1.2.1. Les méthodes directes et actives

Jusqu’à la moitié du XX. siècle, le FLE est placé comme les autres “langues vivantes” sous l’influence de la méthode directe et active. Les objectifs d’enseignement sont globalement de trois sortes, il ne s’agit pas tant d’apprendre la langue que la culture et, par le contact avec la langue, de se former intellectuellement. On trouve ainsi dans la préface du Mauger bleu 69 la reprise de ces objectifs exprimés par le secrétaire général de l’Alliance Française ; si des étrangers apprennent le français :

‘“Ce n’est pas pour nouer, entre eux, des échanges rudimentaires. Ce n’est pas pour rendre plus commodes leurs voyages ou leurs plaisirs de touristes. C’est d’abord pour entrer en contact avec une des civilisations les plus riches du monde moderne, cultiver et orner leur esprit par l’étude d’une littérature splendide, et devenir, véritablement des personnes distinguées. C’est aussi pour avoir à leur disposition la clé d’or de plusieurs continents et parce qu’ils savent que le français, langue belle, est en même temps langue utile.”70

Les auteurs insistent par ailleurs sur la difficulté de la langue, mais aussi sur la qualité de celle-ci, le but suprême de l’apprentissage étant d’atteindre la connaissance des textes littéraires. La langue courante n’est certes pas négligée, c’est le passage obligé pour acquérir la grammaire et le lexique. Dans cette méthode, l’image apparaît essentiellement sous forme de dessins qui accompagnent le contenu thématique de la leçon. Voir ci-dessous la Leçon 26 : “La famille Vincent débarque au Havre”.

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Trois dessins en noir et blanc sont intégrés au texte et accompagnent sa lecture, visuellement on remarque trois mots encadrés (en cursif) et plusieurs mots et locutions en gras. Il s’agit de repères pour l’apprenant, de signaux grammaticaux dans le premier cas qui renvoient au tableau sur le pluriel des noms ; et des mots nouveaux dans le second cas. Il est intéressant de noter la distance énonciative du texte en début des paragraphes, quelques expressions attirent l’attention du lecteur sur les trois images : “Voici un grand port avec des bateaux”; c’est le Havre. Le paquebot France s’est arrêté devant le quai”. Le deuxième paragraphe introduit le deuxième dessin : “Voici maintenant un train. (...)” Puis, dans le troisième paragraphe, trois adresses directes à l’apprenant : “‘Sur la troisième image vous voyez quatre voyageurs.(...) Reconnaissez-vous la famille Vincent ? Voyez-vous les cheveux noirs de Pierre et les cheveux blonds d’Hélène ? (...)’”

Les dessins font partie des textes de base qui sont fabriqués pour la mise en oeuvre du vocabulaire. Ces textes se prêtent bien à la description, ils abordent les thèmes de la vie quotidienne et font penser aux leçons de choses. Il y a recours à l’image dans chaque leçon pour illustrer mais aussi pour expliquer, sans passer par la traduction. On peut parler ici, à la suite de Christian Puren, de la “juxtaposition” du texte et de l’illustration, qui ne sont pas utilisés conjointement, comme dans les bandes dessinées ou les dialogues avec films fixes. Quelques photos en noir et blanc sont surtout présentes à la fin du manuel, elles sont regroupées dans un chapitre “documents”. Ce sont des vues de Paris (monuments, scènes de la vie quotidienne), elles sont accompagnées de commentaires et explications de type civilisationnel qui viennent compléter les leçons.

Même si l’on note le souci d’intégrer l’utilisation des moyens audiovisuels à la méthodologie active, et de suivre le développement technique, ce sont surtout les auxiliaires oraux qui vont davantage se développer que les auxiliaires visuels. On parle dans un premier temps des “moyens audiovisuels”71 qui sont ainsi définis en 1951 : “les moyens mis à la disposition de l’éducateur, et qui font appel soit à la vue, soit à l’ouïe : les matériaux graphiques divers (images, photos, cartes, etc.), vues fixes projetées, film fixe, film animé, d’une part ; la radio, le magnétophone, et les disques, d’autre part ; soit aux deux réunis : film sonore et télévision.” Mais l’utilisation des supports visuels reste surtout limitée au rôle d’auxiliaire de l’enseignement lexical. Les “tableaux muraux” sont un procédé direct d’enseignement du vocabulaire, où l’image s’inscrit dans l’environnement immédiat de la classe. Il faudra attendre la méthodologie audiovisuelle pour que se réalise le développement des auxiliaires visuels évoqués ci-dessus.

Nous ne nous arrêterons pas sur la méthode audio-orale, venant des États-Unis, qui visait prioritairement un enseignement linguistique et oral de l’anglais. L’aide technique principale est celle du magnétophone et du laboratoire de langue ; la pratique d’une langue coupée de la réalité, basée sur l’imitation et la répétition se fait par le biais d’exercices structuraux dans laquelle l’image n’a aucune place. Mais la MAO ne propose pas d’approche pour un enseignement de la compréhension, de l’écrit ou de documents authentiques. Elle s’intéresse surtout au début de l’apprentissage et sera profondément remise en cause72, cependant on ne peut nier son influence sur les courants qui la suivent.

Notes
69.

Cours de langue et de civilisation françaises de G. Mauger, Paris, Hachette, 1953.

70.

Marc Blancpain, Préface du manuel, p. VI, op. cit..

71.

Les moyens audiovisuels tels qu’ils sont définis par R. Lefranc, Les langues modernes, 1951, cité par Christian Puren, op. cit., p. 234.

72.

Nous renvoyons au chapitre 4.1. de Christian Puren, op. cit., pp. 288-309.