Le point de départ de cette réflexion sur l’utilisation de l’image animée dans l’enseignement des langues repose sur un double constat. D’une part, les technologies d’information et de communication qui, lorsqu’elles sont appliquées à l’enseignement prennent le nom de NTE (Nouvelles Technologies Educatives), semblent ouvrir par le biais de l’informatique et de la télématique des possibilités jusqu’alors inconnues. Les enseignants comme les apprenants ont à leur disposition une quantité de documents de plus en plus grande, alors que des techniques, plus anciennes et basées sur des principes largement communs, comme la télévision et la vidéo, semblent sous-exploitées ou non encore maîtrisées. Après l’engouement des années 70-80 pour ce qui était alors une nouveauté, après les efforts faits au niveau de l’équipement en matériel (achat de magnétoscopes, téléviseurs), l’utilisation ne semble pas être à la hauteur des espérances. Le document télévisuel reste un outil de second rang, relégué à un rôle démonstratif, c’est-à-dire qui sert à montrer la langue et culture, ou encore à celui de “document vidéo-récompense”. Tout se passe comme si, dans l’enseignement, une technique remplaçait l’autre avant même d’avoir été intégrée culturellement, avant même d’avoir été conceptualisée, poussée par une idéologie techniciste et par des intérêts économiques qui dépassent largement le cadre éducatif. Pourtant, dans le même temps, les “anciens” médias, la télévision en particulier, et les “nouveaux” sont de moins en moins ignorés par les enseignants, même s’ils ne franchissent pas toujours le seuil de la classe. On assiste depuis une dizaine d’années à un regain d’intérêt pour l’éducation aux médias, et ce jusqu’au niveau européen comme en témoignent les divers travaux du Conseil de l’Europe2 en faveur d’un enseignement par les médias et des médias.
D’autre part, cette situation conduit à un paradoxe : la classe n’est pas souvent le lieu où l’on parle d’“autres savoirs”, où la réalité extérieure pénètre le contexte pédagogique, ce qui crée un décalage entre la classe, lieu d’apprentissage par excellence, et le monde extérieur, lieu d’autres apprentissages. Le contraste est encore plus fort dans l’enseignement des langues étrangères où la classe n’est plus le seul lieu d’apprentissage. En effet, on assiste à une modification du statut même de la langue étrangère par le fait qu’il est possible de recevoir chez soi et de plus en plus dans les instituts de formation, grâce au câble ou aux antennes paraboliques, des dizaines de chaînes de télévision en langue étrangère en provenance des différents pays d’Europe. En effet, l’évolution des TIC (Techniques d’Information et de Communication) permet à chacun, et à chaque apprenant de langue étrangère en Europe, en Afrique du Nord, ainsi qu’aux Etats-Unis de recevoir la télévision des pays voisins : le développement du câble et des antennes satellite individuelles a permis à la télévision d’étendre son champ d’émission/réception ; l’accroissement du parc d’ordinateurs a développé l’usage des CD-Rom et les possibilités de connexions en ligne via Internet. L’idée d’adéquation entre l’espace de la nation et celui de la télévision est largement battue en brèche : pour l’exemple du français, on citera Arte (chaîne franco-allemande), Euronews (chaîne d’information européenne en six langues dont le français), TV5 la chaîne francophone qui diffuse aussi bien des émissions issues de télévisions européennes - France, Suisse et Belgique - que du Canada francophone3 .. Ce développement des télévisions et des supports numériques a une double conséquence : d’une part, les enseignants de langue ont directement à leur disposition de nouveaux matériaux, souvent renouvelés, ou sous forme de banques de données, et d’autre part, les apprenants ont aussi la possibilité de regarder la télévision ou un CD-Rom, d’aller sur Internet, seuls, en dehors du cadre d’apprentissage, ou en autodidaxie. Il y a là une nouvelle situation et sans doute une évolution dans le comportement des apprenants et de leur motivation pour les langues. Si la télévision fait partie du quotidien de la quasi totalité des apprenants, l’usage social de l’outil informatique se répand de plus en plus parmi ceux qui sont issus des pays ou des classes favorisés, et ceux-ci s’attendent à le retrouver également dans un contexte positif de formation. Il faudra d’ailleurs revenir sur la part du mythe technologique dans les représentations qu’ont les apprenants de l’enseignement des langues.
Abbé Antoine Noël Pluche La mécanique des langues et l’art de les enseigner, Brest, Imp. de Michel, 1735, éd. 1811.
Len Masterman, Le développement de l’éducation aux médias dans l’Europe des anées 80, Conseil de l’Europe , Strasbourg, 1988 ; Len Masterman, François Mariet, L’éducation aux médias dans l’Europe des années 90, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1994.
TV5 est diffusée en Europe depuis 1984 (en Allemagne sur le câble), depuis 1996 en Asie, depuis 1997 en Afrique et sur le continent américain (par bouquet numérique ou par satellite).