Relecture de II, 1

• Jean-Pierre Vincent : Si le Roi n’est pas à l’article de la mort à l’arrivée de Lefeu, la scène a moins de valeur. La saveur de certaines répliques (le renard et les raisins...) qui peut prêter à rire est toujours indissolublement liée au plus profond tragique chez Shakespeare ; c’est le fonctionnement du carnaval.
• Bernard Chartreux : Je crois qu’il faut marquer la complicité de la bande de potes sur la scène de la séparation ; il ne faut pas jouer la mesquinerie.
• Jean-Pierre Vincent : Il faut garder cette complicité. Et Paroles, lui, fait la guerre en paroles. Ce n’est pas un fat à la française, ce n’est pas non plus un petit marquis de Molière. Il doit être un peu crédible. C’est un escroc international ; il doit être démonstratif sans perdre sa crédibilité. Sinon il ne sera qu’un personnage de théâtre, sans être une réalité humaine. Dans cette tirade, il y a un ressort d’insatisfaction qui pousse Paroles vers le modèle qu’il prétend être. Dans la scène avec Hélène, à l’acte I, c’était le frimeur du village. Mais du temps a passé : il fréquente désormais les réceptions des milliardaires : il est très à l’aise parce que le mensonge constitue sa réalité. Il se fait même passer pour un maître, avec beaucoup de classe. Les seigneurs ne sont pas encore capitaines, alors que Paroles l’est déjà. La révérence que les seigneurs lui font est sincère. Ensuite, dans sa scène avec Lefeu, il gagnera des galons chez les intellos : c’est une vraie ascension sociale. Dans sa relation avec Bertrand, il y a quelque chose de la relation Mentor-Télémaque : il lui parle comme un précepteur à son disciple. Ce roitelet de l’élégance a un certain prestige sur les seigneurs Du Maine, et une vraie emprise pédagogique sur Bertrand : c’est lui qui lui conseille de s’évader. Il est important que Paroles soit dupe de ses propres paroles. Lefeu n’est pas là pour voir cette importance de Paroles, mais une fois que c’est dit sur scène, tout le monde le sait plus ou moins ; cela fonde le respect initial de Lefeu pour Paroles.