1. Origine de la recherche

Cette recherche est née de la rencontre entre une nécessité pratique visant l’amélioration de l’apprentissage d’une langue et culture en vue d’acquérir la compétence de communication, et une préoccupation théorique, c’est-à-dire donner à un enseignement les bases nécessaires d’un point de vue épistémologique et conceptuel, lui assurer un arrière-plan didactique, sémio-linguistique et pragmatique solide tel que l’on est en droit de l’attendre d’un cours en milieu universitaire. Un objet nous a paru apte à faciliter cet apprentissage et à proposer aux apprenants des modèles de communication authentique : l’image animée, que ce soit sur support télévisuel, vidéo ou multimédia4, semblait répondre à cette préoccupation. En faisant le choix de l’image et de la langue médiatées, nous mettons l’accent sur un certain type de messages issus de la communication orale. Parce qu’ils contiennent une grande variété de modèles langagiers, ils sont aptes à sensibiliser l’apprenant aux différents usages de la langue, aux conditions de production chaque fois particulières et à la multiplicité des paramètres extra-langagiers. Malgré le renouvellement théorique de la linguistique, l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère semble encore se limiter trop fréquemment à celui de l’énoncé, et nous voulons souligner l’importance de la connaissance des règles de communication pour l’apprenant étranger. Comme le constatait Jacques Filliolet il y a plus de dix ans, à propos d’une certaine indifférence à tenir compte des expériences culturelles des apprenants, “‘c’est une indifférence généralisée à l’ensemble de l’interaction qui risque d’être déclenchée par une survalorisation du linguistique’.”5

Notre expérience d’enseignement du FLE en France ou à l’étranger à un public de jeunes adultes a fait apparaître la nécessité de trouver de nouvelles voies pour développer les compétences de communication orale des apprenants. Dans le cadre d’un enseignement du français en milieu endolingue, le besoin prioritaire est de développer les capacités de compréhension orale d’étudiants de langues et de cultures différentes - venant en majorité de l’Asie du Sud-est et de l’Europe élargie -. Les apprenants qui se trouvent généralement pour la première fois en France rencontrent des difficultés de communication attribuées essentiellement à la non-maîtrise des moyens linguistiques. Leurs problèmes sont aussi bien d’ordre phonétique (mauvaise prononciation et/car mauvaise écoute), que d’ordre linguistique et culturel (peu de lexique fonctionnel, pas de connaissances métalinguistiques, pas d’ouverture à la dimension pragmatique de la langue). Pour répondre rapidement à ces exigences dans le cadre d’un enseignement semestriel et d’un cours hebdomadaire (en général deux heures de compréhension orale et une heure d’expression orale), l’utilisation de documents visuels proposant des modèles variés de communication authentique nous a paru la meilleure réponse à apporter. Par ailleurs, les enseignants ont conscience que les difficultés langagières des apprenants se situent autant au niveau des savoirs que des savoir-faire, à la fois dans la classe et hors de ce cadre, lors de leur pratique quotidienne. Il s’agit donc de créer des situations d’apprentissage où l’apprenant pourra réutiliser à l’extérieur les savoirs appris dans un cours, ce qui veut dire aussi le préparer à la rencontre avec la réalité étrangère, finalement le former à apprendre seul. La rencontre entre l’image animée et la didactique promet d’être fructueuse pour peu que l’enseignant se pose certaines questions.

Si l’utilisation de documents authentiques a été largement justifiée par de nombreuses études depuis les années 80, les images animées, liées à la problématique de tout document authentique, posent toujours la question de leur spécificité, du “pour quoi faire?” et surtout du “comment” faire ? Faut-il réserver les documents authentiques complexes aux seuls apprenants avancés ? Comment dépasser le stade de l’illustration de la réalité et amener l’apprenant à percevoir le fonctionnement de celle-ci ? Comment rendre enfin cet apprentissage communicatif ? Dans la perspective de l’apprenant, Henri Holec a apporté de nombreux éléments de réponse sur les fonctions de ces documents en terme d’apprentissage et d’acquisition. Il nous paraît que ce sont surtout les capacités d’apprentissage qui ont été jusqu’ici le plus développées : l’écoute, la réception des messages pour amener l’apprenant à une meilleure perception et compréhension de la langue et de la culture. Mais pour Henri Holec, l’exposition à des discours authentiques ne conduit pas automatiquement à l’acquisition de cette capacité. La confrontation à ces documents est nécessaire : l’apprenant en a besoin pour “‘l’internalisation, ou l’accession à la maîtrise des savoirs et savoir-faire qui constituent la compétence visée’”6 .

