1.2.3.1. Les méthodes sur support papier

Pour poursuivre l’évolution de l’image, trois méthodes nous semblent refléter les diversités de l’approche communicative : d’une part l’image fixe de Sans Frontières et d’Archipel (1982), d’autre part l’image animée et la percée du support télévisuel et vidéo avec Entrée libre (1983) qui marque la première génération et Bienvenue en France (1991) sur laquelle s’est porté notre choix.112

Sans Frontières 113 se présente comme la méthode du “juste milieu”, elle se situe en effet à la rencontre des deux courants didactiques inspirés d’une part de la linguistique structuraliste et d’autre part de l’approche “fonctionnelle”. Les supports d’apprentissage sont à la fois audio par les cassettes son, et scripto-visuels : les films fixes ont disparu et sont remplacés par des affiches murales, et surtout par le livre très illustré de l’apprenant. Il faut tout de suite remarquer que le manuel est plus équilibré dans le rapport image-texte, qu’il est un support important puisqu’il est autonome. Il ressemble davantage au livre des méthodes traditionnelles qu’à celui des méthodes audiovisuelles, où les livres des apprenants étaient uniquement faits d’images. On trouve ici des textes classés par leçon et unité, encadrés de dessins du style bande dessinée ; du vocabulaire, de la grammaire, des exercices, et des documents (textes et photos) de civilisation. Ces derniers renvoient à une utilisation plus individualisée.

Sur le plan du contenu, on rencontre principalement des dialogues “authentiques”, c’est-à-dire dont l’enregistrement tente de se rapprocher de l’univers sonore réel. Chaque unité s’articule autour d’un “‘acte de langage sélectionné selon les situations communicatives prioritaires’”114. Sans Frontières attache particulièrement de l’importance au dialogue audiovisuel et à l’illustration qui “‘ne se veut ni descriptive, ni étroitement pédagogique mais structurante. Elle éveillera la curiosité, fixera les grandes lignes du sujet et de la situation de communication’.”115

L’affiche joue ici un rôle premier : comme cela est expliqué dans les principes d’animation, elle est commentée avant l’exploitation du dialogue, et elle sert d’abord à “faire fonctionner une sorte de système ‘traduction’, d’équivalences entre la langue maternelle et les images.” L’image apporte ensuite une information culturelle, chaque illustration étant dessinée à partir de lieux, de personnages ou de décors réels. Enfin, “‘Présenter une image, c’est encore communiquer sur et à propos de cette image’ .”

Il ressort de cette présentation de l’image qu’elle sous-tend une nouvelle conception : elle est actualisée dans son aspect formel, elle est proche de l’univers de la bande dessinée, ce qui est sensé la rendre familière à l’apprenant. Elle est en fait le reflet d’une tendance culturelle de la société française qui fait une large place à la bande dessinée. Si le public concerné est à la fois de jeunes et d’adultes, ceci n’est pas sans poser quelques problèmes culturels à des apprenants étrangers. La présentation de vignettes en bande dessinée met en oeuvre des procédés de graphisme, de cadrage, de composition. On introduit également l’idée de narration par l’image. Cependant, la méthodologie insiste surtout sur une fonction auxiliaire : “‘favoriser la découverte du lexique, permettre aussi de deviner des séquences du dialogue.” Enfin, elle doit faciliter une attitude positive d’écoute du dialogue.”116

Si la communication sur et par l’image est un but en soi, on ne trouve aucune proposition méthodologique pour développer la communication de l’apprenant ; la seule référence reste le dialogue. Par ailleurs, l’apport illustratif de civilisation (documents semi-authentiques, photos) est assez abondant, on retrouve un entraînement à l’expression (orale ou écrite), ou un travail plus individualisé.

La position de départ d’Archipel diffère de la méthode précédente par sa conception qui n’est plus linéaire, ici toute idée de progression grammaticale est abandonnée :

‘“une fois dépassé le niveau de l’unité 2 aucun critère strict de progression ne peut être retenu, rien n’empêche d’étudier la demande avant l’expression de la localisation. De même, étant donné qu’il existe deux axes parallèles d’apprentissage : l’axe audiovisuel, plus communicatif, et l’axe écrit, plus culturel, on peut doser à volonté la part de l’oral et de l’écrit dans l’apprentissage.”117

Archipel met au premier plan les “besoins langagiers” des apprenants, et les buts diversifiés du public. Le feuilletage du livre fait apparaître un ensemble de matériaux extrêmement diversifiés, se rapprochant du type de graphisme que l’on trouve habituellement dans les ouvrages non-didactiques. Autant au niveau formel qu’au niveau de la thématique, on élargit les horizons de l’apprenant : des poésies aux reproductions de publicités, des photos aux annonces de journaux, on cherche à apporter des éléments scripto-visuels culturels. En effet, les buts de la méthode sont d’accéder rapidement à un niveau minimal de communication et de découvrir les aspects culturels français, d’étudier des documents dits authentiques, et d’acquérir un certain métalangage grammatical. Selon le principe de la non-linéarité, Archipel présente des “situations” construites autour d’objectifs fonctionnels et linguistiques. On insiste sur la variation des types textuels, et des formes linguistiques, destinées à transmettre un même message.

