1.1. Rencontre de deux logiques : processus similaires et finalités opposées

Nous nous appuyons sur l’une des conclusions à laquelle arrive Louis Porcher en 1994, dans Télévision, culture, éducation, à propos des territoires que l’institution éducative et les médias partagent aujourd’hui et de l’échange prometteur qui peut naître de leur rapprochement :

‘“La télévision transporte des savoirs, sans viser à leur transmission formelle. L’école est, avec la famille, l’institution chargée justement de cette transmission contrôlée. Toutes les deux sont inscrites dans le paysage social français et se trouvent désormais dans la position de collaborer sans perdre leur spécificité. Elles demeurent, en même temps, en concurrence, l’une travaillant sur un public captif, l’autre cherchant, symétriquement à captiver (capturer) ce même public, parmi d’autres.”37

Trois termes de cette citation sont le point de départ d’un parallèle que nous voulons mener entre ces deux institutions, que tout semble opposer, et qui ont pourtant plus d’un point commun.

Tout d’abord le terme de “savoir” est traditionnellement associé, dans une perspective d’éducation, au texte écrit et plus généralement aux connaissances apportées par l’enseignant. Il nous semble donc nouveau d’affirmer, comme le fait Louis Porcher, qu’il existe d’autres savoirs, ceux des médias, et en l’occurrence ceux de la télévision. Mais les “savoirs” de la télévision seront d’une autre nature que ceux de l’école, puisque portés par l’image et la parole, et non par le texte écrit. Les savoirs véhiculés par la télévision, c’est-à-dire par le son et par l’image, nous intéressent dans le cadre d’un apprentissage des langues, et ceci nous amènera à nous poser la question d’une autre définition des savoirs et des contenus pour un apprentissage des langues étrangères : quels sont-ils à la télévision ?

Cependant, on ne peut mener le parallèle trop loin entre ces deux institutions, car leurs logiques, pour reprendre l’expression de Thierry De Smedt, leurs missions sont et restent différentes : “L’école forme à la pensée en vue de son expression par le texte écrit, elle privilégie les données factuelles, le raisonnement logique et le concept abstrait.”38 Si l’on peut parler de la “transmission” des savoirs comme tâche dévolue à l’institution éducative, il n’en est pas de même pour la télévision. Mais celle-ci, en tant que support spécifique, peut bien être considérée comme un vecteur de transmission de connaissances. Cette problématique est au centre de notre recherche. Chacune, de la télévision et de l’école, possède sa “spécificité”, apprendre pour l’école et distraire pour la télévision ; et s’il est vrai que les buts de l’une et l’autre institutions restent divergents, il n’en est pas moins vrai qu’au niveau de la médiation et de ses processus il existe des similarités, que nous voulons mettre en évidence. On peut donc s’attendre à une relation de complémentarité entre télévision et enseignement, et espérer une collaboration comme l’évoque Louis Porcher.

Afin de mieux connaître les “spécificités” de chacune de ces institutions, un rapprochement terme à terme entre les finalités de la télévision et de l’institution scolaire va être mené, en cherchant à travers leurs missions de quelle manière elles-mêmes se définissent. Ces deux institutions font parfois appel au même vocabulaire pour se définir ce qui soulève toujours des polémiques chez les enseignants qui considèrent que la mission éducative leur revient de droit. Il en est de même pour le terme de culture qui ne devrait pas désigner à la fois la culture classique et celle des médias.

Alors que l’évolution du média fait apparaître aujourd’hui deux télévisions, publique et privée, il est bon de se rappeler la loi de 1964 qui créait l’O.R.T.F. et fixait ainsi quatre missions aux chaînes publiques : informer, éduquer, distraire et cultiver. En 1987, une autre loi prescrit que la société Antenne 2 :

‘“conçoit et programme ses émissions dans le souci d’apporter à toutes les composantes du public information, enrichissement culturel et divertissement, en fonction de la mission culturelle, éducative et sociale qui lui est assignée par la loi”39.’

Se trouve-t-on aujourd’hui face à une télévision publique qui resterait soumise à des “missions” alors que la télévision privée ne serait dépendante que d’une logique économique, pour ne pas dire commerciale ? La situation n’est pas si tranchée, en fait l’opposition télévision privée/publique dépasse l’opposition commerciale/non commerciale ; la télévision des années 90, par la multiplicité des chaînes qu’elle propose, devient davantage une juxtaposition de télévisions : avec des chaînes généralistes (publique et privée) qui côtoient des chaînes thématiques, la chaîne de l’information (LCI), du sport (Eurosport), du cinéma... On remarque que la mission culturelle n’est pas absente puisque Arte se définit comme la chaîne culturelle franco-allemande. Plus récemment a été créée la chaîne du savoir, La Cinquième - nous allons revenir en 1.1.4. sur sa mission éducative -. On est à l’heure où chaque chaîne va chercher à recruter son public en construisant une identité qui lui soit propre. Le câble en est un exemple, il propose des programmes qui reposent sur une unité de genre (Planète, Ciné-Cinémas, Euronews) et s’adressent à des publics spécifiques.

Notes
37.

C’est nous qui soulignons. Louis Porcher, Télévision, culture, éducation., A. Colin, Paris, 1994, p. 192.

38.

Thierry De Smedt, “De la logique des médias à celle de l’éducation”, in Médiaspouvoirs n° 35 “Éducation et médias”, 1994, p. 83.

39.

Jean Cluzel, Regards sur l’audiovisuel, T. VI, LGDJ, Paris, 1994, p. 66.