Leçon V : “ Paroles d’élèves ”

(Une élève) Les ateliers de troisième année, faits avec des intervenants extérieurs au Conservatoire ça sert à ça : c’est-à-dire se rendre compte qu’il ne s’agit plus de se montrer individuellement comme un acteur, dans une scène, avec la réplique, enfin c’qui s’fait au Conservatoire ; mais bien un projet général, un spectacle...
(Un élève) Dans un cours, on a le temps, on la temps de travailler le rôle. Quand on est dans une pièce on doit travailler, on travaille plus dans l’urgence, parce qu’on a un temps réduit, donc j’ai l’impression que c’est euh c’est là que commence le vrai travail...
(Une élève) Ça fait du coup un esprit de groupe, ça fait vraiment une troupe, ça fait euh, on travaille tous dans le même sens, avec un metteur en scène. Au Conservatoire, c’est- on travaille des petites scènes, alors on passe de Shakespeare, à Marivaux à Tchekhov, Pinter, d’une minute à l’autre, on n’a que neuf heures par semaine d’interprétation. Puis chacun est dans son petit coin...
(Un élève) Chaque professeur du Conservatoire a sa façon d’aborder les choses et son travail. Avec Dominique Valladier ça va être autre chose, nous on avait eu Muriel Mayette, elle nous faisait travailler sur la pensée : elle nous dit “ pars pas tout de suite dans le jeu ”, elle nous dit “ pense ce que tu dis, et une fois que tu auras la pensée et que tu diras ce que tu penses, ça ça va te faire jouer ”. Donc voilà, ça c’est par exemple des choses que... Et après elle dit “ bon, ça ça va ”, au Conservatoire il te dit bon ben ça, tu vois, tu joues peut-être un peu trop, ce qui fait que- donc toutes ces choses là tu les prends, et quand t’arrives ici forcément tu les a digérées.
(Un élève) Là en fait il faut euh, il faut se servir de tout ce qu’on a appris, ou de tout ce qu’on a entendu, tout ce qu’on a vu, sans qu’il nous le redise et j’trouve ça bien de pas mâcher le boulot et puis ça passe ça passe, ça passe pas euh, il faut trouver autre chose pour que ça passe, mais euh, faut l’chercher chez soi ou en soi.
(Un élève) Puis tu donnes et puis ça se fait, quoi, tu vois? Naturellement, sans, sans non plus euh- Patrice il nous dit pas ouais euh... Bon il va donner des clefs essentielles par moment euh il, mais c’est peut-être moins accentué sur le travail du comédien. Mais à la fois j’dis ça mais à la fois non, parce que y a aussi des fois où il donne des clefs, où il dit “ adresse toi à quelqu’un ”, et ça c’est des clefs essentielles aussi dans le jeu.
(Un élève) C’est pas un donneur de leçons, quoi, c’est pas un professeur, c’est un metteur en scène, donc on travaille avec lui, donc il apporte sa personnalité, il apporte sa manière de travailler et ça j’veux dire euh on peut pas- on peut pas être insensible à lui en tant que metteur en scène.
(Un élève) La grosse différence c’est le désir, c’est le désir. Moi c’est ce qui fait euh, moi c’est qui a fait que j’ai eu beaucoup de plaisir à être là euh, c’est de, d’avoir quelqu’un qui te ment pas par rapport à son désir en tout cas.
Patrice Chéreau : J’crois que j’ai travaillé avec eux vraiment comme j’ai travaillé avec d’autres comédiens. Mais sans l’apport critique des autres comédiens. Il me semble que là les propositions que je faisais qui allaient toujours dans le sens de beaucoup d’énergie, ou beaucoup de violence, par moments, pas tout le temps, mais- étaient des réponses un peu sans nuances, c’est-à-dire qu’ils étaient prêts à donner exactement ce que je leur demandais. Alors que je pense qu’il y a une correction naturelle qui se fait avec des comédiens qui est que- en fait les comédiens en prennent et en laissent, ils en prennent ils en laissent, c’est-à-dire que y a des choses qui leur conviennent et y a des choses qui leur conviennent pas puis ils adaptent, en s’disant ça ça ne me convient pas, j’vais essayer de me trouver un autre chemin. Et c’est dans cet autre chemin qu’implicitement les comédiens me proposent que euh euh que finalement je trouve ma nourriture et que c’est dans une critique permanente de mon travail, et dans une adaptation permanente de mon travail aux nécessités des comédiens. Eux ne savent pas encore, euh, où est le- euh ce groupe du Conservatoire ne savent pas encore, ce qu’ils peuvent, ce à quoi ils peuvent dire oui ou non, surtout ce qu’ils peuvent refuser. Ils ne refusent rien, en fait, c’est peut-être ça l’erreur, en même temps j’aurais pas supporté qu’ils le refusent, mais- parce qu’ils n’avaient pas de raison de le refuser, mais du coup, peut-être que j’aurais dû refuser à leur place.
