Relecture de la scène finale
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Lecture de I, 2
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Jean-Pierre Vincent : Il faut plus travailler les sentiments humains : la mort et la vie, la maladie ; il faut faire ressortir ça plus que les enjeux de pouvoir. Il y a la question de l’espérance de vie, qui distingue totalement Bertrand et le Roi : c’est la rencontre entre quelqu’un qui est dans la mort et aspire à la vie, et quelqu’un qui entre dans la vie. Le Roi est au bout du rouleau, il méprise les jeunes gens de son entourage, il martyrise les autres. Alors à l’entrée de Bertrand, il faut conserver cet esprit de lutte entre la vie et la mort. Le Roi c’est un volcan mourant. Il règle ses comptes avec la jeunesse ; la mort se met à être bavarde, mais ce n’est surtout pas un long fleuve tranquille.
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Bernard Chartreux : Les seigneurs sont des courtisans, non?
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Jean-Pierre Vincent : Ce sont plutôt des infirmières. Il faudrait introduire une différenciation entre les deux seigneurs : il y en a un qui ne comprend rien à la politique étrangère.
- Quand Bertrand entre, il apparaît comme le fantôme de son père. Et puis il y a l’attrait du nouveau pour les autres seigneurs. En lui, le Roi trouve un interlocuteur ; il connaît trop ses seigneurs pour pouvoir encore en tirer quelque chose. C’est comme s’il vampirisait Bertrand : sa présence le ragaillardit. C’est lié aussi au désir de Shakespeare de rendre crédible sa future guérison : un remède miracle ne peut s’appuyer que sur une désir de survivre. La fanfare joue la royauté ; donc les acteurs peuvent jouer l’humanité. Les seigneurs ce sont des courtisans, donc des diplomates : leurs phrases ne disent rien. Quand entre Bertrand, c’est enfin un humain qui est là. Le discours du Roi sur Roussillon est complètement réactionnaire : il défend les valeurs du passé. La réplique de Bertrand après l’éloge de son père par le Roi est une façon de défendre les jeunes seigneurs attaqués : sur le mode, <ok, mais allez-y mollo>.
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Bernard Chartreux : Je ne crois pas qu’il faille l’entendre comme ça...
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Jean-Pierre Vincent : Quand le Roi dit : “ je crois l’entendre encore ”, il faut qu’il entende réellement Roussillon : il faut jouer l’hallucination. Il faut rester dans l’esprit du conte. Alors il porte sa main à son oreille, façon Gilbert Bécaud : le Roi devient le relayeur de la parole de Roussillon. Il y a un film en super 8 qui défile, un souvenir de famille en noir et blanc, mais animé. Le Roi rejoue vraiment le comte de Roussillon : c’est un chaman. Ensuite la réplique du seigneur, “ vous êtes aimé, sire ”, c’est pour combler un silence gêné, et puis pour le réconforter.