4. Méthodologie

La méthodologie choisie dans ce travail est à la fois inductive et déductive : inductive, car elle s’appuie sur une pratique d’enseignement, sur la rencontre des trois composantes du triangle didactique à savoir entre la langue, l’apprenant et l’enseignant. Cette pratique professionnelle est présentée à travers un corpus d’enregistrements télévisuels et vidéo - décrit ci-après - établi pour les besoins de cette recherche. La démarche est aussi déductive, car cet enseignement était le fruit d’une réflexion menée depuis plus de dix ans autour des concepts de la communication en classe de langue, et de la place de la langue et des images authentiques dans des cours de niveau débutant à avancé, et dans la formation des enseignants.

De plus, l’enseignement du français en Allemagne et la réflexion autour de la “Mediendidaktik”27 apporte des perspectives enrichissantes à ce travail. La transdisciplinarité développée outre-Rhin entre la linguistique, la sociolinguistique et la psychologie nous a permis à la fois de sortir d’un cadre conceptuel parfois trop étroit et d’y revenir enrichie d’approches et de méthodologies pouvant servir notre but. L’apport le plus frappant de la didactique allemande a été de définir très tôt la dimension spécifique des médias28 (ici pris au sens de support d’enseignement) par rapport à la situation d’enseignement des langues. En effet, trois composantes de tout média apparaissent essentielles aux didacticiens : le support (traditionnel ou technique), la forme de présentation (dialogue écrit ou oral, image) et le contenu. Au lieu d’envisager les médias uniquement comme facilitateur d’une activité de réception de la langue - compréhension orale, visuelle, de lecture -, ils sont vus aussi comme encouragement à l’activité de production langagière, écrite et orale. On insiste sur la variété des supports et surtout de la “forme de médiation” (sonore, visuelle, audiovisuelle...) qui influence la forme langagière29. C’est à partir des différentes formes de médiation et de leur combinaison que l’on pourra développer des habiletés chez l’apprenant et l’amener à maîtriser la compétence de communication. Mais pour utiliser efficacement les divers médias, des chercheurs comme Gienow insistent sur la spécificité de chaque média, qu’elle soit technique (certains médias ont une souplesse d’utilisation qui facilitera davantage l’activité de l’apprenant débutant) ou que ce soit au niveau de la médiation des informations.30 Il est ici essentiel de ne pas séparer les composantes spécifiques du média : le contenu/la thématique, l’organisation verbale et non verbale et les caractéristiques techniques propres au média. A la suite de Gienow, nous dirons que les processus de prélèvement de l’information (“Informationsaufnahme”) et de transformation de l’information (“Informationsverarbeitung”) sont au centre de la méthodologie.

Notre approche est de type sémiotique parce qu’elle évoque la construction du sens à travers un rapport forme-sens. On cherchera à travers les différentes formes de présentation visant la lisibilité et la compréhension (faire voir, faire savoir) à rendre plus aisé l’accès au contenu des énoncés verbaux. Des stratégies cognitives, linguistiques, discursives et culturelles seront mises en place pour étudier les systèmes visuel et sonore. Le système sonore est généralement mieux connu, notamment depuis les travaux menés dans le cadre du BELC sur les documents bruts sonores31. Pour l’analyse du message verbal, on se réfèrera aux recherches en sémiolinguistique et notamment aux travaux de Patrick Charaudeau32 sur le contrat énonciatif, à ceux de Jean-Michel Adam33 sur les types de textes et les structures narratives ; les avancées dans ce domaine permettront d’aborder le message audiovisuel sous un nouvel angle. De plus, le travail sur la langue médiatée dans une perspective didactique nous amène à prendre en compte l’interactivité produite par la rencontre du message et du récepteur apprenant. Les travaux sur la communication verbale et les interactions nous conduisent à considérer l’activité de l’apprenant d’un point de vue cognitif et pragmatique, c’est-à-dire à analyser les interactions entre les différents types de signes sémiologiques et linguistiques. Dépassant la seule compétence linguistique, le concept de compétence de communication sera reformulé à partir de ce que Catherine Kerbrat-Orecchioni appelle la “compétence d’un sujet”, c’est-à-dire “‘la somme de toutes ses possibilités linguistiques, l’éventail complet de ce qu’il est susceptible de produire et d’interpréter’.”34 Cependant, comme le précise l’auteur, de nombreuses contraintes vont venir restreindre le fonctionnement de la communication, en fonction de la position du sujet apprenant récepteur ou émetteur, et notamment des contraintes qui sont liées à la situation d’apprentissage.