(Un élève) Lui les premiers jours c’est : “ je sais pas ”. J’crois qu’c’est le mot qui dit le plus souvent, “ je sais pas ”, et euh, ça nous met dans une sorte d’état comme ça où on s’dit ben nous non plus on ne sait pas, et finalement, comme on s’fait confiance et ben on va chercher. On cherche et puis alors après finalement ça s’affine, et les derniers jours ça devient une sorte de - j’sais pas quel mot dire, une sorte de... J’sais pas, il manque que de la fumée, et ça fait un cartoon, quoi, c’est Tex Avery. C’est-à-dire que c’est quelqu’un qui court partout, qui sait tout et qui dirige tout à la fois, aussi bien le son, que la lumière, que les comédiens, et là on n’a plus, on n’a plus presque la place pour ne plus savoir.
(Un élève) C’est vraiment de la chirurgie euh, de la microchirurgie qu’il fait. On ne se rend même pas compte des détails qui changent mais euh, il est tout le temps- il est sur les lumières, sur le son, sur le travail de l’acteur, il est capable de tout écouter en même temps, c’est un monstre, quoi. Il est concentré- c’est un monstre parce qu’il est concentré- c’est pas humain, quoi, il est concentré à fond dedans et euh, comme quelqu’un qu’est passionné quoi, c’est quelqu’un qu’est passionné quoi.
(Une élève) Pour moi c’était incroyable la première répétition qu’on a eue, enfin, le premier jour j’étais pas sur le plateau mais j’regardais, c’est-à-dire que en euh, en quelques heures il y avait une ébauche de spectacle, mais euh, j’veux dire la première partie d’Henry VI était quasiment montée.
(Une élève) Pour moi il dessine les traits comme un, j’sais pas comme un peintre, quoi, il dit “ voilà tu vas de là à là ”, il donne les mouvements, il dessine un peu sur le plateau comme ça...
(Une élève) Il a ce pouvoir là de faire naître des choses euh d’une façon complètement instantanée quoi, et mille choses à la minute, et c’est vrai que ça, euh, c’est carrément bouleversant quoi pour nous. Mais c’est à la limite plus jouissif à regarder qu’à faire. C’est-à-dire que je sais que moi je prenais plus de jouissance à regarder les répétitions se passer et à voir ce que les gens faisaient que à être sur le plateau et à être dirigée par lui, parce que c’est affolant, quoi, quand on est sur le plateau.
(Un élève) Ce côté, aussi, physiquement, que lui il a qu’est... Il est fou, quoi, un peu, enfin fou euh, fou bien mais j’veux dire il est tellement investi dans sa manière d’être c’est vachement impressionnant parce que quand les autres en fait ils sont en scène, et que nous on est derrière et qu’on a l’occasion de le voir, il , tout d’un coup c’est comme si, déjà bon il se tient un peu comme un, bon il règle tout au son un peu on a l’impression, mais il est là, un peu comme une espèce de bête, et c’est comme si en plus il jouait tous les rôles par rapport au son qu’il entendait.
(Une élève) Déjà les moments, voilà, là, où il parle, où il soutient vachement, il y a plein de moments finalement après la connaissance, la découverte d’une scène, où là qu’il soit là, c’est super sécurisant, et il te guide et tout, après quand t’essaies de te lâcher, le fait de l’entendre te sort de- te ramène à la réalité, et moi ça m’a vachement perturbée. Il y a eu une petite période, où à chaque fois j’m’arrêtais, j’revenais, et j’comprenais qu’il fallait qu’en fait je reste et que juste il soit là comme une voix dans mon esprit mais que je reste dedans, et j’ai eu un petit peu de mal.
