Giorgio Strehler,
La trilogie de la villégiature,
C. Goldoni,
Paris, 1978

EXTRAITS DE LA DIRECTION D’ACTEUR
Giorgio Strehler répète
Document audiovisuel CNRS ; Odette Aslan.

Lever de rideau : les comédiennes sont assises sur le plateau.

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Répétition

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Répétition : Retour de villégiature, II, 10.

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  • Ludmila Mikaël (Témoignage) : Il dope énormément, il stimule, et en vivant en même temps. Son cœur bat au rythme de l’action, du personnage, de la situation, et il bat, je crois, juste. Quand effectivement il reprend sur un (.?.), c’est qu’il a raison, et qu’on n’était plus dans le rythme du cœur, enfin, le cœur c’est quelque chose qui a beaucoup d’importance. Son travail dans la Trilogie de la villégiature ne s’adresse pas tellement à l’intellect pur, c’est une chose excessivement sentimentale....

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Répétition

  • Giorgio Strehler (à Catherine Hiégel) : Tu sais ce que je ferais, moi, pendant que tu attends, seule? Il y a quelque chose d’artistique à faire, je sais pas, moi. Peut-être prends les manches de l’habit, prends-le devant toi, fais le danser, devant toi, sur toi, tu tournes un peu, fais un demi-tour, et puis ralentis (Catherine Hiégel exécute les indications au fur et à mesure). Tu comprends? Ça peut t’aider. C’est moi qui ne t’avais pas dit de le faire... La première fois tu as ri comme un folle. Un peu trop, c’est faux... Mais pas trop. Tu reprends le mouvement au début, mais tu sais déjà que-
  • Catherine Hiégel : Oui.
  • Giorgio Strehler : La recherche artistique est sans fin. On peut toujours aller en avant, tu comprends ? Il y a de petites choses. Tu comprends, nous qui cherchons une certaine réalité transposée, nous jouons sur la vérité sereine. Quelquefois, on ne va pas échapper à certaines petites choses qui sont, allons-y, un petit peu le (?) et ne promettent rien. Mais au fond, mais- maintenant tu finis avec le chapeau.

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  • Jacques Sereys (entretien) : Il impose l’esprit. Il répète souvent les mêmes choses, les mêmes indications au fur et à mesure des répétitions, ce qui fait que on finit par savoir, par mimétisme, par osmose plus que par mimétisme, on finit par absorber ce qu’il veut, alors on essaie de les réaliser, mais à partir de là il laisse- comme on met une graine dans la terre, il laisse pousser, ensuite il corrige plus ou moins, et il nous remet sur les bons rails. Mais enfin une fois qu’il nous a donné la direction, après, au contraire, il aime bien qu’on chahute un peu, parce que justement ça peut être très créatif, et puis si ça ne l’est pas ça n’a aucune importance, on travaille, c’est l’atelier, c’est ça qui est intéressant.
  • François Beaulieu (entretien) : La première chose que Strehler nous ait dite en commençant les répétitions était que sa mise en scène était un peu comme si trois boîtes successives étaient ouvertes les unes après les autres, enfin comme des boîtes gigognes. La première concernait l’aspect réaliste des choses, c’est-à-dire la vérité dans tout ce qu’elle peut avoir de plus simple, et plus quotidien et de plus vrai. La seconde, un rapport social entre les gens, entre le haut et le bas d’une société, et la troisième dans tout ce que la morale, ou l’affrontement de ces éléments, a de cosmique, de spirituel, de philosophique dans le sens le plus large.