D’un point de vue de la communication, Archipel reprend le principe des méthodes audiovisuelles dites situationnelles, c’est-à-dire “‘la présentation du contenu linguistique par le biais de situations de communication simulées, accompagnées de dessins de type situationnel’”.118

Un changement notable au niveau du support : le principe du film fixe devient facultatif, quelques dessins sont reproduits dans le livre qui visualisent le lieu de la communication des personnages. Ces images entretiennent avec le texte un rapport lointain, “‘elles servent de point de départ à la compréhension globale de la situation.’”119 Comme le confirment les auteurs :

‘“les images de la méthode n’ont pas été conçues pour une utilisation exhaustive : nous n’avons pas voulu en faire le support principal de la communication. (...) Les images ont donc été conçues essentiellement pour véhiculer des informations de type situationnel plutôt que référentiel”. 120

On peut regretter que l’image ne joue plus un rôle central, alors que son renouveau formel nous semble apte à déclencher la communication. Cependant, Archipel est la première méthode à intégrer largement des documents dits authentiques, même si leur mise en forme au sein d’une méthode contribue à dévoyer le sens du terme - nous renvoyons au paragraphe 1.2.2.3. ci-après-. Il n’empêche que l’objectif culturel apparaît à travers les documents visuels, à dominante photographique, qui sont une des caractéristiques du livre : articles de journaux, publicités, affiches, extraits du monde du cinéma, des arts121 et de la littérature, mais aussi tirés de la situation socio-politique ou économique du pays. Dans Archipel 2, des dossiers thématiques permettent à l’apprenant d’aller “plus loin” dans la découverte de la culture ; c’est par exemple, dans l’histoire du pays, l’abord d’un sujet comme la peine de mort, présenté par deux supports : d’une part, une photo extraite du film de Wadja Danton, représentant le bourreau et la tête de sa victime dans la guillotine. Et d’autre part, une reproduction de la une de L’Aurore avec l’article célèbre d’Émile Zola. La mise en page met en regard les deux types de texte et permet l’ouverture par deux supports, visuel et scriptural, sur l’expression de l’apprenant.

Conclusion

Après avoir constaté une richesse des supports et un renouveau à la fois idéologique et technique de l’image, on remarque donc une persistance de l’image fixe à dominance pédagogique, en même temps qu’un rééquilibrage avec le texte écrit. Les images sont intégrées plus largement autour de thèmes et non plus de seuls éléments linguistiques. Cependant, au niveau méthodologique, l’image est loin d’être au centre des préoccupations. Les fonctions qui lui sont attribuées ne sont pas réellement nouvelles : elle sert à la mise en contexte du dialogue, ou mise en situation122 . Un fait nouveau est la mise en regard dans le manuel de photos ou images authentiques et de textes. L’image est parfois intégrée à un texte et sa fonction est l’ancrage de celui-ci (rapports d’opposition ou de complémentarité). Elle sert plus largement de support à l’expression, notamment à partir du livre 2 d’Archipel, mais on constate que les fonctions de motivation et de compréhension ne sont pas assez exploitées. Comme le remarque Christian Puren,

‘“l’enseignement culturel oblige à l’utilisation de documents authentiques de types très variés et donc l’abandon de l’intégration didactique autour du seul support audiovisuel. 123

A côté des documents fabriqués du niveau 1 vont s’ajouter, puis s’imposer les documents authentiques qui correspondent à la complexité du lexique, et de la communication124. C’est la problématique du niveau 2 qui sera développée en 1.2.3.3..

Notes
112.

Bienvenue en France, Méthode de Français, Annie Monnerie, Hatier / Didier, 1991.

113.

Sans Frontières, Livre du professeur, p. 5.

114.

Sans Frontières, ibidem, p. 11.

115.

ibidem, p. 13.

116.

ibidem, p. 18.

117.

Archipel, Livret de présentation, p.4.

118.

Archipel, Livre du professeur, p.12.

119.

ibidem,, p. 13.

120.

Archipel, Livret de présentation, p. 7.

121.

Pour traiter un sujet de société comme la situation des femmes en France, on trouve d’une part des textes sur le travail, d’autre part une double page est consacrée à la reproduction d’oeuvres d’art, seulement accompagnées d’une légende, une question est adressée au lecteur : “Que pensez-vous de la féminité ?” in Archipel livre 2, pp.18-19.

122.

C’est le type d’image amorcé dans De Vive Voix.

123.

Christian Puren, Histoire des méthodologies, op. cit., p. 367.

124.

Francis Debyser analyse la problématique du niveau 2 et du “choc en retour” sur le niveau 1 dans plusieurs articles : Le Français dans le Monde n°73, n°133.