(Une élève) Patrice, quand tu fais ta scène, il est presque dans ta scène à toi, c’est-à-dire qu’il est presque sur le plateau ; tu ne peux pas- j’veux dire tu n’es jamais libre, tu peux pas- c’est comme si, la répétition, il y avait un corps, physique, quelqu’un qu’était là, à côté de toi, et qui fait des gestes, comme un chef d’orchestre, qui te parle, parfois même quand tu fais ta scène c’est à la fois agréable, mais il faut s’y faire quand même, parce que c’est vrai que quand t’as quelqu’un qui fait des gestes à côté de toi, on sait jamais en plus très bien ce qu’il veut dire, si c’est à toi qu’il s’adresse, si c’est aux autres qu’il s’adresse, s’il faut resserrer, s’il faut que j’avance, s’il faut que j’ralentisse, donc c’est un truc à gérer, c’est un code en fait qu’il faut gérer au début, qu’il faut comprendre, qu’on comprend pas tout de suite, et puis au début on est toujours très paranoïaque, on se dit : “ c’est pas bien ce que je fais, c’est pas bien ”. Et puis en fait, non, il est là, il t’accompagne, il est très très présent à côté de toi, alors ça a des avantages, extrêmes, parce que toi t’as presque rien à faire, puisque lui il te met en orchestre ton texte, donc t’as- du coin de l’œil tu le regardes (bruit de piano) donc c’est à la fois gênant parce que c’est vrai qu’il gesticule, puis qu’il est vachement présent et puis c’est Chéreau donc on peut pas faire abstraction du monsieur, mais quand il est à côté de toi, ben oui, faut, faut gérer ça, faut s’en amuser en fait, faut prendre du plaisir de jouer avec lui. Tu joues avec lui quand t’es en répétition. Parce que tu cherches en même temps que lui je pense, lui il est là, il- tu dis une bribe de quelque chose et puis lui il va aimer ou pas aimer mais tout de suite tu vas avoir un retour, donc soit tu continues, tu approfondis dans ce passage, dans ce que t’as un petit peu ouvert ou soit tu changes complètement, tu passes carrément à autre chose. Toute façon même si c’est très mauvais, j’pense que il t’arrête, et il sait très bien ce qu’il veut, enfin “ il sait très bien ce qu’il veut ”, il sait très bien ce qu’il veut pas, j’pense.
(Une élève) C’est rare que des images soient créées par les acteurs eux-mêmes, avant même qu’il ait dit, faut que ce soit comme ça, comme ça. Donc il a une vision d’image, etc., qu’il, dont il veut absolument qu’elle soit réalisée. Après euh, il laisse une certaine liberté dans le jeu, dans ce qu-, dans tout le reste du jeu, c’est-à-dire, je sais pas quoi, construction de personnage ou euh sur la parole, ou tout ça, enfin moi il est pas venu me voir en me disant Lady Anne elle est comme ça comme ça et comme ça.
(Une élève) C’est-à-dire qu’il a une idée précise des choses, et j’pense que parfois nous sans le savoir on lâche un truc, et après il vient te voir et il te dit ça il faut le garder, euh, c’est intéressant, c’est plus ce chemin là, etc. Et aussi des allers et retours : c’est-à-dire que dans une séance de travail il t’amène dans une direction, et puis le lendemain il va te dire ah non, finalement j’préfèrerais qu’elle soit un peu plus faible là-dessus, elle est trop autoritaire etc., alors que la veille il t’avait dit d’être autoritaire ou dans un truc plus fort, donc c’est quand même en mouvement, ça change, on n’est pas- c’est pas un boulot statique, quoi, on cherche.
(Une élève) J’pense quand même que Patrice nous pousse plus au concret de la chose que à l’imaginaire, au psychologique, enfin par exemple imaginer un caractère psychologique du personnage c’est pas son but j’crois pas, après chacun fait son petit voyage dans sa tête, mais euh...
(Une élève) C’est à nous après de mettre les couleurs ; disons qu’il fait le dessin et puis après les couleurs c’est à nous de les mettre... Mais faut oser piocher dans la palette, mais c’est vrai qu’on n’ose pas tout le temps. On s’dit, oh la la, les autres ils jouent bien, si j’mets du violet ça va faire caca (rire) Non mais, j’pense qu’on devrait oser un peu plus.