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Répétition

  • Giorgio Strehler  : (depuis la salle) ... parce que les acteurs qui ne pensent pas quelque chose... Il faut que tu viennes- TAC ! (Il s’immobilise, fait mine de secouer un parapluie) c’est- c’était- c’est le- le- le- (rire gêné). Ne pense pas, entre avec ton tempérament, comme ça vient, viens. Et puis tu commences à penser, parce que moi maintenant tu comprends... (Il joue) TAC ! Hop ! (rire gêné).
    (A Catherine Hiégel) :
    Tu es allée trop loin ; faisons mathématiquement, lentement : (à François) tu entres dans une situation qui dévoile passion, non? (François est entré). Tu es plus en arrière (Il recule), tu es absolument déréglé, disons avant ton entrée - folie, et alors elle te voit, et qu’est-ce que tu fais? (il agite le parapluie) eh eh voilà, eh, voilà, tu comprends, ça c’est la situation, tu comprends? Alors là tu ne dois pas être au lointain. Il faut que... Tu fais une minuscule tentative (il monte sur le plateau, fait une démonstration : il court vers le fond puis s’immobilise) Bon tu fais comme tu veux, mais toi tu allais vers elle pour la prendre. Au contraire : c’est inutile..
  • François Beaulieu (Guglielmo) : “ Mademoiselle Giacinta? ”
  • Giorgio Strehler (jouant Brigida) : <Ah, elle... Elle était là> (s’agitant, évitant ostensiblement le regard de François)
  • François Beaulieu : “ J’attendrai. ”
  • Giorgio Strehler (jouant toujours) : <Oui mais, euh, elle-> (Il ramasse la robe, se déplace vers Catherine Hiégel) Quelque chose de très sensible. Au fond, il arrive une certaine tendresse... C’est une... C’est un... Tu es un petit peu dure quelquefois avec eux : des choses que tu ne comprends pas, il y a quelque chose qui cloche, mais là tu sens qu’il y a des sentiments vrais, tu comprends, alors tu es avec, parce que tu es avec la vérité. Brigida comme peuple, elle est avec la vérité.

Jeu  : François Beaulieu fait son entrée, moins précipitée que le pokaz de Strehler.

  • Giorgio Strehler : Plus énergique cette chose là : TCHAC ! TCHAC ! Parce que ce sont des signes aussi. Et puis la pluie donnera des... Tu peux pas le faire, je le sais.
  • François Beaulieu : Oui mais j’ai peur de casser le parapluie.
  • Giorgio Strehler : Je sais mais c’était nécessaire. Bien. On le fait maintenant. Bien, il a très très bien fait. Parce que il était désespéré tu comprends? Maintenant ça viendra vite, TCHAC ! TCHAC ! TCHAC !, ça peut servir de fouet du comprends, ce sont des choses...

Jeu :

  • François Beaulieu : “ Où est Mademoiselle Giacinta? ” (Entrée)
  • Giorgio Strehler : Tac ! (A Catherine Hiégel) Euh, je crois que pendant qu’il simule, TCHAC, TCHAC, TCHAC, toi tu simules de dépoussiérer, toi tu fais TCHAC TCHAC TCHAC. (Elle s’exécute). Non pas comme ça : tu secoues la robe comme il secoue la chose.

(Les comédiens jouent)

  • Giorgio Strehler : Tac ! Tous les deux sont embarrassés, hein?
    Avec un petit peu plus de sadisme euh, involontaire, Brigida, tu pourrais prendre la robe de la mariée, et la mettre à moitié entre les deux, tu comprends? Lorsqu’il entre...
  • Catherine Hiégel : De la déplacer, là?
  • Giorgio Strehler : Non, je sais pas... Tu l’emportes ou tu la laisses...
  • Catherine Hiégel : L’emporter, peut-être...

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  • Giorgio Strehler (montant sur le plateau) : Cet après-midi je suis sur la nuance, hein? C’était pas mal le double secouage, hein? Il était embarrassé, et toi tu étais embarrassée... Mais quand j’ai vu la robe de la mariée, je sais pas... Toi tu es là, il entre, il parle, il veut arranger la chose. Il arrive, tu es là, viens, viens, viens, et tu vois, presque quelque chose (il joue l’égarement, la robe de mariée plaquée contre son corps comme une armure dérisoire)
  • Catherine Hiégel : Oui, presque devant soi.
  • Giorgio Strehler : Et lui il voit la mariée tu comprends? (Il tourne sur lui-même)
    Redescendant du plateau
     : A eux deux, je crois que ça fait des choses. Cette mariée qui n’est pas là... Voilà la démonstration qu’on a besoin des choses.

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  • Giorgio Strehler (Entretien) : Nous qui faisons un métier tellement en dehors du monde, nous devons être là, exactement avec tout nous mêmes (sic). Moi je donne beaucoup mais je reçois beaucoup en échange. Je donne tout parce que je reçois tout.

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