5. Le corpus

Dans la perspective d’une généralisation de l’expérience menée avec les groupes d’apprenants de FLE, on aura recours à certaines occasions à des résultats issus de notre expérience professionnelle. La diversité des approches possibles de l’image animée, la multiplicité des supports avec des différences au niveau de l’émetteur, du canal, de la forme, du dispositif..., l’objectif de suivre “l’actualité” qui fait que les documents ne sont que partiellement réutilisables et réutilisés d’une année sur l’autre, la volonté de faire un tour - même lacunaire - de la question, de passer de l’empirie à la théorie, toutes ces raisons justifiaient un corpus large. Nous avons donc travaillé sur un corpus ouvert en multipliant les variables. Donnant d’abord une définition pratique de l’image animée évoquée plus haut, nous avons donc utilisé les formes d’images suivantes : images télévisuelles en direct, images télévisuelles enregistrées sur support magnétique (cassette vidéo), images de production propre enregistrées également sur support magnétique, séquence vidéo sur CD-Rom. Nous utiliserons plus généralement le terme de Document Télévisuel Vidéo (DTV) ou multimédia pour désigner ces images lors d’une mise en contexte didactique. La parenté entre ces différentes images est évidente : ce sont différentes actualisations des variables direct/enregistré, support magnétique/ support informatique. Malgré cette diversité, la majorité des exemples choisis sont sur support vidéo, car cela correspond largement à la réalité de l’enseignement en cette fin des années 90 en France et semble rester encore la norme, car, comme cela a été déjà évoqué plus haut, les coûts des équipements informatiques restent très importants.

En choisissant de travailler avec du matériau télévisuel et vidéo, certaines contraintes concernant le recueil du corpus sont à considérer35. Un premier groupe de documents comprend des documents télévisuels enregistrés, empruntés à diverses chaînes de télévision française, en essayant de refléter la variété des émissions et des types de langue médiatée (spots publicitaires, reportages, séquences de Journaux télévisés, séquence météo, débats, films...). Dans le cadre de notre recherche sémiolinguistique, il était important d’avoir des situations variées d’interaction, de locuteurs, de discours différents tant d’un point de vue sonore que visuel. Or, la logique télévisuelle fait que l’on ne montre par exemple que rarement l’interaction entre l’émetteur et le récepteur, ce dernier étant généralement absent de l’écran. Deux logiques s’affrontent donc, celle du chercheur et celle de l’écriture propre au média, les contraintes viennent à la fois de la finalité de l’analyse et du matériau enregistré. Un deuxième groupe de documents est constitué de documents vidéo produits en situation d’apprentissage, pendant nos années d’enseignement au CIEF de Lyon 2. Deux types d’enregistrement ont été rassemblés : il s’agit d’une part d’enregistrement de cours avec des étudiants de niveau intermédiaire lors d’un travail d’expression orale avec les DTV. Le film, d’une durée de cinquante minutes, destiné à l’observation, n’a été transcrit que partiellement en vue d’observer les phases de réception et d’expression. Ce film d’observation d’une durée de cinquante minutes a été transcrit partiellement, la partie “simulation” (en annexe 1) a permis d’analyser les interactions entre langue et image médiatées et les apprenants. D’autre part, nous avons réalisé avec différents groupes d’étudiants (de niveau débutant à avancé) des séquences vidéo qui forment un corpus d’environ cent vingt minutes d’enregistrement. De même, de nombreuses contraintes ont pesé sur ce corpus, déterminées par le lieu d’enregistrement et les règles de fonctionnement de l’institution. Des questions se sont posées quant à la modalité du travail, par exemple pour l’enregistrement qui peut se faire à caméra cachée ou caméra visible. Ici, la réponse est donnée par les personnes filmées : les apprenants et les natifs sont impliqués dans le projet et la réalisation, les apprenants sont associés à l’enregistrement et peuvent donner leur avis au moment de l’enregistrement et de l’interprétation. Enfin, les problèmes d’ordre technique qui concernent le choix du lieu d’enregistrement, les contraintes d’éclairage et d’acoustique sont à mentionner. Ils sont à régler lors de la mise en place du dispositif pour faciliter l’analyse. Un dernier aspect, celui du montage des bandes vidéo, n’a pas été réalisé. En effet, les enregistrements ont été sélectionnés, puis analysés bruts grâce à des magnétoscopes perfectionnés qui permettent la décomposition du message visuel image par image. L’objectif qui a été poursuivi à travers ces enregistrements était double : promouvoir la communication orale en mettant l’apprenant au centre de l’image et restituer les interactions verbales et non verbales dans une perspective de réflexivité de l’apprentissage. Plusieurs groupes d’apprenants de niveau débutant à intermédiaire, pour qui l’intégration au milieu français est la plus difficile, ont été amenés à réaliser ces séquences vidéo. Parmi les dizaines de séquences réalisées, nous avons retenu quelques interviews qui illustrent le mieux la variété des situations de communication et la richesse des échanges pour l’apprentissage de la langue-culture.