Nous serons également amenée à analyser les interactions des apprenants, à interpréter des productions orales et donc, dans la perspective des linguistes interactionnistes, à tenir compte de nombreuses sources d’information : sur les participants, leur nombre, leur culture d’origine, sur la situation liée au système institutionnel ou non, le caractère exolingue de certaines situations, sur les finalités de l’interaction et les contraintes qui pèsent sur celle-ci, notamment par la présence du matériel vidéo. Il sera donc procédé à un aller-retour permanent entre la dimension théorique et l’analyse du corpus. Si nous faisons appel à différentes notions développées dans d’autres champs scientifiques comme les sciences de l’information et de la communication ou l’analyse filmique, il ne s’agit pas ici d’apporter une contribution à ces domaines, mais d’intégrer des résultats acquis dans d’autres disciplines en les replaçant dans un nouveau contexte, une nouvelle perspective, celle de la didactique des langues. Il faudra à chaque fois d’ailleurs se poser les conditions de ce transfert de connaissances et les justifier d’un point de vue épistémologique. Le principe retenu est de ne faire en aucun cas une analyse exhaustive des exemples : d’une part parce que cela mènerait à des répétitions évidentes d’un exemple à l’autre, d’autre part parce que c’est dans l’esprit même d’une approche communicative, voire d’une philosophie de l’enseignement, de ne pas “épuiser” le sujet par l’explication sous peine de le détruire !

Il s’agit donc dans ce travail de revisiter le concept de didactique et de l’aborder sous trois angles : de prendre tout d’abord le point de vue de l’enseignant, de partir de ses objectifs, et de proposer une formation à l’image et à ses spécificités. De développer dans un deuxième temps une méthodologie pour utiliser l’image animée comme outil d’enseignement. Enfin, de se centrer sur l’apprenant, et de montrer les potentialités des médias visuels comme outil d’apprentissage et d’autonomisation.

Notes
27.

“Mediendidaktik” comme sous-discipline de la didactique des langues, elle comprend au sens strict uniquement les médias audiovisuels ; au sens large, elle englobe tous les matériaux d’enseignement /apprentissage. D’après Waldemar Pfeiffer, Medienpädagogisches Handeln in der Schule, Wolfgang Schill (Hrsg.), Opladen, 1992, p. 41.

28.

Inge Schwerdtfeger, “Medien im neusprachlichen Unterricht : wozu ? Ein Beitrag zur Legitimation des Medieneinsatzes”, in Der fremdsprachliche Unterricht 35, 1975, pp. 2-15.

29.

Christoph Edelhoff, Medien im Fremdsprachenunterricht, Max Hueber Verlag, München, 1986, pp. 18-19.

30.

Wilfried Gienow, Prozeßorientierte Mediendidaktik im FU, Gienow & Hellwig (Hrsg.) Frankfurt am Main, 1992, pp. 43-55.

31.

Jean-Claude Beacco, Monique Lebre-Peytard, Simone Lieutaud, Jean-Louis Malandin, Le document oral brut dans la classe de français. La transcription de documents sonores authentiques, BELC, Paris, 1977.

32.

Patrick Charaudeau, Langage et Discours. Éléments de sémiolinguistique, Paris, Hachette, 1983 ; Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette, 1992.

Le discours d’information médiatique, Nathan INA, 1997.

33.

Jean-Michel Adam, Le texte narratif, Paris, Nathan, 1985 ; Le texte descriptif, Paris, Nathan, 1989.

34.

Catherine Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation. De la subjectivité dans le langage, A. Colin, Paris, 1980, pp.16-17.