Les travaux critiques menés jusqu’ici sur la télévision dans une situation d’enseignement n’ont pas mis à jour les effets négatifs de celle-ci sur les élèves ; mais les préjugés, que Geneviève Jacquinot évoquait déjà en 1985 dans L’école devant les écrans 7 sont encore vivaces. On retrouve ainsi les reproches faits au cinéma, et à l’image en particulier, c’est-à-dire que la fascination exercée par l’écran sur le spectateur et la participation affective au spectacle sont censées entraîner la passivité chez le spectateur. C’est le statut de la réception qui est à reconsidérer, car ces arguments confortent certains dans l’idée que la TV n’a pas sa place dans un cours de langue. Ainsi, l’enseignement des langues a fortement été marqué par la méthodologie audiovisuelle et l’a a posteriori évaluée de façon critique ; elle s’est finalement affaiblie sans avoir donné toutes les possibilités didactiques. A l’opposé, une autre attitude consiste à prendre le parti de la présence de la télévision et à affirmer, comme François Mariet récemment, qu’elle n’est d’aucun danger et que les enfants sont des téléspectateurs et des consommateurs avertis : d’où son livre Laissez-les regarder la télé 8 . On est en droit de se demander si l’on n’a pas sauté une étape dans l’ouverture du monde de l’éducation aux médias : celle de la formation au(x) média(s)? La formation continue des enseignants prend-elle suffisamment en compte le support audiovisuel et les problèmes liés à la pédagogie de l’image et de l’imaginaire, évoqués il y a de nombreuses années par Michel Tardy dans Le professeur et les images 9 ? Il reste de nombreux obstacles à surmonter pour répandre les pratiques, pour ouvrir l’enseignement des langues aux médias en général, et à l’image animée en particulier. Pourtant d’autres arguments viennent à l’esprit, principalement ceux évoqués par les utilisateurs enseignants. Il semble que, de par leur nature même - ils sont construits à des fins non pédagogiques -, les documents télévisuels soient réservés aux apprenants de niveau avancé, à cause de leur complexité, et de la densité des informations qu’ils contiennent. Ils soulèvent la question de leur variété et de leur difficulté de classement, d’une utilisation à des fins d’apprentissage. Par ailleurs, l’abondance de documents qu’offre le média télévisuel, la multiplication des CD-Rom non didactiques, ne rendent-elles pas le problème de la sélection de documents plus difficile ? Sur quels critères effectuer ce choix de documents dont la durée de vie ne semble liée, pour la télévision, qu’à leur diffusion et qui sont inscrits dans un continuum, selon certains, de “consommation” d’émissions télévisées ?

Parallèlement, l’introduction de la télévision dans la classe, le travail dans une salle équipée d’ordinateurs conduisent à des modifications majeures de la situation d’enseignement, de la place de l’enseignant dans la classe de langue. Si l’on admet que l’apprenant est au centre du processus d’apprentissage, comment définir la relation de médiation : document télévisuel/langue à enseigner/apprenant et où situer l’enseignant ? A son époque, la méthodologie audiovisuelle avait apporté certains principes qui ne correspondent plus à ceux de l’ère communicative, les techniques ont évolué, les attitudes des enseignants vis à vis des techniques aussi, et les apprenants également.

Notes
4.

Avec la numérisation et l’intégration des différents médias sur un seul support, l’expression multimédia s’est substituée depuis les années 90 au terme audiovisuel. Au niveau de l’usager, le terme multimédia désigne couramment soit un micro-ordinateur équipé de dispositifs tels interface graphique, lecteurs de CD, écran haute résolution, etc., soit tout programme nécessitant un tel dispositif pour être accessible. Nous empruntons la définition à Claire Bélisle, “Formation et Nouvelles technologies”, Actes des Journées 17 et 18 décembre 1997, INSA, Université Lyon2.

5.

Jacques Filliolet, “La typologie des discours, mythe ou réalité pédagogique ? ”, in Langue Française, n°74, 1987, p.104.

6.

Henri Holec, ’Des documents authentiques, pour quoi faire ?’, Actes du Colloque Stratégies pédagogiques et outils pour l’enseignement des langues vivantes, CRDP de Dijon, 1991, p. 20.

7.

Geneviève Jacquinot, L’école devant les écrans, ESF, Paris, 1985.

8.

François Mariet, Laissez-les regarder la télé, Calmann Lévy, 1989.

9.

Michel Tardy, Le professeur et les images, PUF, Paris, 1966, 1. éd..