Lecture de II, 1
(Des accessoires sont apparus dans le studio de lecture : valises, tambours, chandeliers, et les comédiens commencent à jouer avec quelque éléments de costume, en se déplaçant dans l’espace)
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Jean-Pierre Vincent : Il faudrait introduire du ludisme chez Hélène, et marquer un contraste par rapport au roi. Le Roi est couché par terre dans un linceul, entouré de quatre bougies ; il est prêt à mourir, déjà un peu momifié.
Lefeu est malade aussi : il a une sclérose en plaques, il se sait condamné, il marche avec une canne.
Lecture-jeu
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Jean-Pierre Vincent : Il faut à la fois maintenir l’engagement sentimental et le sens de la narration. On va changer la traduction : plutôt que “ étonnement ” (pour réplique du Roi à Lefeu : “ que nous puissions partager ton étonnement ”) - c’est “ wonder ” dans le texte anglais, on va mettre “ émerveillement ” : le terme, plus fort, correspond à l’intensité émotionnelle de Lefeu. Il ne faut pas escamoter les “ oh ”, les “ ah ” : c’est curieux comme ils posent toujours problème au théâtre alors qu’on les fait sans problème dans la vie quotidienne.
Lecture-jeu
(Le travail repose beaucoup sur les propositions des comédiens, qui sont commentées et modifiées par le metteur en scène ; des questions très pratiques, comme “ comment amener l’appui-tête du Roi ”, commencent à se poser ; les commentaires viennent ponctuer la mise en espace, qui est reprise en de petits segments, et continue de dérouler la scène)
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Jean-Pierre Vincent :
(rire) La sclérose en plaques rend visite au cancer phase terminale. Non, il faut quand même que Lefeu soit un peu moins handicapé, ça fait trop d’images parasites, là... Le “ Oh ! ” ça veut dire “ Oh ! je n’y arriverai jamais... ” Lefeu crie sa douleur au public.
Sur la réplique du Roi : “ les médecins ne peuvent rien pour moi ”, c’est dommage, le côté supplication que tu y mets ; c’est plutôt : <Ma pauvre petite, tu arrives avec ton optimisme mais tu ne comprends pas que j’appartiens au monde du tragique>.
(Les déplacements s’élaborent peu à peu : plus que leur nature, proposée intuitivement très vite par les comédiens, c’est leur rythme qui est travaillé, repris et commenté par le metteur en scène : ainsi Hélène a proposé trop tôt dans la scène une étreinte suggérant une intimité érotique avec le roi, que seule la fin de la scène peut amener.)
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Jean-Pierre Vincent : Le problème d’une gestuelle très suggestive (Hélène est à califourchon sur le Roi couché), c’est qu’on entend tellement le sens sexuel, que l’on n’entend plus le sens magique. Il faut que ce soit un peu plus ambigu, que le public puisse se demander : “ ils le font exprès ou non? ”
Hélène pourrait s’allonger par terre quand elle fait l’énumération de ses châtiments en cas d’échec ; c’est la table de torture.
Les questions dans la dernière réplique du Roi (“ d’où viens-tu, avec qui? ”) doivent pouvoir faire croire que peut-être tout est raté. Ce qui est incarné brusquement c’est le monde de vieux face au monde de jeunes. Il nous faudra de vrais accessoires, désormais, pour travailler la technique de l’ensorcellement : il faudrait arriver à élaborer tout un monde en quelques gestes. Le style de jeu d’Hélène : elle doit être à la fois énonciatrice et narratrice, entre le “ je ” et le récit. Ce qui ramène le Roi à la vie c’est le cul ; c’est un dernier réflexe sexuel.
Le rire du Roi doit être équivoque : est-ce que c’est des pleurs? Il y a une vraie proximité du rire et des pleurs, souvent on ne peut pas faire la différence. Bon, là dans le studio on peut travailler la mise en espace des scènes intimes comme celle-là, mais pour les scènes plus nombreuses évidemment ce ne sera pas possible...
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