patrice Chéreau : Oui c’est bien les deux mains d’un côté (Jérôme poursuit son déplacement de main). Non ! De- de- vers nous (il remet les deux mains du même côté du corps, côté public). Oui.
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Richard : “ Ni amour... ”
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Patrice Chéreau : Et un peu vers nous la tête (il tourne la tête) Voilà.
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Richard
:(dans un souffle) : “ Ni crainte... ”
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Patrice Chéreau
(chuchoté sur le même ton)
: Voilà.
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Richard : Au fait, ce que Henry disait était la vérité, car j’ai souvent entendu ma mère répéter que je suis venu au monde les pieds devant, (il se déplace en claudiquant, s’assied par terre et commence à délacer une de ses chaussures)
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Patrice Chéreau : Si tu te mets par terre mets-toi un peu de dos, trois quarts dos, et parle au public. Voilà c’est ça (pouffant de rire) eh eh voilà, <ça vous embête pas faut juste que j’remette ma chaussure> (Chéreau a rejoint le comédien sur l’aire de jeu) <mais, ça empêche pas d’faire la conversation, hein?> Vas-y.
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Richard : “ L’accoucheuse en fut saisie... ”
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Patrice Chéreau :
(éclatant de rire) Oui c’est ça, j’veux dire, il a des souvenirs de sa naissance en plus, <Je m’souviens très bien, c’était à midi moins le quart et ils ont poussé un cri... J’ai pas aimé la tête qu’elle a fait dès que je suis arrivé... J’l’ai vue que tard, parce que je suis arrivé par les pieds, mais j’ai pas trop aimé... A peine sorti, une fois essuyé rapidement le placenta (mime la scène en passant sa main sur le visage) sa tête m’a déplu> Hein, très calme, très concret, j’veux dire, tu as un souvenir.
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Richard : “ L’accoucheuse en fut saisie, et les femmes crièrent : ‘Jésus, bénissez-nous, il est né avec des dents !’ et c’était vrai, ce qui clairement signifiait que je devais grogner et mordre, et faire le chien... ”
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Patrice Chéreau : ‘Tention, trop... Attention à la musique.
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Richard : Ah ouais? (monocorde) : “ que je devais grogner... ”
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... Jeu : il tire péniblement le corps de sa victime, en tachant d’accélérer le mouvement malgré sa jambe traînée...) “ Je vais jeter ton corps dans une autre salle, et triompher, Henry, en ce jour de ton trépas. ”
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Patrice Chéreau : Attention, change : “ Et puisque- ” (Jérôme lâche le corps) Public. Enchaîne.
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Richard : “ Et puisque l’amour, et puisque le ciel a ainsi façonné mon corps... ”
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Patrice Chéreau : <Comme ça>, hein, <Comme vous voyez>.
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Richard :
(passant la main sur son bras mort) : “ que l’enfer en réponse me torde l’âme ”.
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Patrice Chéreau : Si tu veux la paraphrase de ça ce serait <puisque l’enfer m’a fabriqué- le ciel, le ciel, qui normalement doit fabriquer des objets parfaits, m’a fabriqué un corps difforme, alors, à partir d’aujourd’hui je veux que l’enfer, en réponse, me fabrique un esprit tordu> “ Me torde l’âme ” c’est dans le sens <qu’il me fasse tordu, que je sois tordu>, tordu dans le sens de tordu. Le ciel- en plus y a une injustice, le ciel- : Dieu n’a pas fait son travail dans ton cas. T’as un dialogue permanent avec Dieu, direct, hein ? En disant : <Voilà c’que tu m’as fait. Que l’enfer en réponse me torde l’âme> Puisqu’il faut bien lui donner coup pour coup : <Le ciel m’a raté, je veux qu’l’enfer me réussisse, mais dans l’horreur>.
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Richard : D’accord.
