Lecture de V, 2 et 3

• Jean-Pierre Vincent : C’est encore un nouveau Bertrand, pas trop contrit ; mûri par les épreuves de la vie. Il faut une réelle plénitude pendant la tirade sur son idylle avec Madeleine. Pendant l’échange avec le Roi il est interloqué, mais pas encore bouleversé et coléreux. Lefeu ne doit pas être en colère trop tôt : l’ensemble du groupe doit faire le parcours de la compréhension de ce qui se passe. Les anciens sont réellement désolés de la disparition d’Hélène. Lefeu doit prononcer l’éloge funèbre et en même temps, il la remplacera par sa fille. Il y a une rivalité entre Lefeu et Paroles : Lefeu a une propension a parler comme Paroles. Le Roi fait un crochet en Roussillon pour Lefeu, qui lui a parlé du mariage de sa fille. Il en profite pour rendre un dernier hommage à Hélène, pour en faire le deuil. On pourrait les faire arriver avec un vase, des fleurs, une prière pour Hélène sur la tombe de son père. On dit quelques mots sur le passé avant d’aborder le présent.
• Bernard Chartreux : Il faut rappeler que Lefeu se serait volontiers laissé tenter par Hélène... Comme le Roi d’ailleurs : Hélène est le dernier amour de ces deux vieux.
• Jean-Pierre Vincent : Bertrand et Paroles sont les deux seuls à n’avoir jamais reconnu la valeur d’Hélène. C’est dans le discours du Roi à la Comtesse : <votre fils est le seul a avoir ignoré Hélène>. Il y a une vraie émotion chez le roi, c’est pour ça qu’il ne peut accorder aucun pardon à Bertrand : il est encore trop attaché au souvenir d’Hélène. Le Roi accélère toujours les formalités. Laurent, quand tu parles de ton amour pour Madeleine, il faut ouvrir ton discours sur tous : c’est un témoignage d’amour, mais pas trop dans la lune. Ce que tu racontes c’est : <Je ne pouvais aimer Hélène puisque j’aimais Madeleine>. Son amour pour Hélène, ce n’est pas comme dans Beaucoup de bruit pour rien, un amour réel mais refoulé : ici, Bertrand n’a aimé Hélène qu’à sa disparition. Le thème de Madeleine ne peut apparaître que maintenant : il faut que le refus de Bertrand à l’acte I soit pur : c’est une révolte de type fronde. S’il y a une motivation amoureuse ça amollit le propos de la pièce.
• Olivier Besson : C’est vraiment un coup de théâtre la façon dont le thème de Madeleine surgit. En fait, Diana n’a pas été aimée, elle a été convoitée.
• Jean-Pierre Vincent : Diana c’est le repos du guerrier. Le topo du Roi sur l’amour qui vient trop tard, il faut bien faire attention : ce n’est pas un discours académique. S’il a vraiment vu la bague au doigt de Bertrand, le ton doit s’aggraver.
• Bernard Chartreux : Peut-être que le Roi a vécu quelque chose de similaire : la bague lui rappelle son “ trop tard ”, il y aurait ici un affleurement de la vie du roi. Et s’il a vraiment vu la bague, le coup du gage d’amour qu’il demande à Bertrand pour Madeleine est un piège : il joue avec lui.
• Bernard Freyd : La scène se passe dans un cimetière, sur la tombe de Roussillon : ça doit conditionner toute la scène. Il n’y a pas de tombe d’Hélène puisqu’elle est enterrée en Italie.
• Jean-Pierre Vincent : Il se joue là une mort et une naissance, comme au début de la pièce, la première réplique de la Comtesse : “ en livrant mon fils au monde, j’enterre un second époux ”.
  Le rapport entre le Roi et Hélène c’est un peu le rapport Charles VII - Jeanne d’Arc. Avec Lefeu, il y a une complicité de vieux amis.
• Bernard Freyd : La charge de la lettre est très dure pour la Comtesse et pour Lefeu.
• Jean-Pierre Vincent : (Entrée de Diana) Diana, ou l’innocence bafouée ; ensuite on va vers l’intelligence triomphante, insolente. Mais d’abord elle doit démarrer sur le malheur personnifié, ensuite la supériorité rayonnante. La fracture, c’est l’entrée de Paroles. Il y a une force méditerranéenne de jalousie dans la tirade de Diana : “ ta main est à moi ” ; ce n’est pas une énigme, c’est l’éructation de la pythie ! Il faut jouer sur la supplication de l’innocence persécutée, presque en surjeu. Et puis on change de théâtralité : la misère du monde se dresse en accusatrice. C’est un changement de théâtralité comme il peut y en avoir chez Buñuel.
  Quand le Roi demande : “ N’avez-vous pas dit que vous aviez vu, ici à la cour, un homme qui pourrait témoigner? ”, Shakespeare pète un plomb, ou alors il y a eu une erreur de manipulation : c’est une scène qui a été coupée, une réplique zappée. C’est fréquent d’ailleurs chez Shakespeare.
  Dans cette scène on a la parole d’un aristocrate contre la parole d’une bourgeoise : il y a forcément un déséquilibre. Le Roi résiste pas mal à Diana : il y a comme une alliance d’hommes contre ces deux femmes ; l’interrogatoire est rude, d’autant que le Roi est toujours pressé : cela rajoute de la rudesse. “ Elle me déplaît à présent ” ; ça veut donc dire qu’elle lui a plu d’abord, sous ses airs de misère suppliante. Le Roi n’est plus maître de lui. Hélène entrera comme un fantôme, voilée de blanc, ce qui justifie la réplique du Roi : “ ce que je vois est-il réel? ” Le Roi et la Comtesse appartiennent à une génération qui accepte de préserver l’irrationnel, la magie dans la vie. Le Roi a accepté de se faire guérir par Hélène, donc ici il n’y a pas de refus rationaliste de cette apparition.
• Bernard Freyd : Peut-être qu’il perçoit aussi Diana comme une sorcière, une deuxième magicienne après Hélène. Est-ce que c’est Bertrand qui enlève le voile?
• Jean-Pierre Vincent : On a deux solutions : soit Bertrand est le seul à avoir ce courage, soit elle le fait elle-même... Je crois qu’il faut que Bertrand fasse un bout de chemin.
  Pour l’adresse finale : “ c’est à nous d’écouter, et à vous d’être acteurs :/ Amis, prêtez vos mains, et recevez nos cœurs. ”, il faut faire entendre le côté vers de mirliton. Au final, on a la “ sainte Hélène ”, qui a employé des moyens pas très honnêtes, et une intrigante qui se révèle la militante la plus pure... C’est la vierge et Marie Madeleine.