(Un élève) Au niveau de la direction d’acteur y a quelque chose qui m’a beaucoup touché, c’est qu’il y a pas de jugement a priori sur le travail des gens, et par rapport à nous c’est très agréable parce qu’on a tous plus ou moins de l’expérience mais assez peu en définitive, et qu’on ait fait des écoles ou des compagnies, ou travaillé avec des metteurs en scène etc., on a-, on est toujours en face, souvent, très souvent en face de personnes qui jugent l’état d’avancée de notre travail, où en est et comment on se démerde avec nos acquis, avec nos faiblesses et avec euh, et là, dans tout le début du travail y a euh vraiment, que ce soit une volonté ou pas j’en sais rien, mais en tout cas il y a un non jugement du travail des gens, tout en essayant de les amener vers le mieux de ce qu’ils peuvent proposer, de ce qu’ils sont. Il y a vraiment une liberté, ça apporte vraiment une liberté de comportement dans le travail, et de jeu.
(Un élève) il nous talonne à chaque fois, il nous pousse, il nous pousse, donc à chaque fois on est obligé de livrer quelque chose, même si c’est- que ce soit bon ou mauvais, et euh, donc oui, il nous tient en alerte, en vigilance.
(Un élève) La maturité qui est la nôtre pour l’instant n’est pas forcément euh suffisante pour euh accéder à certaines choses de ce texte, des enjeux de ce texte.
(Un élève) C’est quand même j’pense que toute l’expérience emmagasinée par un acteur euh au cours des années, ça fait toujours des références à aller chercher et euh, plus rapidement au bout d’un moment que quand on est jeune acteur et qu’on se dit “ mon dieu comment je vais aller sortir cette émotion? ” comme euh, j’sais pas, quand on se fait transpercer sur scène par une épée et qu’on a ensuite un monologue de quinze seize vers “ mon dieu, comment jouer ça? ” Ça fait appel à aucune référence personnelle.
(Une élève) J’touche du doigt une notion de ce que pourrait être ce personnage, mais déjà si tu veux, y a un truc qui est inévitable c’est que je n’ai pas soixante berges et euh, que physiquement, déjà, ça joue pas en ma faveur, tu vois ce que je veux dire, c’est pas euh, il y a de la tricherie là dessus, et bon moi c’est un problème spécifique à toute tragédie si tu veux, la tragédie me semble injouable, à la base. Parce que là, je te dis, bon je fais ma sauce intérieure, j’essaie de faire appel à des sentiments, des choses que je vis moi personnellement mais c’est tout petit, c’est des choses qui sont ridicules, et pour jouer la tragédie c’est bon, je sais pas, comment jouer la tragédie, justement, donc comment jouer Marguerite, ça je peux pas te le dire.
(Un élève) Il m’a mis dans un rôle que j’ai beaucoup de mal à faire pour le moment, donc c’est tout, quoi. Le père, j’y arrive euh, j’ai pas l’impression d’y arriver, j’ai l’impression d’être à côté de la plaque tout le temps donc, c’est assez impressionnant. J’sais pas, peut-être le manque d’âge, de maturité par rapport à ça, au sujet de la mort, j’sais pas. J’arrive pas à mettre tout le poids du rôle sur moi, là. C’est ma grosse bête noire et c’est dans trois jours alors euh (rire)...
(Un élève) J’ai relativisé pas mal de problèmes qui se passent quand je veux aborder une scène euh, j’ai appris qu’il fallait se jeter, quoi.
(Un élève) Faut se faire violence pas mal, et tout le temps, euh, faut parler très fort, faut surarticuler, faut euh, enfin notamment dans Shakespeare faut faire appel à des euh à des émotions ; il suffit pas de les ressentir juste un moment et euh, j’pense, comme une caméra pourrait le choper, il faut savoir le retrouver tout le temps, et l’apporter jusqu’au dernier rang, avec la voix avec le corps, et tout ça fait que ça fait un peu un chamboulement, et je me rends compte qu’en fait jouer au théâtre, c’est bien loin du naturel et d’un truc très facile et très évident à faire, au contraire. C’est tout sauf naturel.