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Patrice Chéreau : <Que je sois vraiment tordu> Ça, pour être tordu, il est tordu, hein? Mais c’est pas intéressant d’être tordu simplement par la nature, à cause de la bosse et du pied, et du bras, tu vois?
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Richard : Oui, oui.
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Patrice Chéreau : L’intéressant c’est tordu là (geste de la main à la tête).
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Richard : “ Je suis sans frère, pareil à aucun frère- ”
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Patrice Chéreau : Faut séparer un peu plus : “ aucun ”, c’est-à-dire qu’il n’y en aura plus aucun à côté de moi : <Je suis différent d’eux et j’vais tous les tuer>, tu vois?
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Richard
(voix presque chuchotée) : “ Je suis sans frère... pareil à aucun frère... ”
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Patrice Chéreau
(chuchoté en même temps
) :
“ Je suis sans frère, pareil... à
au
cun frère ”
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Richard : “ Ce mot amour que les vieux sages trouvent divin est bon pour les humains qui ont leur pareil, mais pas pour moi ”
[...] -
Patrice Chéreau : <Aucun frère n’est semblable à moi, et aucun humain n’est semblable à moi ; le mot amour c’est bon pour ceux qui ont des gens qui leur ressemblent, moi je ressemble à rien>, tu vois?, <je suis moi seul, moi-même> avec dans l’horreur, d’une certaine façon, de la solitude dans laquelle ça te met.
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Richard : Ouais ouais.
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Patrice Chéreau : Et du coup tu vas singer, très brillamment, tous les sentiments, tu vas t’mettre à singer l’amour fraternel, et après tu vas t’mettre à singer, très brillamment, l’amour charnel, pour une femme, et tu vas même arriver à pleurer.
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Richard : “ Ce mot amour... ”
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Patrice Chéreau : Ça peut même être douloureux en dessous, secrètement, en le cachant
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Richard : “ Amour ”, ouais.
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Patrice Chéreau : Ouais ouais, faut l’cacher, faut l’avoir et puis l’cacher.
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Richard : Ouais. “ Ce mot...amour que les vieux sages trouvent divin, est bon pour les hommes qui ont leur pareil, mais par pour moi... Je suis moi seul. ”
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Patrice Chéreau : Prends ton temps encore plus : “ Je suis... ” serre les dents...
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Richard : “ Je suis... moi seul... moi-même ”
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Patrice Chéreau : Oui c’est ça, c’est comme si tu entrais en religion, tu vois, <A partir d’aujourd’hui je serai... sans personne, dans une solitude... totale...Je serai... sans frère>.
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Richard : “ Je suis sans frère... ”
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Patrice Chéreau :
(chuchoté) Au fond.
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Richard : “ ...pareil... à aucun frère... Et ce mot amour... ”
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Patrice Chéreau : N’accélère pas.
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Richard : “ ... que les vieux sages trouvent divin... ”
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Patrice Chéreau : Oui.
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Richard : “ ... est bon pour les hommes qui ont leur pareil mais pas pour moi... Je suis moi seul... moi-même... ”
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Patrice Chéreau : C’est un truc de fou de puissance, tu vois, jamais il le dira à ce point-là. Et laisse l’écho de la phrase planer...
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Richard : “ Clarence, gare à toi... ”
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Patrice Chéreau : Oui.
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Richard :
(voix rocailleuse) “ Tu m’interceptes la lumière... ”
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Patrice Chéreau : ‘Tention... Doucereux, plus doucereux.
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Richard : “ ... Ton tour vient, Clarence... ”
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Patrice Chéreau :Ben oui, forcément... plus simple...
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Richard : “ ... et celui des autres. J’ai comploté, j’ai posé de perfides jalons... ”
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Patrice Chéreau :N’accélère pas.
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Richard : “ ... par des prédictions d’ivrognes, des libelles, des songeries, pour dresser le Roi et Clarence en mortelle détestation les uns contre les autres... ”
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Patrice Chéreau :Ne t’en- ne t’en réjouis pas...
