1.1.4. Cultiver

Ce mot, peu employé dans le domaine de la télévision, renvoie essentiellement à la diffusion d’oeuvres théâtrales, musicales ou de films ; il fait davantage référence au domaine artistique ou éducatif et à des savoirs légitimes, apportés par l’institution scolaire, alors que le média n’offre qu’une culture mosaïque, et des savoirs autres. On constate que la télévision a su se faire une place auprès du public comme “pourvoyeuse de connaissances”, mais que l’accès au savoir légitime, à la culture cultivée (dont la référence est le texte littéraire) reste le domaine de l’institution éducative. En effet, la télévision, souvent vue comme une adversaire, est accusée “‘d’altérer la culture cultivée et de promouvoir une culture spécifique qui n’est pas une culture du tout et représente en tout cas une décadence’.”57 La télévision est même pour ses contempteurs “‘à l’opposé des valeurs de l’effort et du recueillement que nécessite la (vraie) culture’”58. Cependant, l’existence de la Cinquième, chaîne du savoir et de la connaissance, est en train de faire évoluer les mentalités : elle souhaite rendre le savoir accessible à tous, et inciter les exclus de la connaissance à aller se cultiver. On constate finalement à la suite de Louis Porcher une opposition entre la culture scolaire, graphique d’un côté, et médiatique de l’autre, incluant l’oral et l’image. La place de l’image reste encore très marquée par l’héritage cartésien et sa valeur intellectuelle est souvent sous-estimée. C’est ce qu’on pourra constater à travers l’analyse des comportements des enseignants et approfondir dans la deuxième partie, dans le chapitre 2.1.

Au niveau de la réception, il faut dire surtout que les spectateurs choisissent les programmes en fonction de leurs attentes qui sont socialement déterminées. Acquérir des connaissances, se cultiver, n’a de sens que si la culture fait déjà partie des préoccupations des individus. Ceci ne concerne d’ailleurs pas que les récepteurs natifs, et la question est de savoir comment l’identification peut s’opérer pour des non-natifs. La réponse est apportée en terme d’apprentissage/acquisition d’une compétence culturelle ; pour l’apprentissage d’une langue cela signifie : “‘mettre l’accent sur les points communs ou au contraire souligner les différences entre la culture native et la culture cible’”.59

L’apport de la télévision et des médias en général est essentiel pour rapprocher la langue et la culture dans le contexte de la classe de langue, y faire entrer l’implicite, faire naître le désir d’accéder à une culture lointaine, d’observer et de se familiariser avec des comportements. C’est en mettant l’accent sur les situations d’apprentissage qui vont favoriser la communication interculturelle, comme l’a montré notamment Henri Besse :

‘“si on travaille, par exemple, sur un document qui relève authentiquement de la langue/culture enseignée, ou si le professeur est un natif, ou se comporte en natif de celle-ci”.60

Ce sera l’objectif de notre travail que de varier les approches de la langue/culture en mettant le plus souvent possible l’apprenant en contact avec celle-ci.

Car, au-delà du contenu, on peut se demander avec Patrick Champagne si la télévision n’a pas aussi un rôle social à jouer : “‘loin de véhiculer une culture nouvelle, la télévision fournit surtout des symboles sociaux d’identification’”61 ..

Notes
57.

Louis Porcher, Télévision, culture, éducation, Armand Colin, 1994, p. 121.

58.

Pierre Chambat, Alain Ehrenberg, “De la télévision à la culture de l’écran”, in Le Débat, n°52, 1988, p.112.

59.

Claire Kramsch, “La composante culturelle de la didactique des langues”, in Recherches et Applications, FDM, Méthodes et méthodologies, 1995, p. 59.

60.

Henri Besse, “Éduquer la perception interculturelle”, Le Français dans le Monde n°188, 1984, p.47.

61.

Patrick Champagne, “La télévision et son langage: l’influence des conditions sociales de réception sur le message”, in Revue Française de Sociologie, n°12, pp.407-430.