(Une élève) Patrice Chéreau, c’est formidable, on est en face de quelqu’un qui nous considère comme des acteurs, donc c’est ça aussi qui nous fait progresser. Mais ça a aussi son envers qui est que c’est là aussi, c’est là aussi qu’on fait des erreurs... Ce qui est un reproche aux yeux de Patrice Chéreau, c’est-à-dire le romantisme, le poli, l’arrondi euh, moi c’est ce que j’aime et c’est là dedans que je veux aller. Je veux pas euh, me taper la tête ou le nez contre des genoux, du béton, je veux pas avoir des poignards et du sang qui gicle, j’veux pas pousser jusqu’à dire euh- parce que où est-ce qu’on arrête la réalité après? Faux poignard d’accord, mais quand il rate ma protection, ben c’est ma chair, j’ai des bleus partout. Voilà : j’trouve que ce qui est bien au théâtre, et c’est la porte ouverte qui m’intéresse, alors il y en a deux mille, heureusement, mais moi c’est celle-là que je vise, c’est le décalage, c’est le symbolisme. J’irais pas jusqu’à, j’pousserai pas jusqu’au ridicule, c’est-à-dire pourquoi on se tue pas avec des fleurs? Mais en tout cas pas avec des poignards, pas contre du béton, pas- ce qu’il demande lui, c’est-à-dire la brutalité, l’animalité, etc., moi m’a montré que ça réveillait chez les- c’est militaire ce qu’on fait, c’est-à-dire que l’entraînement est militaire, il y a la corde à sauter avant le filage, il y a un truc physique, et c’est comme si les garçons- c’est surtout les garçons euh, on réussit- on fait du théâtre, donc c’est quand même un degré de réflexion, de culture etc., qui n’est pas forcément celui qu’on voit, ailleurs, et tout d’un coup y a une porte ouverte pour jouer les soldats, et ils y vont à fond, ce qui fait qu’on se fait mal.
(Un élève) Il y a un quart d’heure on se roulait tous dans la poussière en hurlant, en croquant des bouts de capote avec du faux sang qui dégouline, il y a un côté, il y a un côté ludique à reproduire j’sais pas, à reproduire quelque chose de complètement fictif euh...
(Un élève) C’est un univers dans lequel j’avais envie d’aller quoi, des choses comme ça sorties, violentes...
(Un élève) Ça ressemble, pour moi la mise en scène qu’on fait ça ressemble à du cinéma j’dirais, dans la fluidité des passages, des passages, c’est-à-dire des passages d’une action à une autre, on peut pas parler de scène parce que là on passe même plus de scène en scène, c’est plutôt des passages qui se fondent les uns dans les autres.
(Un élève) Et souvent, même, on travaille les scènes en groupes de scènes, on sépare les- il y a même des scènes qui commencent à l’intérieur de la précédente- donc on découpe comme ça les choses qui font une unité de rythme, quoi, une unité d’énergie.
Patrice Chéreau : Cette énergie sans faille, comme ça, qu’ils m’ont donnée fait que ça m’a entraîné un petit peu dans mes défauts qui sont quelquefois d’être très efficace et très euh très euh, il y a un bulldozer en moi, j’veux dire, il y a un rouleau compresseur. Eux mêmes étant très enthousiastes et très prêts à donner, et à donner plus que je ne demandais, dans une énergie très efficace, comme ça, dans une énergie très très brutale et très violente, euh, il aurait fallu peut-être par moments les contenir pour arriver à des vérités de dans sur le texte un petit peu plus secrètes.
(Une élève) Ce qui était dur, c’était d’amener le monde des femmes, parce que c’est pas tout à fait le même, disons que les femmes, là, elles n’ont pas les mêmes armes pour se battre, même si elles veulent elles aussi le pouvoir euh, elles peuvent pas se battre de la même façon et le danger au début c’était de vouloir faire un peu comme les mecs, quoi, d’arriver ; “ rhaaa ” la reine Elizabeth, “ rhaaa ” j’vais tout casser, non c’est pas ça. Mais c’était pas évident, et je pense qu’on l’a pas encore tout à fait bien trouvé. Faut l’imposer tout de suite, vraiment c’est une autre énergie.
(Une élève) Comme il est très dur, j’veux dire il est dur quand même, euh, et puis c’est aussi lié à Shakespeare et au rôle etc., enfin c’est une pièce très dure et c’est un rôle très extrême comme ça, donc j’ai l’impression que ça m’apporte une certaine force enfin un certain, comment dire, j’ai l’impression tout le temps d’être dans un rapport de combat, là, dans le travail, c’est-à-dire de tout le temps être obligée de lutter euh pour réussir un petit peu à exister sur le plateau, ou même pour réussir à exister dans les répétitions, quoi.
(Une élève) J’pensais que ça allait être euh- bon il a déjà un caractère de cochon mais je pensais que ça allait être pire... J’pensais que vraiment tous les soirs j’allais rentrer chez moi en pleurant, là pas tous les soirs, rarement même.