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Richard: Ah oui?
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Patrice Chéreau : C’est un- c’est un cliché ça.
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Richard: Ah ouais d’accord, OK, d’accord.
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Patrice Chéreau :C’est plus, c’est plus, <c’est déjà fait>, non mais quelqu’un qui dit : <C’est déjà pourri, le ver est déj- le fruit est déjà pourri>.
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Richard: D’accord.
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Patrice Chéreau : <Ils sont déjà- ils sont déjà en mortelle détestation les uns contre les autres>.
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Richard : “ Et si le Roi peut être aussi franc et aussi droit que je peux être rusé, fourbe, et traître, ce jour verra Clarence étroitement claquemuré au sujet d’une prophétie qui déclare que G
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Patrice Chéreau :
‘Tention, tention, on doit bien tout entendre.
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Richard : ah ouais : “ Clarence étroitement claquemuré ”
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Patrice Chéreau :
Holà, tu vois? C’est-à-dire qu’il faut être très très méticuleux et très maniaque. Tu vois, c’est-à-dire que <J’ai comploté, j’ai posé de perfides jalons par des prédictions d’ivrognes, des libelles, des songeries, j’ai fait tout ce qu’il fallait faire pour dresser le Roi et Clarence en mortelle détestation>.
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Richard: Ah ouais d’accord.
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Patrice Chéreau : Hein?
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Richard: Parce que, ah ouais, l’autre fois ce que j’avais cru comprendre c’est...
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Patrice Chéreau :Oui?
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Richard: ... qu’il disait ça, euh, un peu , voyez, comme on met les choses en place, par des trucs...
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Patrice Chéreau :Non, j’crois pas qu’il faille être évasif, tu vois tu peux avoir une sorte d’énergie qui s’accélère comme ça, mais j’crois qu’il faut que ce soit précis ; tout a été pensé...
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Richard: Ah d’accord.
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Patrice Chéreau : Sans jouer le fourbe, faut surtout jamais jouer le fourbe. Tu peux jouer la haine, comme ça, te dire <Maintenant y a plus personne à côté de moi ; il se trouve que le Roi Edouard est aussi franc et droit> c’qui est pas forcément le cas <que je suis rusé, fourbe et traître> C’est-à-dire si tu dis- ne prends pas d- ne joue pas le plaisir de dire ces choses-là, tu expliques au spectateur que tu as déjà fait - on sait pas quand, parce que tu étais là, sur le plateau - mais par un trait de magie, tu leur dis : <C’est déjà fait ; j’ai fait répandre des faux bruits, j’ai fait faire, j’ai fait des trucs, tout est fait. Et Clarence aujourd’hui, ce jour verra Clarence étroitement claquemuré, mis en prison, à propos d’une prophétie, c’est compliqué c’que j’ai organisé mais ça marche, qui dit que G sera le meurtrier de de de...>
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Richard : des enfants d’Edouard.
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Patrice Chéreau : ... des enfants d’Edouard- des héritiers d’Edouard.
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Richard : Des héritiers d’Edouard...
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Patrice Chéreau : Tu n’oublies pas que c’est vrai, cette prophétie est réelle, parce que le meurtrier des héritiers d’Edouard s’appellera Gloucester, c’est-à-dire toi.
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Richard: Oui.
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Patrice Chéreau : Hein? Mais ton prénom c’est Richard, donc il faut jouer entre le prénom et...
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Richard: Oui.
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Patrice Chéreau : “ G ” comme Gloucester, et comme Georges.
- [...]
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Richard : “ Et si le Roi Edouard est aussi franc et droit, que je suis rusé, fourbe et traître, ce jour verra étroitement Clarence claquemuré, au sujet d’une prophétie qui déclare...
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Patrice Chéreau : Ralentis : “ sujet ” ; très précis, technique.
