Dans le cadre de l’enseignement du français, à l’étranger, on remarque que la période entre 1970 et 1980 est riche en expériences linguistiques. En effet, un numéro entier du Français dans Le Monde 95 (1980) fait le point sur les différents programmes d’enseignement du français par la radio ou la télévision : la longue tradition éducative de la B.B.C., ou le projet récent de la TV Ontario, ainsi que ceux diffusés dans de nombreux pays d’Europe, d’Australie, d’Amérique du Sud, du Japon etc... D’autre part, on peut prendre connaissance des méthodes d’enseignement du français diffusées par le ministère des Affaires Étrangères : matériel audiovisuel sous forme d’images animées (films ou vidéo), d’images fixes (diapositives et photographies), de son (disques, bandes et cassettes). Ces documents ne sont plus “de type universel pour l’apprentissage de la langue usuelle” mais sont destinés à des publics spécialisés : selon le secteur géographique, socioculturel et linguistique déterminé, selon les objectifs visés (apprentissage par catégorie socioprofessionnelle), et selon l’âge des apprenants (programmes pour enfants).
C’est le cas des méthodes plus spécialement destinées à l’enseignement en Afrique qui sont diffusées dans les années 70 comme Samba et Bouboune : épisodes dans lesquels les héros, un journaliste et un photographe, sont lancés dans des aventures en Afrique, puis dans le reste du monde. D’autres proposent la variété des supports, En français (aujourd’hui vendue sur vidéocassette) proposait des films à structure modulaire, bien conçus et réalisés par des cinéastes. Une autre méthode, Les Gammas, part d’une idée astucieuse, celle de trois extraterrestres débarquant sur la terre de France ; de plus, elle est accompagnée de bandes dessinées. Les émissions scolaires se composent d’une présentation et d’un dialogue de base, suivi d’une exploitation des structures ; un document y est inséré, sous forme de films tels les Chroniques de France, les Samba et Bouboune ou les Contes d’ici et d’ailleurs. Pour les écoles secondaires, on trouve l’illustration vidéo de la méthode Pierre et Seydou fondée sur les dialogues et les dessins. La production a opté pour le “spectacle pédagogique” qui implique la recherche dans l’expression et la visualisation, où ‘“le caractère spectaculaire ne renvoie plus à quelque intention de divertissement, mais à une mise en forme fonctionnelle, utilisant les réelles possibilités de l’expression télévisuelle.”96 ’
De nombreux projets d’éducation par la télévision sont présentés dans l’ouvrage de Max Égly97 qui reprend quelques expériences didactiques menées jusqu’au début des années 80, ainsi qu’une analyse des problématiques que son usage soulève. On peut citer comme projet d’enseignement du français langue seconde l’exemple du Niger (1964-79) qui ne possédait au départ ni télévision, ni enseignants pour scolariser sa population, de Côte d’Ivoire avec le PETV (Programme d’éducation télévisuelle de Côte d’Ivoire) qui diffuse ses premières émissions pour l’enseignement primaire en 1971. Les conditions de départ étaient positives (contexte national favorable, moyens financiers et techniques, qualité des installations), une place de choix est donnée au niveau national à la télévision éducative par le ministère de l’éducation, le bilan en 1980 est positif98. Comme pour le Sénégal (expérience menée entre 1978-84), la tâche était considérable, car il s’agissait d’élaborer un nouveau système dans lequel la télévision était le pivot central et non un élément périphérique, de définir les programmes, former des maîtres, réaliser le matériel pédagogique. Mais la production s’est avérée coûteuse, et l’extension du programme ne semblait pas réalisable, les changements importants ont été difficiles à gérer par les enseignants qui ont dénoncé le PETV.
Sur le plan pédagogique, on remarque une liaison étroite entre les émissions et les activités menées en classe. On a recours aux principes des “méthodes actives”, on refuse les modèles de discipline et de compétition de l’enseignement traditionnel. A propos de la relation maître-élève, le changement est grand lors d’un apprentissage en groupe, il y a relativisation des sources du savoir (maître, émission, document écrit) qui interdit toute “relation magistrale.” L’accent est mis sur le travail en groupe pendant l’émission, la communication entre les élèves. L’objectif de ces programmes de TV scolaire était de lier la découverte et l’analyse du “réel” et l’apprentissage des techniques d’expression. Si on reconnaît à la télévision une fonction de motivation, du désir de communiquer, le constat de Max Egly en 1984 est pourtant négatif car : “‘la plupart de ces entreprises ont connu plus souvent l’échec que le succès’”99.
En conclusion, on dira qu’il n’existe pas une formule unique d’usage pédagogique de la télévision et on insistera plutôt sur les modèles qui ont guidé les systèmes actuels ; ils sont selon Max Egly de trois types selon que
‘“la télévision est requise comme auxiliaire, comme “ersatz”, ou comme outil original entièrement dégagé des servitudes d’aspect du modèle magistral. Le véritable objectif étant, non pas d’imiter le magister, mais de fournir les meilleurs moyens d’accès au savoir.”100 ’Si les expériences menées appartiennent en général au premier type, seul Télé-Niger a été inspiré par le dernier modèle, mais a plutôt fonctionné comme système du second type. Peu nombreux sont les exemples du troisième type, nous ne citerons que le plus connu, l’émission américaine destinée à l’intégration des jeunes enfants issus de milieux défavorisés, Sesame Street. 101 Le succès de ce programme tient essentiellement au fait qu’il a été réalisé par des professionnels, par une équipe pluridisciplinaire de réalisateurs et de pédagogues, et qu’il a aussi su allier production et recherche, ce que les imitations suivantes ont généralement oublié. L’aspect novateur résidait dans l’usage contrôlé des spécificités télévisuelles qui ne sont pas au service d’une instance pédagogique ou magistrale, mais contribuent à la réalisation d’objectifs d’éveil éducatifs et culturels. Spectacle et formation ne sont donc pas incompatibles.
Nous renvoyons aux articles du FDM, n° 157, “Le professeur et les ondes”, Paris, 1980 et plus spécialement à celui sur “L’enseignement du français par la B.B.C.”, par S. Paton et “Les émissions de radio et de télévision française pour l’enseignement du français et pour la diffusion de la culture française”, Josiane Thureau et Léo Koesten.
ibidem, p. 85.
Max Egly, Télévision didactique Entre le kitsch et les systèmes du troisième type, Paris, Edilig, 1984.
Max Egly retrace ce vaste programme mis en place à Bouaké, l’ambition du projet et les premiers résultats obtenus. Mais l’hostilité des enseignants du secondaire, malgré des évaluations de terrain positives, a entraîné l’abandon du projet. ibidem, pp. 59-76.
ibidem, p. 88.
ibidem, p. 98.
Sesame Street a été produit par “Children Television Workshop”, centre indépendant financé par divers organismes publics et fondations privées, mis en place à cette intention. La première série comportait cent trente émissions d’une heure chacune, les premières diffusions ont eu lieu en 1969. Cf. l’étude de Martine Roger-Machart, in “Neuf expériences de télévision éducative dans le monde”, INA, 1975.