Jacques Lassalle,
Dom Juan,
Molière,
Paris, 1993.
EXTRAITS DE AUTOUR DE DOM JUAN,
Document audiovisuel de Jeanne Labrune.
(Répétition)
-
Jacques Lassalle : “ C’est une affaire entre le ciel et moi et nous la démêlerons bien ensemble ” ; “ C’est une affaire entre le ciel et moi➚,
-
Andrzej Seweryn : Oui oui.
-
Jacques Lassalle : <-et nous la démêlerons bien ensemble sans que le ciel-> <sans que le ciel->➔
-
Andrzej Seweryn : “ Sans que tu te mettes en peine. ”
-
Jacques Lassalle : Voilà : “ c’est une affaire entre le ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble sans que tu t’en mettes en peine. ”
-
Andrzej Seweryn : Que je fasse, donc, que je fasse la (geste de la main)
-
Jacques Lassalle : ...la fracture (geste de la main, tranchant) Oui oui, Voilà : “ c’est une affaire entre le ciel et moi, (geste de la main, qui tranche et qui écarte) et nous euh, “ c’est une affaire entre le ciel et moi-➚
-
Andrzej Seweryn : Oui oui, (retournant en sc
è
ne, s
’
adressant
à
son partenaire) “ Va va, c’est une affaire entre le ciel et moi, et nous la démêlerons bien ensemble sans que tu te mettes en peine ”
-
Jacques Lassalle : Geste d’approbation
* * *
-
Jacques Lassalle
(Seul face caméra) :
Lors de notre première rencontre j’évoluais entre les deux ou trois grands termes de l’alternative Dom Juan [...], qui se situe entre trois grandes tentations : la tentation Jouvet, tentation pascalienne, la recherche- la recherche de Dieu ; la tentation de Vilar : la tentation de l’athée optimiste, et puis la tentation disons marxiste qui de Meyrehold à Brecht, à Chéreau à Besson, fait de Dom Juan le parasite social dont une société en voie de transformation doit se délivrer. J’étais pas beaucoup plus avancé que ça, à ce moment-là, c’est-à-dire que je savais vaguement que nous aurions a nous définir entre ces trois pôles [...]
* * *
-
Jacques Lassalle
(Seul face caméra) :
Il me semble que nous avons retrouvé une sorte d’innocence vraie. Nous somme partis de là où semble partir Moliere, un jeune homme qui n’a que deux convictions : “ je ne crois que ce que je vois ”, et “ je ne vis que dans l’instant qui m’est donné, et dans l’assouvissement du désir que j’éprouve ”
[...] Voilà par exemple un des préjugés que je pouvais avoir : Dom Juan comme le premier héros véritablement, le premier intellectuel du théâtre français, enfin, un héros, un libertinage des idées. Un libertinage de l’esprit. Je crois qu’il faut prendre Dom Juan au pied de la lettre et que c’est d’abord un homme de plaisir, un homme de désir, en ce sens, il est déjà un héros de Mozart et de Da Ponte. Je crois que la sensualité, en tout cas au premier et au deuxième acte, définit Dom Juan. Ensuite, il n’est pas programmé, il ne conceptualise pas sa vie et son action : il éprouve, il vit, pleinement, absolument, en cours de route il tire les conséquences de ce qui lui arrive. Voilà, c’est l’expérience qui se transforme en pensée, et pas l’inverse : il ne vérifie pas une conception du monde, il l’invente et la construit au fur et à mesure de ses désirs, de ses pulsions. C’est l’aventure d’un corps et d’un désir avant d’être l’aventure d’une conception du monde. Et ça ç’a été je crois très intéressant. Ça explique aussi tout ce qu’il y a de contradictoire apparemment, de successif dans l’itinéraire de Dom Juan, et pas du tout de linéaire, pas du tout d’homogène.
* * *
(Répétition)
-
Jacques Lassalle : Très bien, euh. Le “ pour moi ” c’est parce que vous n’avez rien obtenu : il faut ne rien obtenir et en souffrir... Et... <plus grand, vous ne vous rendez pas compte, plus grand... le plus grand de tous les ma-> et tenez bien la pensée jusqu’à “ -heurs ” : “ le plus grand de tous les malheurs ”- non, c’était mauvais, là, “ le-plus-grand-de-tous-les-malheurs ”. <Pour moi Dom Juan, ne croyez pas que je-, mais...> Vous voyez? Et c’est... Recevez bien l’, l’avis de non recevoir, justement. Il vous regarde, elle le regarde, absolument, intensément, complètement- mais... Vous êtes sur ce regard et il faut faire vite, voilà.
-
Jeanne Balibar
: “ Pour moi, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde. Je suis revenue, grâces au Ciel, de toutes mes folles pensées, ma retraite est résolue, et je ne demande qu’assez de vie pour pouvoir expier la faute que j’ai faite, et mériter par une austère pénitence le pardon de l’aveuglement où m’ont plongée les transports d’une passion condamnable ; mais dans cette retraite- ”
-
Jacques Lassalle : C’était bien, on commence à l’avoir, mais le “ pour moi ” était trop joli (J. Balibar soupire) Ça va? Oui, oui... Il faut continuer la pression : “ le plus grand ”- mais vous commencez à l’avoir ; “ le plus grand de tous les malheurs ”- “ le plus grand de tous les malheurs ”- <pour moi, Dom Juan,je vous somme de croire que je vous-, que je ne vous parle pas de moi, que moi c’est arrangé, que moi je suis en règle, que je-> D’ailleurs il y a quelque chose de très beau dans cette véhémence, dans cette ostentation d’affirmer- vous voyez ? Et quelque chose ne cesse pas de- (geste du bras).
-
Jeanne Balibar
: “ Pour moi, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde. Je suis revenue, grâces au Ciel, de toutes mes folles pensées, ma retraite est résolue, et je ne demande qu’assez de vie pour pouvoir expier la faute que j’ai faite, et mériter par une austère pénitence le pardon de l’aveuglement où m’ont plongée les transports d’une passion condamnable ; mais dans cette retraite- ”
-
Jacques Lassalle : Il y a quelque chose de fragile encore, il y a quelque chose qui n’est pas assuré, il y a quelque chose qui affirme d’autant plus qu’on est moins sûr, enfin - Parce que si elle est trop protégée, vous voyez, si elle est trop nimbée, si vous avancez avec une petite- une petite cage autour de vous... Elle est terriblement vulnérable, elle est terriblement démunie, mais elle ne le sait pas. Elle est en même temps très forte et très protégée parce qu’elle croit l’être. Elle lui dit- voilà- elle peut lui dire de choses ab- enfin une déclaration extraordinaire, puisque euh, el- puisque ce n’est pas, c’est une âme qu’elle sauve. Ce n’est pas- ce n’est pas un homme qu’elle sauve, ce n’est pas un homme à qui elle dit “ je vous aime ”, c’est à une âme. Alors c’est singulièrement mêlé tout ça. Vous voyez ? Ce qui est beau, comme tout- comme tout- comme tout le langage mystique du XVIIème, c’est que, justement, c’est d’autant plus charnel... qu’on est dans le spirituel, voilà. On peut atteindre à une brûlure, à une sensualité formidable(s), dans l’impunité absolue... D’ailleurs regardez la peinture religieuse, les extases, enfin- Le corps est tout entier engagé, brûlé, dévoré, raviné, décimé... Mais il ne le sait pas puisque... c’est l’amour divin. Je vous assure. Alors qu’évidemment si on part d’une espèce de sublimation initiale euh- vous voyez? C’est pour ça que je vous invite à cette- ... On va y arriver très bien, Jeanne.