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Richard : “ ...au sujet d’une prophétie qui déclare que G sera le meurtrier des enfants- ”
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Patrice Chéreau : des héritiers.
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Richard : “ des héritiers d’Edouard... ” (il se retourne pendant que d’autre comédiens arrivent dans l’aire de jeu)
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Patrice Chéreau : Les regarde pas, enchaîne, ne regarde pas : “ Plongez dans... ”
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Richard : “ Plongez au fond de mon cœur, pensées, car voici Clarence... ”
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Patrice Chéreau :
...(les yeux fermés, très concentré)“ Plongez au fond de mon cœur, pensées ” j’veux dire, dis-le pour toi, fais physiquement (geste de la main de haut en bas) ...
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Richard: D’accord.
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Patrice Chéreau : ...l’action de les envoyer au fond, bien cachées sous deux oreillers de ta conscience, comme ça. Arrête de dire tout ce que tu penses : “ Plongez au fond de mon cœur, pensées ” <Je vais jouer, maintenant ; je ne vais pas faire- je ne vais plus être Gloucester, je vais jouer le frère, vous allez me voir jouer le frère> Parce que- et tu le montres : <Excusez-moi, j’ai du boulot : voici Clarence>
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Richard: D’accord.
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Patrice Chéreau : <Mais j’oubliais que vous le connaissez déjà ; vous avez déjà vu la pièce d’avant, suis-je bête>, hein? <Voici Clarence> ... Et qu’est-ce- c’est toi qui continues?
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Richard : Ouais : “ Voici Clarence. Bonjour frère ! Que signifient ces gardes armés qui flan- ”
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Patrice Chéreau : Et là il faudrait faire un- là il faudrait faire un changement mais phénoménal et tu joues le bon frère. C’est très difficile que ça ne passe pas pour la fourberie la plus suprême. Il faut impérativement que le mal ait le visage du bien. Il n’y a, à l’app- à l’œil, aucune différence entre lui et un honnête homme. Sinon c’est trop facile, il fait (rire sardonique) <Je suis Richard III>. On doit être troublé, on doit se dire : “ Attends c’est pas possible que cet homme qui se comporte comme ça ait décidé de la mort de son frère ”. C’est horriblement difficile parce que une fois que tu as dit tout ça : “ Plongez au fond de mon cœur, pensées, car voici Clarence ”... et peut-être qu’il faudrait même voir le moment où il change, qu’il se concentre...
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Richard: Oui.
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Patrice Chéreau : Et qu’il démarre la scène dans la sincérité totale. Et il va l’embrasser, il va le le prendre sur son cœur ; et il lui dit : <Mais c’est quoi ces-> Et il faut qu’il puisse pleurer pour la mort de Clarence... C’est quoi la première réplique?
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Richard : “ Que signifie ” oui c’est ça “ ces gardes armés qui flanquent votre grâce? ”
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Patrice Chéreau : <Mais qu’est-ce que ça veut dire, ces gardes armés qui-> mais j’veux dire, pousse-les j’veux dire, tu vois, mais tiens-le toi, à deux mains, tu vois, <...votre Grâce, mais laissez-le> (il joue ses propres indications) Non? Hein?
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Richard : “ Ce jour verra Clarence étroitement claquemuré au sujet d’une prophétie qui déclare que...
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Patrice Chéreau : Dans un grognement : Vas-y...Allez !
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Richard : “ G sera le meurtrier des héritiers d’Edouard. Plongez au fond de mon coeur, pensées, voici Clarence (il s’immobilise face public, les yeux écarquillés, comme en proie à une métamorphose, se retourne vers ses partenaires)
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Patrice Chéreau : Attends, laisse-les passer. Regarde-le... Vas-y !
