Première séance sur le grand plateau (après plus d’un mois de travail dans le studio de répétition).

I, 1.

  • Jean-Pierre Vincent : On est dans un rythme trop tchekhovien ; il faut accélérer. Il ne faut pas bouger pendant le monologue d’Hélène. Dans la scène avec Paroles, il ne faut pas trop de paresse campagnarde ; c’est un festival de conneries magistrales, un feu d’artifice de répliques. Ce qu’on a dit en répétition et en lecture doit être conservé en mémoire, mais il faut plus raconter la pièce. Rien ne doit être confidentiel. Il n’y a jamais de confidence chez Shakespeare : la confidence s’exhale vers l’univers. La Comtesse doit regarder Bertrand pendant le discours de Lefeu sur le Roi. Rémi ce que tu dois penser c’est qu’on dit beaucoup de mal de lui, mais qu’il est quand même très malade. Lefeu a aussi des moments plus gais, quand il parle du talent de Narbonne. Hélène doit être plus torturée : pendant que la Comtesse fait son éloge, elle a au creux d’elle-même quelque chose de très différent de ce que dit la Comtesse. C’est de cela aussi qu’elle pleure. Elle est accablée par ce qui la ronge intérieurement. Il faut jouer le texte de “ c<our impur ” sur Bertrand : cela crée une faute passée, qui est soulignée par le jeu de regard de Lefeu. “ On va croire que vous affectez un chagrin ” c’est une réplique stratégique, pas du tout anodine : on quitte le dialogue de la scène et on entre dans le conflit singulier : <Va falloir que tu me dises, c’est du lard ou du cochon?> <et ben, c’est du lard, et du cochon>. Quand la demoiselle de la maison se met à pleurer c’est toujours embêtant, ça prend de la place, c’est envahissant, ça crée une tension...

Jeu

  • Jean-Pierre Vincent : Il faut compacter dans le temps les prises de décision. Pendant la bénédiction, le chagrin n’apparaît pas, mais il nourrit une force étrange. Ce sont les derniers mots. C’est ton dernier amour. Lui n’est pas réceptif à 100% de ce que tu lui dis ; ce qu’il doit comprendre, c’est qu’après ces mots tu vas mourir.

Jeu

  • Jean-Pierre Vincent : En plus, tu imprimes son visage dans tes yeux.

Jeu (monologue d’Hélène)

  • Jean-Pierre Vincent : C’est la première fois qu’on pénètre dans son cœur. Après une scène à quatre personnages, où se mélangent informations et sentiments, tout d’un coup, sans coup férir, on a un monologue. Quand tu essaies de voir ton père tu es trop pensive : il faut que ce soit un effort plus vif.

Jeu (monologue d’Hélène)

  • Jean-Pierre Vincent : Une fois que tu as eu l’étoile, la biche, tu es prête à mourir ; tu pars pour mourir. Et tu tombes par hasard sur le cahier d’esquisses : “ Quel plaisir... ”. Mais sur “ mourir ” c’est ta propre auto-condamnation à mort que tu proclames. Il faut donner envie au spectateur de les voir ces dessins, il faut qu’on sente que tu les trouves formidables. “ Cœur trop sensible ”, c’est pas une condamnation, c’est une lamentation. Il faudra que l’intendant assiste à la scène. Il faut qu’on sente que ce n’est pas normal qu’on réserve à Paroles un si bon accueil parce qu’il a des apparences séduisantes, et qu’elle, le squelette d’acier, se morfonde dans un coin du jardin.
  • Hélène Fabre : Ah c’est moi le squelette d’acier? Je n’avais pas compris le sens de la réplique, j’avais du mal à la jouer clairement.
  • Jean-Pierre Vincent : Pour Paroles on peut jouer la jactance puante. Il faut penser aux grands comiques duettistes : Poiret-Serrault... Il n’y a pas besoin de déplacements. Il ne faut pas transformer cette scène de grand comique en une scène de café-théâtre. Le déroulement de la scène, c’est 1) une chose tchekhovienne, 2) un monologue pathétique, 3) une scène de comique de mots. C’est un match avec un public. Hélène aurait une fonction d’animateur-provocateur ; il faut montrer à la salle ce que c’est qu’un macho.

Jeu (Jean-Pierre Vincent ponctue le texte de Paroles d’insultes à l’intention d’Hélène)

  • Jean-Pierre Vincent : Hélène essaie de faire du théâtre pour enfants : fais du théâtre dans le théâtre, tu fais semblant d’avoir peur, et puis tu dis : <Refaites-moi peur>. Ça décroche complètement du monologue d’avant. Hélène joue la faible femme pour lui donner faussement un terrain qu’il croit facile. Le public a vu que tu avais une forte flamme dans cette faiblesse.

Jeu

  • Jean-Pierre Vincent : Il peut y avoir des sautes dans les tirades de Paroles : c’est une parodie de discours politique. S’il n’y a pas de ludisme, d’effronterie de tout dire, la scène n’existe pas. C’est à contre-courant de toutes les morales et de toutes les religions. Il y a un étonnement pour le spectateur de voir la douce et sérieuse Hélène se livrer à cette joyeuse et périlleuse conversation.
    “ Il faut faire un péché ” : c’est le seul moment où Paroles peut jouer la drague. “ Dommage que... ” “ Quel dommage? ” <Qu’on puisse pas avoir un avion !>. Après un monologue très émouvant, il faut allumer l’allumette du rire : <Voilà l’homme avec lequel je m’amuse le plus>. Il faut se ressouvenir des premières lectures où il y avait cet amusement. Et puis on ne sent plus que le texte est drôle. On s’est habitué. Mais le public entendra les moments comiques, il donnera l’énergie.

Jeu

  • Jean-Pierre Vincent : Tout le dialogue est une joute, avec ces personnages. Paroles a obligé Hélène à changer de sujet. “ Sous mars ”, ça lance le deuxième round, et là c’est plutôt Hélène qui gagne. Votre seule complicité réside dans le fait que vous aimez la même personne ; vous êtes sur un nuage pour des raisons complètement différentes : Hélène à cause de son amour pour Bertrand, et Paroles à cause de la beauté des formules. Les points de suspension après “ dommage que... ” on les remplit par une course.

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