Film I : réalisé par deux mini-groupes d’étudiants de niveau intermédiaire ; il est composé de six interviews individuelles ou à deux qui forment quatre séquences tournées sur le campus de l’université ; deux séquences ont été enregistrées à l’extérieur. Ces séquences présentent des inconvénients techniques : réalisées avec un micro intégré, la qualité sonore nuit à une réutilisation didactique. Seront utilisées et analysées dans ce travail les interviews I,2 et I,3.

Film II : réalisé par six étudiants de niveau intermédiaire, le film est formé de huit interviews individuelles tournées sur le campus de l’université qui forment deux séquences. Les interviews retenues sont II,1, II,2, II,3.

Film III : une séquence prise à l’extérieur composée d’une interview en groupe (III,1).

Film IV : réalisé par neuf étudiants de niveau débutant ; composé de six séquences dont quatre ont lieu dans l’université (six interviews individuelles) ; deux à l’extérieur (trois interviews) ; montage des séquences. Trois interviews ont été utilisées IV,4, IV,7, IV,8.

En choisissant de s’appuyer sur l’image animée, s’est posé le problème de la transcription des messages vidéographiques qui se situe à deux niveaux : la démarche ne dénature-t-elle pas l’objet de recherche ? Le fait même de transcoder les images par le code verbal modifie en effet l’objet et tous les éléments du contrat de communication. Un deuxième point concerne les relations formelles entre l’objet et la transcription : le choix des instruments de description (la durée, le non-verbal, le filmique), les critères de segmentation ont une influence déterminante sur les résultats. Pour étudier les phénomènes de communication, les dimensions verbale et visuelle sont toujours à mettre en parallèle ce qui posait la question de la forme même de la transcription et de la place réservée au visuel par rapport au verbal. Sans oublier la question de la validité scientifique de la transcription. Sans répondre complètement à ces questions, nous avons fait un double choix, celui de fidélité et de lisibilité ; certains éléments de transcription ont été retenus, concernant la description de l’image : le cadre filmique, la distance proxémique, les gestes et le regard. Ces éléments ont été mis en parallèle avec le flux du discours et serviront à montrer la construction de l’interaction entre les personnes. Du point de vue sonore, le verbal a été transcrit mais sans prendre en compte tous les éléments phonétiques ou prosodiques (seuls les tours de parole, les pauses, les montées interrogatives ont été retenus), car il ne s’agit pas d’une analyse du texte verbal intégral, mais du comportement communicatif de l’apprenant dans son ensemble. Des indications complémentaires sur les conventions de transcription sont données dans la première transcription en annexe.

Nous avons utilisé aussi des séquences d’image animée empruntées à différents CD-Rom destinés à l’apprentissage du français. Dans une perspective communicative, il importe d’aller au-delà d’une “interactivité” - terme qui qualifie aujourd’hui les outils multimédias - trop souvent réduite à la technique et de créer de véritables interactions avec l’apprenant. L’intérêt de ces documents d’apprentissage réside donc dans le lien que l’on établit entre le choix du support et son utilisation : celle qui en est faite sur le lieu d’apprentissage et celle que peut en faire l’apprenant à l’extérieur.

La sélection des extraits du corpus s’est faite selon des critères essentiellement pratiques (disponibilité, longueur, ...) et techniques (bonne qualité de la réception et de l’enregistrement). Les critères didactiques n’ont été que secondaires, car nous partons du principe que la complexité de l’image animée fait que la majorité des documents peuvent être analysés dans les différents points de vue qui seront évoqués. Parmi les documents qui ont été choisis pour illustrer chaque aspect de l’image animée, les plus performants ont été retenus afin de renforcer la démonstration. L’étude est, on l’aura compris, centrée sur les documents bruts, c’est-à-dire des documents non conçus et non fabriqués pour la classe. Les documents pédagogiques sont écartés, sauf dans la partie historique, après justification de ce choix ; en ce qui concerne les CD-Rom, leur statut est ambigu dans la mesure où ils sont généralement destinés à l’auto-apprentissage - il s’agira justement de voir s’ils tendent davantage vers la pédagogie ou vers l’autonomie -. De plus, les enregistrements de cours qui ont eu lieu dans le but d’observer la communication didactique lors de l’utilisation de DTV permettent, par la mise en relation des images et des productions orales des apprenants, d’affiner l’analyse et de confirmer ou d’infirmer nos hypothèses de départ.

Notes
35.

Nous nous appuyons sur les recherches menées par Jean Mouchon et Pascal Périn sur la construction du réel analysé et les difficultés d’interprétation du matériau audiovisuel : “L’analyse des communications multimodales : du recueil des données à l’interprétation”, in Etudes de Linguistique Appliquée n°58, 1985, pp. 69-76.