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Richard : “ Bonjour, frère ! Que signifient ces gardes armés qui flanquent votre majesté? ”
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Clarence : “ Sa majesté, dans sa sollicitude pour la sûreté de ma personne, a chargé cette escorte de me conduire à la tour. ”
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Richard : “ Pour quelle raison? Et pourquoi? ”
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Clarence : “ Parce que mon nom est Georges. ”
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Jérôme Huguet cherche le “ corps ” de Richard. Un pied nu, l’autre chaussé d’une chaussure très épaisse, il marche en boitant, le buste tordu... Patrice Chéreau marche à ses côtés, l’observe
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Patrice Chéreau : Essaie de redresser plus la droite, hein? Voilà, pas trop... P’t’être un petit peu trop, voilà. Pas mal... Et un moment donné il faut trouver des positions de repos, qui doivent être très très bizarres, tu vois, de de de j’sais pas comment là, et puis là- c’est pour ça qu’il peut se masser la jambe de temps en temps, tu vois?
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Richard:Ouais.
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Patrice Chéreau : Après faudra décider quel est le bras qui va être un petit peu...mort, en fait tout bêtement, et il faudra voir s’il faut que tu fasses tous les gestes des deux bras.
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Richard: Ah ouais.
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Patrice Chéreau : Et qu’on contraire tu prennes les gens comme ça (il enlace Jérôme, d’un seul bras), et que l’autre reste là tu vois? (l’autre bras pend, raide)
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Richard: Ouais ouais.
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Patrice Chéreau : Peut-être, hein, j’sais pas.
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Richard:Ah ben ouais, quand je vais serrer euh...
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Patrice Chéreau : Peut-être, je sais pas, j’veux dire, c’est une- c’est un handicap, hein, de pas avoir les deux bras.
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Richard:Ben ouais parce que pour les bagarres, euh...
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Patrice Chéreau : Ah tu pourras pas.
- ... Après on intégrera petit à petit un tout petit peu de bosse. Et la bosse il faudrait qu’elle soit du côté du bras atrophié, quoi, le contraire de-
- ... Il y a une logique à trouver là, hein qui fait que brusquement c’est comme si, oui c’est comme si il prenait plus d’artifice, tu vois, tu joues plusieurs rôles, hein, t’as vu?
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Richard:Ouais ouais, non non tout à fait ouais.
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Patrice Chéreau : Hein, en une scène.
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Richard:Ouais.
- (échange inaudible)
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Patrice Chéreau : Hein? Ok.
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Richard:Ouais, merci.
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Patrice Chéreau : Euh, ben, on fait une pause et on y retourne.
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- Filage : éclairages : Richard est éclairé par une poursuite
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Richard : Est-ce que je suis obligé de partir sur le...
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Patrice Chéreau : Sur?
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Richard : parce qu’à chaque fois j’suis en carafe, en fait, sur la longueur...
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Patrice Chéreau : Sur?
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Richard :Ben en traînant le corps est-ce que je suis forcé de partir à sur “ Toi, je vais jeter ton corps dans une autre salle ”?
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Patrice Chéreau : Oui oui, pourquoi, ça te- qu’est-ce qui t’gêne? Ça va.
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Richard :OK, ça va?
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Patrice Chéreau : Oui oui, très bien.
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Richard :J’ai l’impression que...
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Patrice Chéreau : Non, non, du tout.
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Richard : C’est bon?
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Patrice Chéreau : Non non, du tout.
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Richard: OK.
* * *
Retour aux répétitions, en amont.
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Patrice Chéreau : C’est comme si tu voyais la piste d’atterrissage, tu ralentis, tu atterris sur la pièce principale.
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Richard: D’accord. Mais sur la fin d’Henry, par contre, c’est clair, c’est minimum.
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Patrice Chéreau :Ah oui, oui oui, voilà, <Je suis> balaye, éliminé : <Je suis moi seul, moi- je suis sans frère, pareil à aucun frère>, tu vois, il faut resserrer un petit peu.
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Richard: D’accord, OK.