(Une élève) Quand tu rencontres la personne réellement, le mythe - c’est toujours un mythe parce qu’il est impressionnant, mais euh, tu l’as charnellement, c’est beaucoup plus concret que un nom, une image télévisée que tu vois de temps en temps et d’une personne inaccessible. Là on l’a, on peut le toucher... Ça calme.
(Un élève) Au départ c’est un type comme ça qui paraît un peu un peu mégalo, qui parle, vraiment, qui maîtrise tout et il fait un peu peur quoi, et puis en fait, au fur et à mesure du travail, dans le travail il est très stressant et puis en même temps il a une espèce d’humanité, de simplicité et de générosité qui est qui est flagrante, quoi, et qui est vachement rassurante... ce qui fait que le rapport avec lui, finalement est... Enfin bon, j’aimerais pas être son ennemi quand même, mais bon euh, ça se passe bien, quoi, c’est ça que je veux dire.
(Une élève) Il a couru avec moi, en me tenant par la main, puis un moment donné il m’a lâchée, en me donnant le maximum d’élan, mais moi je supporte pas la séparation. Mais c’est un truc de la vie, quoi, c’est dans ma nature, donc ça je l’ai vécu assez mal, je me suis un peu braquée, et puis maintenant que j’ai compris, que j’ai un peu analysé tout ça j’essaie de me faire confiance, quoi, mais moi ça m’intéresse pas trop de chercher toute seule et de proposer des trucs toute seule, sinon je serais peut-être metteur en scène, et j’ai aucune velléité pour ça.
(Un élève) Les grandes qualités sont à la mesure des grandes difficultés de ce monsieur, voilà, donc ce qu’on gagne, on le paye, en fait, c’est ça que je veux dire, donc ça m’a d’autant plus- ça m’a d’autant plus- j’m’en doutais mais ça me l’a d’autant plus confirmé. Et euh, donc voilà c’est merveilleux et c’est difficile, c’est douloureux.
(Un élève) On se sent vachement plus libre tout d’un coup, je me sens moins dans la contrainte, et puis plus dans- ce qu’il a libéré surtout c’est un plaisir de jouer, de tout le temps jouer et s’amuser et puis pas à me dire “ Oh ça va pas, j’trouve pas ”. Il m’a amené, j’sais pas, de la confiance et puis il m’a fait- naturellement, sans rapport de - il m’a fait sortir un espèce de souffle quoi voilà, un espèce de souffle comme ça, et puis comme on est en confiance avec lui et tout, on peut y aller et puis si ça va pas il nous le dit et puis voilà, on calme, on repart sur autre chose.
(Un élève) ... ne jamais se contenter de ce qu’on trouve de quand des fois c’est si facile de dire ça ira, ça fonctionne.
(Un élève) Il y a des vrais échanges et c’est ça en fait qu’est le plus important au bout du compte, c’est-à-dire que quand même il y a une sorte de poussée comme ça, ou de traction ou je sais pas mais qui nous emmène quelque part. Je sais pas où on va, d’où on est parti je sais à peu près, bon, les premiers jours de lecture c’était quand même assez catastrophique hein, enfin, nous on était pétés de trouille et que petit à petit, ben y a une confiance qui s’est installée, une générosité, une- et que sans doute ça s’inscrit dans- enfin c’est vraiment une traversée quoi ; on est parti de- du bord d’un endroit et puis on traverse quelque chose, donc forcément intimement ça remue, ça remue.
(Une élève) Ce que je sais c’est que je suis là en réaction : ça agit en moi et je sais pas où ça agit, et je pense que c’est d’autant plus fort. Je pense que dans quelques mois, je me rendrai compte vraiment de toute l’ampleur à quel point il- parce que je sens que c’est très profond.
(Un élève) Euh, ça fait partie des gens qui vraiment me disaient euh, ça a du sens de faire ce truc là, ça a du sens de faire du théâtre.

(Un élève) Comme on se connaît pas beaucoup avec Patrice, et que il y a pas de relation amicale qui se soit instaurée et puis il y a peut-être pas le temps, et puis il y aura pas le temps, et puis c’est très bien c’est du boulot, alors qu’avant euh, les deux ou trois metteurs en scène avec qui j’ai travaillé, mon prof de l’année dernière, Adrien, il y a quand même une certaine euh ami- c’est pas amitié, mais une certaine euh il y a des trucs, c’est sûr, on s’aime beaucoup, et euh, des fois on peut se reposer sur cette confiance là, alors que là avec Patrice, en fait, faut être euh, faut être un acteur, quoi.