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Patrice Chéreau : <Je suis moi seul, moi-même> Crac, et après la musique doit t’aider à commencer à ralentir un tout petit peu, <J’ai comploté>, et après tu peux le parler comme tu l’as fait, là tu vois?
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Richard: D’accord, OK, ouais, merci.
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Patrice Chéreau : Hein? Et atterris, tu vois, tu trouves la piste d’atterrissage, et tu démarres.
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Richard: Sur Richard III.
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Patrice Chéreau : Sur Richard III. OK?
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Richard: OK.
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Patrice Chéreau : Que je l’entende, que je l’entende à l’oreille.
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Richard: Ouais d’accord OK. C’est voilà, on y va.
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Patrice Chéreau : Ouais, ça c’est bien, hein?
... à Philippe Cachia (qui s’occupe de la musique) : Mets le passage, c’est-à-dire : “ je suis moi seul, moi même ”, c’est ça? Tu vois? -
Philippe Cachia : Oui oui.
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Patrice Chéreau : Hein? Fais-le moi écouter parce que, pour qu’on l’fasse ensemble pour qu’on regarde où tu peux caler les mots, comme ça. Faut que tu l’écoutes, oui? d’accord? Mais t’en vas pas trop loin parce que pour que tu l’entendes c’qui s’passe, parce qu’il faut en tenir compte pour caler les paroles
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Richard: “ Puisque-
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Patrice Chéreau : Appuie-toi sur la musique, tu vois?
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Richard: D’accord, ouais. “ Et puisque le ciel a ainsi façonné mon corps, que l’enfer en réponse me torde l’âme. Je suis sans frère, pareil à aucun frère. Ce mot ‘amour’ que les vieux sages trouvent divin est bon pour les humains qui ont leur pareil, mais pas pour moi. Je suis moi seul, moi-même (la musique part) Clarence gare à toi (bref silence)
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Patrice Chéreau :Tu l’dis trop vite (pendant ces mots, la deuxième slave sonore est arrivée; Chéreau indique à Jérôme de redémarrer)
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Richard: “ Tu m’interceptes la lumière (troisième salve de musique) Ton tour vient, Clarence (salve) ”
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Patrice Chéreau : “ et puis celui des autres ”
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Richard: “ ...Et puis celui des autres ”
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Patrice Chéreau : Fort. Bon il faut absolument qu’il y ait la dernière timbale après : “ Et puis celui des autres ”, d’accord?
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Richard: OK, Ouais, d’accord.
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Patrice Chéreau : OK.
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Richard: ...(à genoux, soupirant bruyamment) Une fois j’l’avais- tu vois j’l’avais fait comme ça, en fait, mais c’est peut-être trop, quoi? Que ma (?) ce soit comme ça : <Et maintenant Clarence> (il se relève) Mais, j’sais pas...
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Patrice Chéreau :Et ça tu tu tu peux pas l’faire debout ça, la même chose?
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Richard: Si, j’sais pas.
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Patrice Chéreau :Non?
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Richard: J’sais pas...Si ouais... Mais j’ai l’impression que je suis vachement sur le souffle, ouais.
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Patrice Chéreau : Non, pas là.
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Richard: Pas là?
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Patrice Chéreau : Non, pas là.
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Richard: Et c’est pas encore assez net, non, ça peut être plus net, les trois parties ?
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Patrice Chéreau : Ouais, mais c’est bien dans l’élan, c’est bien dans l’élan, celui là, tu sais?
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Richard: Ouais ouais, tout à fait.
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Patrice Chéreau : C’est bien dans l’élan : faut que ça avance, et tu te calmes sur : “ J’ai comploté ”.
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Richard : Ouais.
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Patrice Chéreau : Recentre-toi sur sur le changement de pièce.
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Richard : Ouais donc y a le changement de ton pour Henry VI, donc son frère.
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Patrice Chéreau : Oui, oui, et puis il y a “ ton tour vient Clarence ” ; “ Clarence gare à toi ”. Tu peux les décoller un petit peu. T’as peur de- de- d’être bouffé par la musique mais t’as un petit peu de temps si tu- prends le temps d’appeler Clarence. (A Philippe Cachia) Tu peux la redonner la musique? (réponse musicale immédiate).
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Richard : “ Clarence, gare à toi ! tu m’interceptes la lumière... Ton tour vient Clarence ! ”
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Patrice Chéreau :“ Et puis celui des autres ”
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Richard : “ Et puis celui des autres. ”
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Patrice Chéreau : ... deux, y en a deux maintenants (coups de tambours). Faut que tu en laisses passer deux, faut que tu en entendes deux après “ Et puis celui des autres ”. Donc ne traînes pas trop pour “ Et puis celui des autres ”, par contre, “ Clarence gare à toi ” tu as un petit peu de temps.
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Richard : D’accord, OK.
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Patrice Chéreau :Ensuite “ J’ai comploté ”?
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Richard: “ J’ai comploté ; j’ai posé de perfides jalons par des prédictions d’ivrogne, des libelles... ”
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Patrice Chéreau : Détends-toi même presque, j’veux dire cherche déjà le...
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Richard:
(beaucoup plus doux) “ des libelles ”
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Patrice Chéreau :Et j’crois qu’il faut que t’aies les yeux quand même dans la salle, hein?
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Richard: Faut que quoi?
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Patrice Chéreau : Que t’aies les yeux dans la salle, quand même, hein?
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Richard: Ouais ouais.
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Filage
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Henry : “ Ta bouche était pourvue de dents quand tu naquis, signe évident que tu venais le mordre ce monde, et si le reste est vrai de ce que j’ai entendu, tu vins... ”
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Richard : “ Je n’en entendrai pas davantage... Meurs prophète, au milieu de ton apostrophe. ” (Il poignarde le roi)
- [...] “ S’il reste en toi la moindre étincelle de vie, descends en enfer, et dis que c’est moi qui t’y envoie, moi qui n’ai ni pitié, ni amour, ni crainte. En fait, ce qu’Henry disait de moi est la vérité car j’ai souvent entendu ma mère répéter que je suis venu au monde les pieds devant. N’avais-je pas raison de me hâter, et de vouloir ruiner qui usurpait mon droit. L’accoucheuse en fut saisie, et les femmes crièrent : ‘Jésus, bénissez nous, il est né avec dents’. Et c’était vrai, ce qui clairement signifiait que je devais grogner, et mordre et faire le chien. Toi, je vais jeter ton corps dans une autre salle, et triompher, Henry, en ce jour de ton trépas. Et puisque le ciel a ainsi façonné mon corps, que l’enfer en réponse me torde l’âme. Je suis sans frère, pareil à aucun frère ; ce mot ‘amour’, que les vieux sages trouvent divin, est bon pour les humains qui ont leur pareil, mais pas pour moi. Je suis moi seul, moi-même. Clarence, gare à toi : tu m’interceptes la lumière. Ton tour vient, Clarence, et puis celui des autres. J’ai comploté, j’ai posé de perfides jalons par des prédictions d’ivrognes, des libelles, des songeries, pour dresser le Roi et Clarence en mortelle détestation, l’un contre l’autre. Et si le Roi est aussi franc et droit que je suis rusé, fourbe, et traître, ce jour verra Clarence étroitement claquemuré au sujet d’une prophétie qui déclare que G sera le meurtrier des enfants d’Edouard. Plongez au fond de mon cœur, pensées, voici Clarence. Bonjour frère! Que signifient ces gardes armés qui flanquent votre Grâce? ”
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Clarence : “ Sa majesté dans sa sollicitude pour la sécurité de ma personne, a chargé cette escorte de me conduire à la tour ”
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Richard : “ Pour quelle raison? ”
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Clarence : “ Parce que mon nom est Georges. ”
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